Michael Mann - Le Dernier des cinéastes

Thomas Douineau | 7 juillet 2009
Thomas Douineau | 7 juillet 2009

Il est assez étonnant à Hollywood d'avoir réussi, de film en film, progressivement et sans fausse note, à se faire une place de choix au sein du système. Un respect dû d'abord au fait que Michael Mann tourne peu et laisse ses projets germer dans sa tête et parce-qu'il en est le réalisateur, producteur et bien souvent scénariste, ce qui lui vaut le qualificatif d'auteur. Mais aussi parce-que son terrain de prédilection, c'est le polar (ou alors quand il n'en fait pas, il s'attaque à de grands sujets épiques et fédérateurs, Ali ou Le Dernier des Mohicans) Mann n'a pas non plus tourné le dos aux studios qui voit en lui la possibilité de faire des films d'actions intelligents et prestigieux.

 

Ainsi, il est devenu, en quelques films (il ne tourne pas beaucoup plus qu'un Kubrick, autre génie perfectionniste de la mise en scène) un des acteurs majeurs du cinéma, à la fois très américain dans ses sujets et très proches de l'Europe par sa sensibilité artistique. Son passage par la télévision et le documentaire lui ont donné le goût du réalisme et ont fait de lui un technicien hors-pair qui est en train de construire une oeuvre cinématographique éclatante, ambitieuse et brillante. Sa réputation de maniaque du détail, dans sa mise en images comme dans sa direction d'acteurs, en font un réalisateur exigeant qui tiendra la promesse, lorsqu'il s'attaque à un genre, de le révéler, de le sublimer, de lui apporter quelque chose de neuf et de profondément humain, dépourvu d'oripeaux si ce n'est la recherche, par les artifices de la caméra, d'une intense vérité cinématographique.

 

 

Michael Mann est né à Chicago, Illinois pendant l'hiver 1943. Après une enfance dans un des quartiers difficiles de la ville, il entre à l'Université du Wisconsin. Il décide ensuite d'intégrer la London's International Film School, préférant Londres aux prestigieuses écoles de cinéma américaines, trop éloignées de sa sensibilité. En sortant de cette école, il décide, dès 1965, de fonder sa propre société de production qui lui permet de faire ses premières armes dans la publicité. Rapidement, l'argent gagné lui permet de se diriger vers le documentaire, terrain plus propice à ses ambitions artistiques. Le genre lui permet de développer une mise en scène s'attachant d'abord à l'humain et d'être à la recherche permanente de réalisme. Janpuri est ainsi remarqué au Festival de Cannes où il reçoit le prix du Jury en 1970.

 

Mais cela ne suffit pas pour faire décoller sa carrière. Après sept ans passé à Londres, il décide de rentrer aux États-Unis où commence une longue année à frapper à toutes les portes. Mais le travail n'arrivant pas, il commence à se décourager lorsqu'il rencontre Robert Lewin, éminent scénariste de télévision (Mission : Impossible, Le Fugitif…), qui le prend sous sa coupe et lui confie l'écriture des premiers épisodes de Starsky et Hutch. Il participe alors à l'écriture d'épisodes de Police Story et en vient vite à produire sa propre série, Vega$ qui rencontre un grand succès. Mais les désaccords qui vont l'opposer au réalisateur lui fait prendre la décision de quitter la série. Déjà, Michael Mann affiche ses volontés artistiques qui ne souffrent d'aucune concession.

 

C'en en 1979 qu'il réalise enfin sa première oeuvre de fiction unitaire pour la télévision, cherchant son inspiration dans sa formation documentaire. Comme un homme libre (The Jericho mile) est un drame âpre se déroulant dans le milieu carcéral (dont les acteurs sont de vrais détenus). Son film reçoit 4 Emmy Awards et sa mise en scène est récompensée par la prestigieuse DGA. Ce tremplin lui permet, mais près de deux ans plus tard, de passer au grand écran avec son premier long-métrage Le Solitaire (Thief, 1981), sélectionné au Festival de Cannes. Mais le public ne se déplace pas en masse pour voir ce film policier de facture très moderne. Mann ne peut donc laisser tomber complètement ses activités télévisuelles. Il développe pourtant son second film en 1983, La Forterresse noire (The Keep), une histoire fantastique se déroulant dans un camp de retranchement roumain pendant la seconde guerre mondiale, interprété par Scott Glenn, Ian McKellen et Gabriel Byrne. C'est un désastre financier et critique, que d'innombrables problèmes pendant le tournage n'auront fait qu'attiser (on espère un jour sans trop y croire découvrir le montage voulu par le cinéaste).

 

Pour survivre, Mann doit continuer à tourner pour la télévision. Il créé et produit la série Deux flic à MiamiMiami Vice () qui, contre toute attente, alors que la carrière du réalisateur semble anéantie, remporte un succès populaire sans précédant et devient dans les années 80 un phénomène culturel qui, tout en bousculant les règles établies de la télévision, faisait de son esthétique costumes-Aramani-manches-retroussées un genre à part entière. Avec cette série, Michael Mann donnait déjà les prémices des pistes artistiques qu'il travaillera plus tard dans ses futurs polars. La stylisation de Heat et ses lumières bleutées éclairant des hommes de l'ombre en costumes élégant jusqu'à l'explosion de virtuosité de Révélations où Mann sublime les règles et l'esthétique qu'il a lui-même initié en est un raccourci sasissant.

 

Ce succès lui permet d'embrayer en 1986 sur son troisième film policier, Sixième sens Manhunter (), première adaptation à l'écran du personnage d'Hannibal Lecter imaginé par Thomas Harris et où William Petersen incarne un flic sur le fil du rasoir, pas très éloigné du personnage qu'il interprétait dans Police Fédérale Los Angeles d'un certain Friedkin auxquelles les réalisations de Michael Mann, admirateur du cinéma des années 70, font irrémédiablement penser. Il continue de travailler pour la télévision sur Crime Story et signe un téléfilm, L.A. Takedown, qui se révelera être au plan près le story-board de Heat.

 

Entre-temps, Michael Mann s'est pris d'affection pour le célèbre roman de John Fenimore Cooper grâce à la vision d'un vieux film de 1936 réalisé par George Seitz adapté du Dernier des Mohicans. Plutôt que de céder à la proposition de tourner Le Silence des agneaux, second roman de Thomas Harris et suite des aventures de Hannibal Lecter, il s'atèle à une nouvelle adaptation du roman de Cooper avec l'envie d'en faire un grand film épique et romantique. Il le produit, l'écrit et le réalise pour avoir les mains libres. Le Dernier des Mohicans, interprété par Daniel Day-Lewis, est une réussite incomparable et le premier vrai succès public pour Mann. Il assoit son indépendance à Hollywood et par son statut de producteur-scénariste-réalisateur, il obtient les faveurs des critiques qui voient en lui, à juste titre, un véritable auteur, assez rare à Hollywood au sein des grands studios.

  

En 1991, une grande carrière est lancée comme le confirmera trois ans plus tard, Heat qui annonce l'affrontement entre deux monstres sacrés du cinéma : Al Pacino et Robert DeNiro. Mais au-delà de cet argument commercial imparable (et du fait qu'il soit le remake avoué de L.A. Takedown), le cinéaste considérant ne pas avoir exploité tous les potentiels de l'histoire), Heat se positionne comme le grand film policier synthétisant toutes les connaissances et les expériences de Mann dans ce domaine. Par son sens du détail, la précision de son écriture, la qualité de sa direction d'acteurs et sa mise en scène sublime, le réalisateur signe LE polar urbain des années 90, pessimiste, tendu, privilégiant les personnages à l'action. Dire qu'on l'attendait depuis Jean-Pierre Melville ne serait pas exagéré.

 

Poursuivant dans un cinéma classique auquel il adjoint sa modernité et ses expériences de mise en scène, Mann s'empart d'un sujet qui aurait fait la gloire des films contestataires des années 70 (Network ou Les Hommes du Président, pour ne citer qu'eux). À partir d'un sujet qui, sur le papier, n'avait rien de vraiment excitant (les méfaits que causent les industriels du tabac sur la santé public), inspiré d'un article paru dans Vanity Fair, Mann signe Révélations, un film époustouflant, haletant et virtuose. Par la seule force de ses images et de son montage, Michael Mann transcende toutes les émotions de ces «personnages ordinaires soumis à une pression extraordinaire». L'académie des Oscars, où le film est pourtant bien représenté, ne tiendra hélas pas compte de ce chef-d'oeuvre.

 

C'est alors que Mann tombe sur un projet qui traînait depuis longtemps dans les studios, car jugé trop cher et peu rentable : l'hagiographie du boxeur noir Muhammed Ali. Spike Lee, longtemps attaché au projet, crie au scandale quand il apprend que c'est un blanc qui va le réaliser et que Will Smith est en train de faire des pieds et des mains pour obtenir le rôle de sa vie. Le film se fait pour 100 millions de dollars avec un Will Smith transformé, littéralement habité par son personnage. Mais à contrario du récent Ray, Mann impose sa griffe d'auteur et ne se contente pas de filmer linéairement la vie d'Ali en glorifiant le personnage. Au-delà d'une reconstitution étonnante de réalisme (les combats et la performance de Smith sont phénoménaux), c'est l'individu qui intéresse le réalisateur : un individu sans détour qui se débat dans une société cloisonnée et enfermée dans ses certitudes. Pour autant Ali n'est pas un franc succès considérant l'énergie physique et les moyens financiers qui y ont été engloutis.

 

Mann accepte donc une commande d'un studio, effrayant un peu ses fans qui l'ont toujours senti intègre, très personnel, et portant lui-même ses projets à bout de bras. Le nom de Dreamworks et de Tom Cruise derrière le projet les firent frémir. La surprise fut d'autant plus grande. Car Michael Mann savait encore où il voulait aller et si Collateral n'a pas la richesse émotionnelle, le relief scénaristique de ses précédentes réalisations, il lui permet de revenir à ses premiers amours, le polar, dans un théâtre qu'il connaît parfaitement, la ville. En choisissant de tourner en numérique HD, il trouvait là un nouveau terrain d'expérimentation, un nouveau moyen d'expression, une nouvelle forme de représentation de l'affrontement entre deux hommes, mais cette fois-ci dans l'espace confiné d'une voiture. C'est aussi le premier film de Mann duquel est quasi absent un personnage féminin, qui d'habitude, est toujours le regard du spectateur sur le monde des héros en proie aux errances. Dans les précédents films de Mann, le rôle de la femme sert de lien vers un autre monde, celui fictionnel où s'affrontent flics et truands (Heat, Le Solitaire), indiens et soldats (Le Dernier des Mohicans), grandes compagnies brasseuses de dollars (Révélations). Pourtant, malgré cette absence (sans doute parce que le rôle de Jamie Foxx est déjà un peu ce regard, si l'on excepte Jada Pinkett-Smith qui, évidemment, ouvre et clôture le film), Collateral est prenant de bout en bout, à contrario d'un cinéma américain formaté, aseptisé et décérébrant dont il est pourtant issu : Collateral ou le paradoxe Mann.

 

En 2006, dans la lignée de Collateral, Michael Mann continue de surprendre ses fans : il annonce une adaptation sur grand écran de la série sur laquelle il a oeuvré pendant des années comme producteur exécutif, Miami Vice. Les aficionados du réalisateur tiquent un peu devant le manque de renouvellement de leur maître et l'envergure limitée du scénario. Mais encore une fois, c'est mal connaître le bonhomme qui a de la suite dans les idées. Miami Vice ne sera pas une fresque épique à la Ali, une réinvention complexe du polar urbain à la Heat ou une enquête à charge émotionnelle comme Révélations... Ce sera un film d'action atypique qui prendra le spectateur à contre-pied, sans réel scénario, un film basé uniquement sur les sensations que provoque la maestria cinématographique de son auteur.


Le réalisateur s'empare en effet d'un script simplissime pour poursuivre ses expérimentations. Car on sent bien que ce qui intéresse là Michael Mann, c'est uniquement le travail sur l'image : filmer la ville, filmer la nuit, filmer la mer, tout ça en numérique... Inventer une nouvelle patte au polar des années 2000. Il fait de Miami Vice, un film de poseurs, de frimeurs, de "flambe", devant comme derrière la caméra, adaptant au contexte de la ville de Miami une certaine forme de "clinquant" technique et artistique de la mise en scène, mais dépouillant au passage l'action et le scénario de tout le gras, de tout l'inutile, de tout le superflu et conservant une captation caméra à l'épaule qui ose souvent des angles, une profondeur de champ, des jeux sur la mise au point réellement sidérantes et décomplexées.

 

Résultat : des scènes sans exposition à la fin souvent abrupte qui s'enquillent sans temps morts, des ellipses osées, une caméra mobile qui capte un regard, un geste, un paysage, suspendant brutalement le temps, bref, une "abstraction" de polar à l'efficacité brute qui, certes sans avoir la profondeur et les multiples niveaux de lectures des oeuvres précédentes du cinéaste, n'en demeure pas moins unique dans le paysage américain et à fortiori dans une superproduction de cette envergure.

 

Quelque soit ses projets, pourtant souvent très similaires (surtout lorsque le réalisateur s'attaque à la veine polar), Michael Mann montre l'eclectisme de son approche. Toujours dans son domaine de prédiction, on attend donc de pied ferme sa nouvelle transposition du western urbain dans les années 30 avec Public Enemies.

…

À l'occasion, l'auteur de ces lignes en profite pour vous signaler la rétrospective Michael Mann qui débutera à la Cinémathèque Française le 2 juillet 2009 à l'occasion de la sortie de son nouveau film. Outre une avant-première Public Enemies et la leçon de cinéma en présence du réalisateur, il est grand temps de (re)découvrir sur grand écran l'un des cinéastes contemporains en exercice les plus importants au travers de films comme Le Solitaire, La Forteresse noire, Sixième sens, ou encore de son premier film, Comme un homme libre.

 

 

Retrouvez les tests DVD de tous les films de Michael Mann en cliquant sur la photo :

 

 

Sources :
Filmdeculte
Écrannoir
Imdb.com

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