The Grudge : pourquoi la suite-reboot n'a pas du tout été à la hauteur

Lino Cassinat | 21 mars 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Lino Cassinat | 21 mars 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Alors que Blumhouse règne en maître sur le film d'horreur à petit budget, Sam Raimi a tenté de copier le modèle en ramenant le culte The Grudge. Pari réussi ?

Il en fait des envieux le modèle de Jason Blum et de sa société Blumhouse, maître de l'horreur produite pour une bouchée de pain et rapportant gros. Un exemple ? Le Halloween de 2018 aura été produit pour 10 millions de dollars seulement et en aura rapporté 255 millions dans le monde entier, soit plus de 25 fois la mise de départ (hors coûts marketing).

Alors, évidemment quand Sam Raimi en collaboration avec Sony nous pond un nouveau The Grudge en 2020, on suppose bien qu'il entend reproduire le même tour de force. Qu'en a dit le dieu box-office ?

 

 

LE BUDGET

Officiellement il semblerait que ce soit 10 millions de dollars. C'est en tout cas le chiffre avancé par Box-Office Mojo, mais une source de Deadline évoque un coût de production plus élevé entre 12 et 14 millions de dollars. Il faudrait ajouter à cela les coûts marketing, qui sont comme d'habitude inconnus mais qu'on imagine mal en-dessous des 5 millions de dollars. Ce nouveau The Grudge aura donc probablement coûté en tout et pour tout entre 15 et 20 millions de dollars.

Par rapport aux échelles françaises c'est beaucoup, mais pour une production américaine c'est vraiment bas voire franchement petit, et dans la plus pure tradition du film d'horreur moderne. Halloween version 2018 affiche également un coût de production de 10 millions de dollars, Conjuring : les dossiers Warren avait coûté 20 millions de dollars mais fait partie des locomotives du genre, tandis qu'Insidious se lançait avec un minuscule 1,5 million de dollars. La Rolls Royce du genre de mémoire récente reste la doublette Ça. Pilotée par New Line, la première moitié aurait coûté 35 millions de dollars et sa suite blindée de stars 79 millions, mais les deux films font figure d'exceptions.

À son échelle, The Grudge est donc un investissement plutôt dans la normale haute.

 

photo, Andrea RiseboroughLe niveau de panique est donc encore modéré

 

LE BOX-OFFICE MONDIAL

49,5 millions de dollars, et le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est pas terrible. Difficile d'y voir un désastre financier vu les faibles coûts engagés, mais clairement pas de quoi être satisfait pour un film s'inscrivant dans un genre populaire, distribué mondialement par Sony et avec des noms vendeurs comme Sam Raimi et The Grudge.

Comparé aux 95 millions d'un Action ou vérité, film tourné pour 3,5 millions au concept hautement foireux, tièdement accueilli par le public (B- sur CinemaScore) et massacré par la critique, on se dit immédiatement que quelque chose cloche.

 

photoUn truc cloche, mais on n'arrive pas à mettre le doigt dessus

 

Et il ne faut pas chercher bien loin pour obtenir la confirmation que quelque chose n'a pas fonctionné quelque part : s'il est difficile de comparer ce résultat avec les versions originelles japonaises, cette cuvée 2020 est loin derrière ses deux prédecesseurs américains eux aussi produits par Sam Raimi. Avec des coûts de production du même ordre, The Grudge 2 avait rapporté 70 millions de dollars et The Grudge version 2004 avait décroché le gros lot avec 170 millions de dollars de recettes mondiales. Le cru 2020 est donc dernier...

Pour Sony c'est aussi très clairement une douche froide : son Escape Game sorti à la même date l'année précédente avait soulevé un impressionnant 156 millions de dollars alors qu'il n'en avait coûté que 9 (hors dépenses marketing).

 

photoMaman, ma douche est trop froide

 

LE BOX-OFFICE DOMESTIQUE

Avec 21,2 millions de dollars accumulés en tout et pour tout, c'est vraiment faible, et si on prend toutes les estimations hautes des coûts de production et de marketing, ces derniers sont à peine recouverts par le territoire domestique seul. Mais l'aspect le plus significatif de l'exploitation US de The Grudge, c'est sa deuxième semaine.

Avec un démarrage à 11,3 millions de dollars, le premier week-end du film à domicile fait déjà peine à voir, et encore une fois, cette itération de la licence a la statistique la plus faible. Mais la tragédie reste à venir : The Grudge perd plus de 69% de ses spectateurs dès la deuxième semaine. Un film perd "normalement" plus ou moins un tiers de ses spectateurs semaine après semaine, parfois encore un peu plus dans le cas des gros blockbusters. En arriver à 69% est un signe qui ne trompe pas : le bouche-à-oreille n'est pas bon, voire franchement négatif.

 

photoDis-moi combien tu m'aimes

 

Preuve concrète : The Grudge est le 20e membre à rejoindre le club assez fermé des films ayant obtenu un F sur CinemaScore (ce qu'on trouve assez sévère compte tenu de notre critique), agrégateur de notes de spectateurs.

Une contre-performance historique, même si sa signification a quelques limites, le club en question comportant aussi bien des fumeux étrons consensuels à la Alone in the Dark que de films ayant cristallisés beaucoup de haine comme le remake de Solaris ou Mother!, qui font moins l'unanimité et sont encore débattus. Mais ce qui est sûr, c'est qu'à peine sorti, The Grudge a été quasi-immédiatement déboulonné par les spectateurs américains, et l'impact commercial a été particulièrement dur.

 

photoUn mur bien violent

 

LE BOX-OFFICE ÉTRANGER

28,3 millions de dollars, et une bonne soupe à la grimace : moins de dix territoires franchissent le cap du million de dollars. Fait étonnant, on constate certaines absences remarquables dans la région asiatique. The Grudge n'a en effet pas connu d'exploitation dans des territoires clés comme la Chine, la Corée du Sud ou le Japon, pays qui a d'ailleurs vu naître les premiers films de la franchise réalisé par Takashi Shimizu... et dans lesquels ont pourtant été sortis les remakes américains, rendant la décision de Sony de ne pas distribuer la version de 2020 dans ces pays difficiles à comprendre.

 

photo, William SadlerLaissez moi aller en Chine s'il vous plaît

 

LE BOX-OFFICE FRANÇAIS

Un tout petit peu moins de 215 000 spectateurs se sont déplacés pour aller voir le film de Nicolas Pesce, et Box-Office Mojo affirme que la France a rapporté 1,7 million de dollars au film. Ce faisant, la France est le troisième territoire international le plus intéressant pour The Grudge, derrière le Mexique et la Russie.

Pourtant il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir : la version américaine avec Sarah Michelle Gellar avait attiré plus du triple de spectateurs, et si The Grudge 2020 devance de nombreuses créations maisons récentes comme Grave ou La Nuit a dévoré le monde, ou de timides exploitations indé comme It Follows, il est loin de jouer dans la cour des grands et ne se hisse même pas à la hauteur des films Blumhouse en demi-teinte comme Happy Birthdead 2 You.

 

photo, Andrea Riseborough, The grudge, The grudge, John Cho, Demian Bichir, John Cho, Demian BichirLa France a fait ce qu'elle a pu

 

LE BILAN

En appliquant encore la bonne vieille formule à la louche des 60% du box-office domestique et environ un tiers des revenus internationaux, The Grudge 2020 aurait rapporté à ses investisseurs quelque chose comme 22 millions de dollars. C'est à peu près à la hauteur de ce que l'on estime ici au doigt mouillé des coûts combinés de production et de marketing. Même si l'exploitation video n'a pas encore démarré, aucun studio américain commercial ne produit des films en vue de réaliser des opérations blanches, surtout quand ils s'inscrivent potentiellement dans une saga pouvant donner plusieurs films.

Peut-être que Sony et que la société de Sam Raimi n'ont pas perdu d'argent. Peut-être même qu'ils ont gagné un petit revenu, qui sera un peu accru par la vidéo. Mais, commercialement, on ne peut pas appeler The Grudge autrement qu'un échec en bonne et due forme. D'autant plus qu'avec un taux d'appréciation aussi bas, il n'y a aucune chance pour qu'elle génère un culte qui pourrait lui donner une sorte de longévité souterraine comme un Blade Runner avait pu le faire en son temps.

 

photo, Tara WestwoodEt ça, c'est triste

  

LES RAISONS

Il y en a plusieurs à avancer : absence totale de star au casting, date de sortie encore encombrée par Star Wars : L'Ascension de Skywalker et Jumanji : Next level en amont et par des films plus populaires que d'habitude aux Oscars en aval. Mais les deux qui semblent parler le plus sont la faiblesse et la négativité du bouche-à-oreille.

Comme pour Le Cercle : Rings, on pourrait avancer que The Grudge a été ressucité trop tôt, alors que personne n'en était vraiment nostalgique. Avant même que le film ne sorte, la promotion a eu énormément de mal à fédérer une communauté d'anciens et nouveaux fans, et même à ne serait-ce qu'attirer l'attention. Deadline affirme que le taux de viralité (non on ne fera pas de blague sur le coronavirus) de The Grudge a été de 1/9, c'est à dire qu'un usager atteint par des contenus sponsorisés en "produisait" neuf autres qui entraient en contact avec ces mêmes contenus naturellement, sans être la cible d'une campagne de pub.

 

photo, Andrea RiseboroughVous avez à peu près trois secondes de mon attention

 

Cela vous paraît beaucoup ? Pour un film d'horreur, c'est en moyenne 1/25, toujours selon Deadline. Ce que cela signifie, c'est que le public cible du film n'a pas réagi à la promotion en ligne, et n'a donc pas suffisamment et avec trop peu d'enthousiasme "transmis" cette même promotion au sacro-saint grand public en amont de la sortie.

Enfin, le dernier problème semble être évidemment le film lui-même. Si à une viralité faible s'ajoute un bouche-à-oreille négatif, il n'y a alors plus rien à faire. Si non seulement peu de gens parlent de The Grudge mais qu'en plus quand ils en parlent c'est pour en dire du mal, il est très logique que les salles se vident rapidement. Enfin, reprécisons également que la distribution du film a été amputée de quelques territoires importants, ce qui ne peut que faire baisser ses résultats.

  

photo, Lin ShayePlus rien à faire, faut couper 

 

LES CONSÉQUENCES

Alors là, c'est très simple : The Grudge au cinéma, c'est terminé pour un moment. D'ailleurs il semblerait que Netflix ait mis ses grosses pattounes dessus et soit en train d'en faire une série, ce que l'on ne peut que comprendre après le succès d'un The Haunting of Hill House partageant de nombreux points communs (malédiction familiale, lieu hanté, temporalité éclatée).

Plus trivialement parlant, vu la faiblesse du risque économique que représentait le film, on imagine que ni Sam Raimi et certainement pas Sony ne seront mis particulièrement en danger financier. En revanche, l'image de marque du premier risque d'en prendre un coup. Le bien-aimé Crawl viendra tempérer cela (surtout après le coup de pouce de Quentin Tarantino), mais il y a une histoire personnelle de longue date entre The Grudge et Sam Raimi, et s'il n'y a pas de honte à échouer, se planter dans son domaine de prédilection reste particulièrement plus cuisant. La mention "produit par Sam Raimi" perd indéniablement de sa valeur.

Plus globalement, cet essai manqué pourrait bien calmer les ardeurs des reboots/remakes à tout va, devenus la règle à Hollywood mais auquel le genre horreur échappe encore en partie, même si cela pointe à l'horizon et qu'Halloween pourrait avoir changé la donne. À voir si le prequel annoncé de Massacre à la tronçonneuse et les prochains Candyman ou Spirale : L'Héritage de Saw enfoncent ou confirment cette tendance.

 

affiche française

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commentaires
Fred_NTH
22/03/2020 à 00:02

Ce qui m'a le plus choqué, c'est le manque de consistance des personnages, ils sont exposés de manière expéditives, le flic est caricatural, leurs passés sont à peine dessinés et trop clichés et on a bien du mal à s'attacher à eux.
Le scénario est cousu de fils blancs et les intrigues sont imbriquées de manière très approximatives. Le tout est assez prévisible. Il manque également d'une certaine modernité. Pourtant, le film est loin d'être laid, d'un point de vue esthétique.

Mera
21/03/2020 à 12:42

Si ce gros flop motive Raimi pour enfin revenir derrière la caméra (ouais Doctor Strange 2, mais j'y crois pas avant le premier jour de tournage) après déjà 7 ans d'absence, tant mieux !

prometheus
21/03/2020 à 11:30

Andrea Riseborough fait vraiment peine a voir physiquement, elle n'a plus que la peau sur les os.