Oppenheimer : pourquoi la musique du film est une nouvelle folie de Christopher Nolan

Geoffrey Crété | 29 juillet 2023
Geoffrey Crété | 29 juillet 2023

Oppenheimer est-il l'ultime film du chef d'orchestre Christopher Nolan ? En tout cas, le réalisateur va toujours plus loin dans le travail sur la musique et le son, après Inception, Interstellar ou encore Dunkerque. Grâce à Ludwig Göransson.

Notre critique d'Oppenheimer, déjà l'un des meilleurs films de 2023

Qui n'a pas été hanté par Dream is Collapsing, Time, Stay, No Time for Caution ou The Mole après avoir écouté en boucle les BO d'Inception, Interstellar et Dunkerque ? Comme tant d'autres cinéastes, Christopher Nolan prête une attention particulière à la musique. Au fil des films, elle a même pris une place de plus en plus importante, comme l'ont encore prouvé Dunkerque et Tenet.

Et Oppenheimer en est une démonstration encore plus étourdissante, avec la BO hypnotisante de Ludwig Göransson qui transforme le film en gigantesque opéra radical. Et si c'était ça, l'ultime film-musical de Nolan ?

 

 

le chapitre hans zimmer

Il y a eu un avant et un après Hans Zimmer dans la carrière de Christopher Nolan. David Julyan avait signé les BO de ses premiers films (Following, Memento, Insomnia, et Le Prestige plus tard), mais c'est le musicien superstar qui a aidé à installer l'univers du cinéaste avec les BO de Batman Begins et The Dark Knight (composées avec James Newton Howard), The Dark Knight Rises, Inception, Interstellar et Dunkerque. C'est galvaudé, mais c'est vrai : la musique est devenue un personnage à part entière.

Cette belle collaboration a néanmoins été stoppée par Dune. Hans Zimmer a préféré Arrakis à Tenet, et Nolan a trouvé un nouveau collaborateur : Ludwig Göransson.

 

Interstellar : photo, Matthew McConaugheyRéécouter la BO d'Interstellar en écrivant l'article

 

En travaillant avec le compositeur suédois, remarqué grâce à Black Panther et The Mandalorian, Christopher Nolan a franchi un cap dans sa manière d'aborder la musique. Le film Tenet était beaucoup plus radical et tordu, et la BO de Göransson aussi, abandonnant les codes classiques des thèmes et des mélodies facilement reconnaissables pour expérimenter. Quitte à laisser de marbre, et être considéré comme un brouhaha étrange et mal mixé, loin des morceaux faciles à mémoriser d'Inception et Interstellar.

La BO d'Oppenheimer va encore plus loin, parce que le film marque encore une étape dans la carrière de Christopher Nolan. Plus que jamais, l'expérience passe par le son et la musique. Et plus que jamais, il a réalisé un véritable film-opéra, comme s'il avait dirigé un morceau de musique de 3 heures.

 

Oppenheimer : photo une Réécouter la BO de Tenet en écrivant l'article

 

Can't Stop the Music

Quelle est la particularité d'Oppenheimer alors ? Comme Requiem for a Dream, le film est porté par la musique de la première à la dernière seconde ou presque. C'est presque un morceau ininterrompu, comme si Christopher Nolan était autant chef d'orchestre que réalisateur. On entre dans le film comme si on montait à bord d'un train lancé à toute vitesse, qui émerge du silence avec un début très sec avant d'y retourner brutalement à la fin.

Est-ce que c'est éreintant et harassant ? Probablement. Mais c'est également hypnotisant et vertigineux.

Dès les premières minutes, le voyage commence sur les chapeaux de roue avec le fantastique morceau Can You Hear the Music. Alors que la vie de Robert Oppenheimer défile, et qu'il est tiraillé entre la réalité des choses et l'abstrait de l'immensément petit, la musique s'emballe autant que son cerveau. Plusieurs morceaux semblent s'entrechoquer, comme des atomes, pour créer un grand mouvement opératique qui donne des frissons, comme si quelque chose d'épique se produisait derrière les simples apparences. Comme si quelque chose de grand se préparait (au hasard, une bombe).

 

 

Le film prend ainsi le contre-pied des habitudes : ici, c'est le silence qui ponctue la musique, et pas l'inverse. C'est évidemment le parti pris de la scène de l'explosion nucléaire d'Oppenheimer, avec le morceau Trinity.

Comment figurer l'apocalypse, comment donner à voir et entendre l'inimaginable ? Nolan choisit la violence : jusqu'à l'explosion, c'est un crescendo digne d'un compte à rebours de Mission : Impossible, qui assèche la bouche et rend les mains moites ; puis, c'est le silence, assourdissant et interminable. Bien sûr, il y a la donnée scientifique (la vitesse du son, le décalage entre voir et entendre). Mais c'est beaucoup plus que ça.

 

 

sortez les VIOLONS

Christopher Nolan explique qu'il est parti d'une simple idée pour la musique avec Ludwig Göransson :

"Je lui ai suggéré de s’appuyer sur le violon. Il y a, dans le violon, quelque chose qui me semble correspondre parfaitement à Oppenheimer. La sonorité est fragile et totalement tributaire du jeu et de l’état émotionnel du musicien. Elle peut être magnifique à un moment donné, puis devenir effrayante et se dégrader soudainement. Il y a donc une tension – névrotique – qui parcourt la sonorité du violon qui, à mon sens, correspond bien à l’intelligence foudroyante et aux émotions à fleur de peau d’Oppenheimer."

Göransson s'est donc accroché à cette idée. Il a commencé avec un violon, puis un quatuor de violons, puis un octuor, jusqu'à ajouter des cuivres et arriver à des vertiges de sonorités angoissantes. Dans un autre film, les violons auraient été les portes-paroles des personnages. Mais Oppenheimer est construit sur les voix des humains, qui ne cessent de parler, crier, communiquer et partager des informations. La musique devient donc une sorte de compagnon de route pour le public, comme un métronome inarrêtable, lancinant.

 

Oppenheimer : photoChristopher Nolan et la subtilité de sa musique

 

Christopher Nolan n'a jamais fait autant parler et bavarder ses personnages que dans Oppenheimer, parfois jusqu'à la saturation. Les corps défilent, les visages se mélangent, et les mots s'accumulent sans aucun instant de répit ou si peu. Et dans ce tourbillon sans fin, la musique de Ludwig Göransson devient vite le seul repère fiable, solide, réconfortant. Même dans l'angoisse.

Quand Oppenheimer devient trop (bavard, complexe, long), c'est la musique qui prend le relais, faisant de Ludwig Göransson le véritable bras droit de Christopher Nolan. Et c'est ça qui en fait une expérience musicale folle.

 

Oppenheimer : Photo Cillian Murphy, Emily Blunt"Si tu écoutes encore une fois Can You Hear the Music..."

 

Contrairement à Interstellar ou Inception, où les morceaux habillaient majestueusement une séquence ou un moment, celle d'Oppenheimer est un flux quasi ininterrompu de sons et vibrations qui se mélangent ; comme le temps, les couleurs et le noir et blanc à l'écran.

À la fin, il y a une impression, qui devient une question : est-ce qu'on a vu un film accompagné par une BO, ou une BO illustrée par des images ? En essayant de réécouter la BO (expérience moins simple et agréable qu'avec Inception et Interstellar, sans surprise), on se dit que c'est bien plus compliqué et intéressant que cette dichotomie. Et que ça fait d'Oppenheimer une sorte d'opéra un peu fou, et unique en son genre.

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commentaires
Pasencoresourd
07/04/2024 à 22:27

Beaucoup de bruit, pourquoi? On a une pensée émue pour les dialoguistes dont le travail se fait massacrer par ces grincements, ces coups de marteau, ces couinements ininterrompus. Epuisant! Un opéra, ça?

SD007
20/11/2023 à 09:18

Pour ma part le film est bruyant et la bande sonor me bloque car les buitages sont satturant

Skostiss
01/08/2023 à 13:57

Effectivement la bo est à l'image du film qui est une baudruche cinématographique qui confond complication et complexité. Nolan n'est pas un auteur. Il n'a aucune vision singulière sur le monde. Il a de la chance d'exercer son métier à un époque où les critiques ne sont plus que des cinephages incultes. Les vrais critiques comme Pauline Kael qui ne laissaient pas impressionner par la virtuosité vide auraient démoli Nolan à juste titre.

John77
01/08/2023 à 10:00

Bah la musique colle parfaitement au film. Prétentieuse, insipide, vide de thèmes intéressants et le seul oscar que ce clown va décrocher, c'est celle de la meilleure musique d'ascenseur. Quand le public va-t-il ouvrir les yeux et enfin voir que Nolan est un gros tocard idiot?

Teemo1977
01/08/2023 à 09:35

Personnellement, j'ai adoré ce choix audacieux, ma femme n'avait pas remarqué que la musique appuyé tout le temps l'intrigue et l'image, qu'elle renforçait le silence aux moments opportuns.
Je pense que la BO serait difficile à l'écoute pour moi, tellement c'est mêler à ce qui se passe à l'écran. Je ne sais pas comment il a écrit ses partitions, mais, elles sont tellement synchrones avec le rythme du film, des scènes, que la BO ne va pas sans les images, et que les images ne vont pas sans la musique. Les deux, pour moi, sont organiquement mêlées entre elles. Un film, c'est plus que de l'image (n'est ce pas Avatar 2), c'est un tout, images, couleurs, histoire, et musique, sans les uns, les autres n'ont pas la même puissance.
C'est en partie pour cela que j'ai aussi adoré ce film, c'est qu'il est un TOUT.

BabaORum21
01/08/2023 à 01:32

Cette musique censée être un compagnon de route est une véritable torture qui gâche le film

jérôme volt
01/08/2023 à 00:41

J’ai vraiment apprécié la musique, on retrouve beaucoup d’emprunt à la musique du 20ème siècle de Reich à Penderecki (avec forcement le «Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima »). Je pense que c’est loin d’être innocent de la part de Nolan et Ludwig Göransson. On retrouve un peu la façon dont Kubrick utilisait la musique de Ligeti et… Penderecki.

Bob nims
31/07/2023 à 12:50

Bo de barbie > Bo de oppenheimer

Gégé l'ancêtre
31/07/2023 à 09:48

De la musique inspiré du modèle Hans Zimmer: des motifs et des nappes sonore à 1 voire deux accords qui immergent le spectateur et fonctionnent parfaitement pour instaurer des climats/ambiances. En revanche, aucun thème ou mélodie marquante dont on se souviendra dans 10/20 ans et c'est malheureusement le mal récurrent de la musique de film actuel, on privilégie le ressenti immédiat mais pas la mémoire avec une mélodie qui marque telle que pouvait le proposer un Ennio Morricone ou John Williams.

SimaoDoBrasil
31/07/2023 à 09:16

Je trouve comme bien d'autres que la BO est beaucoup trop envahissante. Je comprends le parti pris de la rythmer pour faire corps avec le film, mais je trouve ça assez raté. J'avais quelques fois l'impression de regarder une bande-annonce de 3 heures. Certaines scènes de dialogue se retrouvent submergées par la musique, et deviennent limite inintelligibles (problème de mixage son ou volonté artistique ?). Il faudrait peut-être que je la ré-écoute, mais je ne l'ai pas trouvé très inventive, notamment sur une des scènes clé, l'explosion du test Trinity, avec des violons qui s'emballent pour mettre du suspense, pas très recherché. Et effectivement, je suis sorti de la séance sans aucun thème à fredonner. A chaud, pas très emballé donc.

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