Le cinéma de demain: pour quoi faire ?

Guillaume Meral | 14 décembre 2012
Guillaume Meral | 14 décembre 2012

Alors que Le hobbit : un voyage inattendu s'apprête tout juste à entamer le chemin des salles obscures, le film de Peter Jackson suscite d'ores et déjà la polémique via son emploi du 48 images/secondes (ou High Frame Rate Shooting, dit HFR), c'est-à-dire le doublement de la vitesse normale de défilement de l'image. Une technique dont le rendu, selon certains spectateurs ayant eu la possibilité de voir le film en avant-première, se distinguerait par une esthétique tendant vers un hyperréalisme télévisuel, bouleversant dés lors les critères d'identification traditionnels à l'image. Même s'il est encore trop tôt pour prédire quel avenir attend le 48 images/secondes dans les salles de cinéma (à en juger par le parc limité diffusant le film selon les critères désirés par Jackson, la Warner n'a pas l'air de vouloir se ranger aveuglément derrière le réalisateur), on peut s'interroger sur la démarche d'un cinéaste populaire tel que Jackson à se risquer de heurter les paramètres de reconnaissance cinématographique les plus élémentaires de son public avec ce procédé, à plus forte raison quand il s'agit de mettre la popularité d'une franchise telle que celle-ci sur la sellette de l'avant-gardisme artistique. Or, loin de s'en tenir à un cas isolé, Peter Jackson serait plutôt la manifestation d'un phénomène qui semble s'emparer d'Hollywood ces dernières années, à savoir la propension d'une poignée de réalisateurs à faire de leurs blockbusters les vitrines de potentielles révolutions technologiques susceptibles d'engendrer un nouveau paradigme de l'image.

De fait, l'effervescence technologique qui s'est emparé de l'industrie depuis quelques temps (la 3D, la performance capture, dernièrement  le HFR...) s'avère indissociable des cinéastes ayant risqué les acquis d'une carrière entière en ouvrant l'horizon d'un nouveau champ des possibles cinématographiques. Un pari qui peut-être récompensée par un plébiscite mondial et une adhésion sans réserve aux promesses d'avenirs formulées (James Cameron avec Avatar), mais aussi par une incompréhension relative (Steven Spielberg et son adaptation de Tintin), voir dans certains cas un scepticisme remettant en cause le chemin parcouru au cours d'une carrière fastueuse (Robert Zemeckis avec Le Pôle Express, La légende de Beowulf et Le drôle de Noël de Scrooge). Par conséquent, on peut se demander pourquoi des cinéastes reconnus pour leurs talents de narrateur leur permettant d'atteindre l'universel au détour d'un plan, à fédérer le public autour de leur propos par leur maitrise de la grammaire cinématographique, se lancent à corps perdus dans des odyssées artistiques dont l'issue est susceptible de les stigmatiser aux yeux des spectateurs dans une forme d'autisme conceptuel, soit l'antithèse de leur vocation profonde.

Des trois procédés précités, le relief est indéniablement celui qui s'est intégré de manière la plus probante aux habitudes des spectateurs, malgré les enquêtes d'opinion publiées à un rythme annuel et prédisant son retour imminent dans les catacombes de l'histoire. Une banalisation  qui était loin d'être acquise, à en juger par l'histoire chaotique émaillant les précédentes tentatives d'imposer ce format dans les salles obscures. Histoire qui se serait certainement perpétuée sans l'intervention des Zemeckis ou Cameron dans ce qui sonnait encore récemment comme une énième tentative des studios de jouer sur la portée attractive du procédé dans une optique de rentabilité immédiate (les Voyage au centre de la Terre, Meurtres à la St Valentin et autres Spy kids 3D...).Or, pour ces cinéastes, l'intérêt du relief réside moins justement dans la tridimensionnalité de l'image à travers l'instant-plan, que dans la possibilité d'expérimenter un découpage plaçant le spectateur au sein d'un espace scénique s'affranchissant du cloisonnement matériel des espaces (soit ce que Cameron dit quand il qualifie la 3D de « Fenêtre sur le monde »).  D'où l'importance sans cesse rappelée de la profondeur de champ dans le relief, remettant ainsi à jour l'avant-gardisme des réalisateurs qui s'accaparaient l'étendue de l'espace pour construire leur mise en scène (Jean Renoir, Michelangelo Antonioni...). Ainsi, si au cinéma la scénographie s'élabore à travers un découpage traduisant les rapports de force entre les personnages ainsi que les enjeux relatifs à la séquence, et s'inscrit donc dans l'œil du spectateur de façon purement subliminale (revoir à titre d'exemple l'arrivée des bad guys dans Piège de cristal), la 3D permet de plonger le spectateur au cœur de cet espace scénique en matérialisant ce qui était auparavant un édifice purement cognitif.  Le relief est donc est une question d'espace (donc de montage, de découpage) avant d'être une question picturale, et il n'est guère étonnant que la majorité des réalisateurs s'étant adonné à l'exercice soient précisément des artistes reconnus pour la conception tridimensionnelle de leur dispositifs scéniques, et qui ont vu dans le procédé le moyen d'apporter une réelle plus-value à leur démarche (Martin Scorsese, George Miller, Steven Spielberg.... Vivement un déclic de Brian de Palma et John Woo).  Ainsi, un film comme Les cinq légendes de Peter Ramsey ,pour prendre un exemple récent, voit ses partis pris de mise en scène (plans séquences ambitieux, amples mouvements de caméra connectant les endroits et les êtres, dynamique du montage visant à ce que chaque plan annonce le suivant...)  prendre tout leur consistance lors d'une vision en 3D, qui conduit le spectateur au sein de cette scénographie reliant le monde matériel et l'imaginaire, en même temps que le procédé la réalisation de son caractère ostentatoire.

De fait, cette volonté de banaliser la 3D dans les habitudes du public semble être l'une des principales raisons ayant motivé le passage au 48 images/ secondes pour Peter Jackson, comme il l'explique dans un Q& A publié sur Facebook « La technologie est continuellement développée de manière à améliorer et enrichir l'expérience du cinéma en salles (...). La réduction du flou (avec le HFR) permet d'accentuer la définition et donne l'impression que le film a été tourné en 65mm ou en Imax. Ca rend l'expérience de la 3D plus douce et moins contraignante pour les yeux. Une grande part de ce qui rend un visionnage en 3D difficile pour certaines personnes réside dans le fait que chaque œil traite beaucoup d'effets stroboscopiques, de flous et de vacillements au niveau de la lumière. Tout cela disparaît avec le HFR 3D». Même si tout le monde ne semble pas d'accord avec ces propos, l'enjeu réside donc dans cette instauration d'un hyperréalisme de l'image supposé accroître l'immersion fictionnelle du spectateur (paradoxalement dans un film revendiquant son ancrage dans un univers résolument fantasmagorique). Au point d'oublier que l'on regarde un film ? Si l'on ne peut pour l'instant que spéculer sur l'avenir du HFR, il semblerait toutefois que cette innovation découle des exigences liées à la 3D, désormais à ce point installée dans le paysage cinématographique qu'elle génère les innovations liées à ses propres besoins intrinsèques. Ainsi, si les propriétés de la 3D tendent déjà à rendre indicible les mécanismes de mise en scène (voir l'exemple des Cinq légendes), le HFR accentuerait d'autant plus cet aspect. Le cinéma se transformerait de fait  en spectacle vivant, où la totalité de ses ficelles de fabrication seraient absorbées dans l'immersion totale proposée, où les paramètres du dispositif s'oublieraient au cours de l'identification à un univers. Le retour du pouvoir de fascination primitif du 7ème Art ? Un défi que s'était déjà lancé le grand Douglas Trumbull, concepteur notamment des effets spéciaux de 2001, l'odyssée de l'espace et Rencontres du troisème type, qui inventa à la fin des années 70 le procédé du Showscan, qui permettait de projeter un film à la vitesse de 60 images/secondes (!) avec l'aide d'une pellicule 65 mm.

 Un système qui marqua au fer rouge la mémoire de ceux qui eurent la chance de profiter de l'expérience en salle, mais dont le coût prohibitif avorta le séisme que devait provoquer le Showscan dans le monde du cinéma. Depuis, la révolution numérique est passée par là, rendant dès lors envisageable et accessible ce qui était jusque-là l'apanage de quelques attractions et autres parcs à thèmes (dont le Futuroscope). Toujours est-il que si Jackson réussit son pari, nul doute que d'autres cinéastes devraient s'engouffrer dans la brèche (à commencer par James Cameron ou Bryan Singer, qui s'est empressé de faire connaître son envie de s'essayer au procédé au sortir de l'avant-première du Hobbit).

De ce point de vue, l'émergence de la performance capture est également à mettre en corrélation avec la problématique du dispositif scénique. Pionnier d'une technologie qu'il a contribué à développer exponentiellement sans en recueillir les fruits, Robert Zemeckis  évoque à demi-mots la liberté créatrice conférée par cette méthodologie, lors d'une interview donné à l'occasion de la sortie de Flight, son prochain film (live) « La pré-production et le montage constituent les instants les plus exaltants du processus de fabrication (...). Le tournage n'est que compromis de ce que l'on désire faire avec le planning, la météo etc. Comment tirer du plaisir de cela ? ».  Parce qu'elle confère au réalisateur la même emprise démiurgique sur son œuvre qu'un peintre sur sa toile, dans la mesure il peut faire ce que bon lui chante une fois le tournage avec les comédiens enregistré par les capteurs disposés dans le studio, la performance capture  encourage l'édification de dispositifs scéniques totalement au service des rapports entre les protagonistes et des besoins de l'intrigue, sans composer avec les contingences du tournage live mentionnées par Zemeckis.

 A ce titre, le fameux plan-séquence accompagnant la scène de poursuite dans Les aventures de Tintin : le secret de la licorne de Spielberg offre un bon exemple de ce que le procédé, couplé à la 3D, permet d'accomplir, à savoir l'immersion du spectateur dans un espace cinématographique totalement autonome de la matérialité du décor dans lequel évoluent les personnages. En l'occurrence, l'enjeu de la scène (le parchemin, que s'arrachent les deux camps) devient également le référent de la caméra (rappelons que toute la scène est perçue depuis la course improbable de ce bout de papier), qui suit sa trajectoire de façon à focaliser le spectateur sur l'élément moteur de la scénographie. Ainsi, loin de la technologie encourageant la profusion d'éléments superfétatoires stigmatisée par certains, la performance capture, par la latitude qu'elle offre aux metteurs en scène, les encourage au contraire à recentrer leur propos sur les enjeux narratifs portés par la séquence. Une manière d'aller droit à l'essentiel en somme.

 

Depuis Avatar ou La légende de Beowulf, on ne peut que constater une récurrence dans les arguments avancés par les réalisateurs soucieux de justifier leur recours à ces technologies. « Faire voyager le spectateur dans un autre monde »,   « immerger le public dans l'action », « rendre l'expérience de la salle encore plus réaliste »...Des slogans certes, mais surtout  la profession de foi de certains des plus grands conteurs contemporains soucieux d'épurer leur problématiques de mise en scène pour se recentrer autour de l'objet scénique. Ce qui permet l'évasion n'est pas seulement l'univers mis à disposition, mais également le point de vue autour duquel vont graviter les enjeux qui vont lui conférer toute sa densité. La 3D, le HFR et la performance capture : un nouveau chemin vers une idée de cinéma « pur » ?

 

 

 

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