Et c’est le temps qui court
Durant les années 2000, il y a eu cette tentative – rapidement avortée – de renouveler la grammaire du cinéma en l’accordant à une pop-culture alors nourrie par l’expansion d’internet. Bien qu’ils aient été des échecs commerciaux à leur sortie, Speed Racer des sœurs Wachowski et Scott Pilgrim d’Edgar Wright ont été des œuvres visionnaires, capables d’engendrer une impressionnante fluidité au travers d’un montage qui forçait pourtant l’hétérogénéité de ses sources d’images et de ses références. Paradoxalement, en imbriquant des pièces de puzzle qui n’étaient pas censées aller ensemble, ces films sont revenus à la base de ce que voulait dire un « plan », tout en élargissant cette définition par un affranchissement des règles.
Depuis, cette frénésie, mixant jeu vidéo, BD/manga ou encore animation japonaise, a été anoblie par une époque plus encline à accepter une telle approche (Everything Everywhere All At Once), et c’est dans cette mouvance que s’inscrit Escape From the 21st Century. Le film de Yang Li accentue la dimension absurde de son point de départ prétexte : en 1999, sur la planète K, trois ados ont la bonne idée de se baigner dans une eau où sont lâchés des produits toxiques. Ils obtiennent alors un super-pouvoir, qui leur permet de voyager vingt ans dans le futur… d’un simple éternuement.
Problème, le futur de 2019 est loin d’être radieux. Il est même plutôt plongé dans une nuit métallisée tendance cyberpunk dystopique, où nos trois lurons se rendent compte que leur « soi » du futur est aux prises avec un complot mafieux et technologique. La première grande idée, similaire à Speed Racer et Scott Pilgrim, tient à la peinture de cette jeunesse transgressive, dont la soif de progrès et de liberté ne peut qu’être contenue par cette mise en scène sans limites.
Changements de ratios, incrustations animées, effets clippesques, couleurs pétaradantes : tout y passe dans ce collage qui tient à se faire remarquer. La démarche pourrait sembler rapidement stérile, mais Yang Li l’incarne par une profonde candeur, là aussi concordante entre ses protagonistes et sa mise en images. La soif d’expérimentation d’Escape From the 21st Century s’interroge sur le pouvoir d’évocation d’un raccord, sur sa capacité à relier les dimensions, les époques, les décors et les psychés.
Retour à la case départ, comme l’enfant qui met tout ce qu’il trouve dans sa bouche, avec cette innocence qui a fait la magie de Méliès et Dziga Vertov. Le long-métrage évoque cette pureté des premiers temps, à laquelle on aurait ajouté plus d’un siècle de cinéma et l’évolution de nos pratiques de consommation de l’information audiovisuelle, notamment sur les réseaux sociaux.

TDH, le film
Pour ne pas mentir, Escape From the 21st Century donne parfois l’impression d’avoir ingurgité trois Red Bull tout en jouant à Mario Kart d’une main et en scrollant sur Instagram de l’autre. Pourtant, c’est diablement revigorant, peut-être parce que cette vision s’impose comme le renouveau du « cinéma d’attractions » tel qu’on l’imaginait au début du 20e siècle.
Et puis, l’assimilation de cultures du film ne serait rien sans le socle que constitue son trio de héros. Merveilleusement croqués et caractérisés, ils incarnent une génération sacrifiée, contrainte de sauver le monde malgré leur manque de maturité. Les va-et-vient permanents du récit entre les époques matérialisent aussi leurs doutes et leurs peines (surtout de cœur). Yang Li se veut touchant, et croit profondément à cette jeunesse et à sa capacité d’action, alors qu’elle a hérité injustement des erreurs de ses parents.

Dès lors, le cinéaste évite soigneusement le discours du « c’était mieux avant », et filme avant tout l’année 1999 comme le terreau fertile d’une mélancolie qui encapsule déjà tous les problèmes à venir du futur. Oui, l’innocence de l’enfance a quelque chose de rassurant, mais le réalisateur lui préfère la beauté d’une conscience politique qui naît avec l’adolescence, pour peu qu’on la fructifie. Un bien joli postulat, embarqué dans un écrin de film d’action et de science-fiction survolté et innovant, bien qu’un peu foutraque. Que demande le peuple ?
