Le Monde après nous : critique de notre apocalypse sur Netflix

Alexandre Janowiak | 7 décembre 2023 - MAJ : 08/12/2023 14:52
Alexandre Janowiak | 7 décembre 2023 - MAJ : 08/12/2023 14:52

Après avoir passionné le monde avec l'excellente série Mr Robot et embrassé un public moins large avec la non-moins passionnante Homecoming, le réalisateur, scénariste et producteur Sam Esmail est de retour avec un film sur NetflixLe Monde après nous (Leave the World Behind en version originale). Adaptation du roman éponyme de Rumaan Alam, ce thriller psychologique sur fond d'apocalypse est mené par un casting de rêve (Julia RobertsMahershala AliEthan HawkeMyha'la Herrold) et aussi Barack et Michelle Obama (oui oui) à la production. Et après Don't Look Up et White Noise, Netflix continue décidément à nous rappeler que l'humanité court à sa perte.

knock at the villa

Dans The Killer, David Fincher dénonçait avec un certain cynisme la manière dont le monde se mettait inévitablement en danger à cause de son usage intensif et, de facto, sa dépendance aux technologies. Et d'une certaine manière, Le Monde après nous pourrait être une suite spirituelle et thématique du film de David Fincher. Dans Le Monde après nous, Clay, Amanda et leurs deux enfants (Archie et Rose) se rendent en week-end dans une luxueuse villa louée sur Airbnb afin d'échapper à l'effervescence new-yorkaise (Amanda "déteste les gens").

Sauf que le soir même de leur arrivée, deux inconnus frappent à la porte. GH et Ruth, un père et sa fille (comme ils se présentent), affirment être les propriétaires, qu'une panne de courant a paralysé la ville et qu'ils sont donc venus trouver refuge dans leur luxueuse demeure. Le début d'une analyse captivante de notre asservissement inconscient aux technologies et la façon dont leur absence pourrait nous plonger dans une horreur quasi-insurmontable.

 

Le Monde après nous : photoUn Airbnb de qualité

 

C'est indiscutablement ce qui ressort principalement de Le Monde après nous. Dès son plan-séquence inaugural (suivant un générique à la Saul Bass modernisé), le film suggère que la véritable tragédie moderne se cache bien dans notre besoin de connexion permanent. Non plus celui idéalisé des débuts d'Internet, où la virtualité devait dépasser les frontières physiques pour tous nous rapprocher, mais bien uniquement celui nous ayant peu à peu enfermés dans nos bulles respectives. Ainsi, alors que la petite famille est en route pour sa location, la caméra circule à l'intérieur de la voiture dans un mouvement ultra-fluide (rappelant Les Fils de l'homme ou La Guerre des mondes), passant d'un personnage à un autre.

Le moyen de faire un constat flagrant : la famille a beau être ensemble, chacun vit une aventure isolée (la mère au téléphone, le père à la radio, le fils avec sa musique et la fille sur Netflix). Du moins, jusqu'au moment où la jeune fille perd Internet, se voit obligée de réfléchir à comment rêver autrement et regarde le paysage, la nature, en comprenant que le réel ne se trouve pas vraiment dans sa série. Ce n'est sans doute pas anodin si c'est elle qui, par la suite, remarquera le plus les bouleversements en cours autour d'elle (et plus encore). Que se serait-il passé à la plage, entre autres, si Rose avait eu le nez rivé sur sa tablette pour regarder Friends ? Mystère.

 

Le Monde après nous : photoDeux mondes sur le point de s'affronter ?

 

l'apocalypse aux trousses

Le message sur notre hyper-connexion (taclant d'ailleurs subtilement Netflix et les plateformes de streaming) n'est pas franchement novateur en vérité, mais prend une autre dimension dans Le Monde après nous. Au-delà des affres de la technologie, le livre de Ruman Alaam capturait avec habileté les dérives de la société, ses problèmes de communication, ses préjugés sociaux et raciaux, ses déchirements relationnels, au coeur d'une apocalypse qui taisait son nom, mais remettait en cause le sens de nos existences. Avec son adaptation, Sam Esmail développe les mêmes thématiques (par exemple, le racisme discret, voire possiblement inconscient, d'Amanda) et en décuple la puissance.

Qu'il pastiche à la fois Panic Room de David Fincher avec des mouvements de caméra dépassant les limites du possible ou tout le cinéma d'Alfred Hitchcock (une scène de drone rappelant la poursuite mémorable de l'avion de La Mort aux trousses, le rôle des animaux remémorant Les Oiseaux, un petit caméo sinistre du réalisateur typiquement hitchcockien...), Sam Esmail réussit, grâce à sa maitrise du cadre et son audace visuelle, à créer une tension durable.

 

Le Monde après nous : photoAbasourdis et ébaubis

 

Rien de bien surprenant venant du monsieur – il avait déjà montré l'étendue de son talent sur Mr Robot (auquel le cinéaste fait quelques clin d'oeil) –, et pourtant, c'est d'autant plus impressionnant que Le Monde après nous décide de malmener sa structure narrative. En choisissant volontairement de transformer sa mise en scène de manière inattendue, jonglant entre des zooms, travellings, effets de torsion et de rotation, jeux sur le hors-champ ou mouvements de caméra lunaires, Sam Esmail renforce à la fois le sentiment de paranoïa des personnages et des spectateurs.

C'est bien simple, malgré son chapitrage clair et précis, Le Monde après nous ressemble à un petit chaos. Parfois, c'est pour le pire, il est vrai. comme lorsque le film subit un petit ventre mou, que sa mise en scène semble légèrement tape-à-l'oeil ou que les musiques pops sont utilisées de manière un peu trop exubérante. Mais ce faux désordre est souvent pour le meilleur, car Le Monde après nous déconcerte constamment.

 

Le Monde après nous : photo, Mahershala AliIl y a évidemment des plans débullés aussi

 

En faisant corps avec la confusion croissante des personnages (de plus en plus attachants), la mise en scène plonge aussi les spectateurs dans un état d'incertitude très angoissant rendant l'expérience du visionnage régulièrement malaisante. Le film s'appuie d'ailleurs magnifiquement sur la bande-originale anxiogène de Mac Quayle pour ajouter à la torpeur saisissant les protagonistes, et le montage de l'excellente Lisa Lassek (La Cabane dans les bois, The OA).

En mêlant les styles – transition très douce et raccord violent, longue discussion apaisée en huis clos et montage parallèle ultra-tendu aux quatre coins des lieux, jeu de suspense très minimaliste et soudain déchainement de spectacle digne d'un blockbuster – et les tonalités (de l'humour, de la poésie), Le Monde après nous bouscule les attentes. Le danger apocalyptique planant au-dessus des personnages s'accentue et ils doivent impérativement évoluer, renouveler leurs priorités, retrouver une connexion humaine, pour s'adapter à cette situation incontrôlable.

 

Le Monde après nous : Photo Mahershala Ali, Julia RobertsAvez-vous bien observé ce tableau ?

 

le début de la fin

Autant dire que Le Monde après nous est un petit précis de tension, d'autant plus terrifiant qu'il reflète une réalité que notre monde semble refuser d'entendre, préférer nier ou se délecter d'observer dans des fictions (le succès de Don't Look Up en dit long). "Leave the World Behind" ("Laissez-le monde derrière vous" en français) affichait l'annonce du Airbnb selon Amanda, et c'est finalement ce que les personnages vont devoir accepter de faire au fil du récit, qu'ils le veuillent ou non. Car l'avenir que la société a construit semble bien plus dangereux qu'un brusque retour aux sources non désiré qui désintégrait notre commode quotidien si durement acquis.

"J'ai toujours considéré Le Monde après nous comme un récit de mise en garde et je le dis, car ce film est dépourvu de trajectoire de héros ou de leçon de morale. Il décrit la situation dans laquelle se trouve le monde, la direction qu'il pourrait prendre et les possibles conséquences de tout ça", explique Sam Esmail dans le dossier de presse. Un avertissement encore plus préoccupant quand on sait que le film est produit, entre autres, par l'ancien couple présidentiel : Barack et Michelle Obama.

 

Le Monde après nous : photo, Julia RobertsUn cri d'alarme

 

Les Obama ont signé un contrat en or avec Netflix en 2018, eux qui ont "toujours eu foi en la puissance du récit" pour s'inspirer, réfléchir différemment sur le monde et aider à ouvrir les esprits et les cœurs. Pour Le Monde après nous, Sam Esmail n'a donc pas hésité à consulter l'ancien président des États-Unis pour parfaire son scénario. Le moyen de "comprendre comment les choses pourraient se dérouler dans la réalité" comme le révélait le réalisateur à Vanity Fair, Barack Obama fondant en partie ses remarques sur des observations réelles vécues à son ancien poste.

L'éco-anxiété, la paranoïa, l'effondrement psychologique... frappant les personnages de Le Monde après nous n'est donc pas une simple fiction, mais émane, au moins un peu, d'une réalité sourde. Qu'un personnage puisse affirmer que "personne n'est aux commandes, personne ne tire les ficelles" dans un film produit par un ancien président ayant, a priori, tout fait pour le rendre le plus réaliste possible a tout d'une confidence alarmante. Bien sûr, les élites ont un temps d'avance sur le reste du monde (il ne faut pas être naïf), mais le message est clair : il serait temps que chacun reprenne le contrôle pour éviter le pire.... même s'il est sûrement déjà trop tard. Si ça ce n'est pas suffisamment effrayant...

Le Monde après nous est disponible sur Netflix depuis le 8 décembre 2023 

 

Le Monde après nous : Affiche française 2

Résumé

La fiction semble plus proche que jamais du réel dans Le Monde après nous, et venant d'un thriller apocalyptique, ça n'a rien de rassurant.

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commentaires
Andarioch1
06/01/2024 à 14:18

Je lis les commentaires et je suis relativement troublé.
Car pour une fois, à part les 2, 3 habituels bas de plafond, les pour et les contre argumentent avec une certaine pertinence. Du coup impossible de choisir le camp des bons et de répondre en opposition frontale à ceux qui sont de l'autre côté de la tranchée.
Reste certaines critiques que je ne comprend pas.
Bon moi, j'ai adoré. Pas ennuyé une seule seconde, tendu comme un string du début à la fin, ...
La mise en scène est brillante et non, de mon point de vue, ne fait pas dans l'esbrouffe gratuite mais sert le récit. J'en veux pour exemple ce plan qui m'a marqué: Hawke tend un verre d'eau à Roberts, qui est allongée sur le lit. la caméra est tournée de façon à ce que le verre soit pour le spectateur comme couché. Le visage en arrière plan de JR se reflète à l'envers dans l'eau. Outre le fait que ce plan créé un inconfort certain, il illustre surtout la confusion mentale des protagonistes, le chaos. On peut trouver ça exagéré, maladroit peut-être, mais en aucun cas gratuit.

Dudu dit: "tous les personnages sont tellement détestables (et je ne pense pas que c'était forcement le souhait du réalisateur)"
Julia Roberts, désagréable, limite méchante, et Miha'la Herrold, intolérante et vindicative, partagent un racisme plus ou moins conscient. Hawke est lâche. Ali fait un boulot d'enfoiré.
Tout ça ne me semble pas dû au hasard ou à une erreur du réal (soyons sérieux)

Patruelbrick dit: "Au niveau de l'interprétation rien à redire, les comédiens sont tous très bons sauf Kevin Bacon qui est en totale roue libre et dont le rôle est vraiment cliché"
Cliché Bacon? Pas vraiment. D'ordinaire on est sur du redneck benêt, pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, qui enfile les perles complotistes trumpistes plus vite que son ombre. Là au contraire on a un gars qui a un discours cohérent. Pas humaniste certes, mais cohérent. Quand il commence à parler des coréens et des chinois on croit voir surgir d'un coup le fan de Qanon. Mais non, quand Hawkes lui montre le flyer écrit en arabe il comprend immédiatement son erreur et le fait que tout ça n'est qu'une campagne de déstabilisation. Pas caricatural donc, bien au contraire.

Beaucoup parlent du manque d'originalité, du côté prévisible du scénario. J'ignore comment argumenter du contraire. Donc pas d'accord, de mon point de vue

Trop long? Si c'était mal fait, oui. Mais en l'occurrence, entre l'excellence des acteurs et de la réal, ça passe crème.

La fin? Difficile de dire qu'il n'y a pas de fin. Même si ce n'est pas présenté de la manière la plus subtile (un des perso fini par dire ce qu'il sait), on sait enfin ce qu'il se passe. La suite des évènements pour les personnages, c'est une autre histoire.

Bref, pour moi, une belle découverte, une soirée pas perdue (c'est si rare), la confirmation d'un talent, et la satisfaction de voir que Netflix sait aussi produire des choses intéressantes

Une vraie perte de temps!
27/12/2023 à 03:53

Film qui rappelle les films d’horreur de mon enfance avec une fin plus que stupide! Une vraie perte de temps, quoi! …et que penser de nos critique qui qualifient ce film de brillant?

Sanchez
12/12/2023 à 09:22

Un film qui n’est pas dénué de qualités mais qu’il est bcp trop artificiel sur pleins d’aspects. Déjà il est assez drôle de voir que le couple Obama produit un film si complotiste. Aussi il faudrait dire à netflix que faire des films à rallonge ne fait pas des « grands films » , c’est l’inverse. 2h20 pour un film d’angoisse, que c’est long ! Si on enlevait tout les éléments complètement artificiels et incohérents du film on atteindrait un 1h50 bien plus justifié. Les animaux , la perte des dents , qu’est ce que ça vient faire dans cette histoire absurde de coup d’état ? Les animaux ont un comportement bizarre en cas de catastrophe naturel, ce n’est pas le cas ici. Et les dents … tout ça pour ajouter du boody horror complètement artificiel. Les darons vont chercher des médicaments pour le fils … pour une chute de dents ! Je savais pas que ça existait. Et on a 2 avions qui , par une incroyable facilité de scénario, se crachent exactement au même endroit. Et où sont passé les gens ?? Ils semblent tous avoir déserté leur logement mais on ne sait pas pourquoi.
On voit bien que le réalisateur essaye de nous enrober ça dans une mise en scène complexe , mais là encore il en fait trop et pense que mettre la caméra à l’envers le mettra au Panthéon des grand cinéaste. La caméra qui passe à travers la fenêtre brisée , ça n’a aucune utilité. Quand Fincher faisait passer sa caméra à travers la hanse d’une teillere, ça avait du sens, la non.
La principale qualité du film vient du thème lié à la petite fille (l’influence de la fiction dans la vie, l’importance du support physique), très peu traité au cinéma. Le cinéaste a voulu finir son film en faisant une fois encore le gros malin mais on a plus un sentiment d’arnaque qu’autre chose . Surtout qu’on nous suggère finalement un gros Happy end (tout le monde est sauvé dans un abris de luxe, dont les propriétaires ont disparus pour une raison inconnue), ce que Sam Eismail n’assume absolument pas.

Danysparta
12/12/2023 à 02:32

Adoré ce film, pas vu une réal aussi classe et qui sert le récit aussi bien, non les mouvements de caméra ne sont pas là pour faire beau, il traverse les murs ou les vitres comme si la maison était virtuelle et n'existait pas Julia Roberts loue la maison à un inconnu virtuel mais se méfie dès que ce dernier frappe à la porte en chair et en os, voir également la signification des persos et de la couleur bleu qui donne tout son sens à la fin et la rend encore plus pessimiste.
Bref, un grand film à voir et à revoir.

Baptman
12/12/2023 à 00:27

Heureusement que les acteurs sont bons et sur nous sommes un semblant perdu pour la première partie (jusqu'au drone). Car je trouve que le film loupe son sujet. On a du mal a ressentir le moindre affect pour les protagonistes. L'impression de voir une thérapie bourgeoise sur les vacuités tecnhophiles. La réalisation est démonstrative sans intérêt pour le récit.

Euh
11/12/2023 à 18:12

Trop long, trop brouillon, malgré une mise en scène parfois brillante et 20 premières minutes tendues. Puis tout y passe, pour que chaque puisse y trouver une critique facile du monde actuel, et on se lasse vite des mystères et de chaque personnage, plus détestables l'un que l'autre.

Boddicker
11/12/2023 à 15:02

Mouais, bof, beaucoup trop de gras à mon avis... trop de longeurs, trop de scènes ridicules... ça rentrai largement dans un format 4 ème dimension.
Sinon c'est sympa l'idée du fantasme Hacking/Coup d'état blah blah blah, mais si vous voulez plus de réalisme, regardez plutôt l'état du conflit du moment, celui qui est en train de changer la face du monde, l'escalade, la propagande, le comportement des gouvernants, les répercussions etc... etc...
C'est moins branché, sexy et ça fait vraiment plus peur :)

Franken
11/12/2023 à 11:40

Décidément, après le (génial) film de Fincher, Netflix finit l’année en beauté.

Sam Esmail joue avec les attentes, les personnages, les cadres, le son, les symboles avec une maîtrise qui fait plaisir à voir. Ça laisse quelques réserves, mais ça fait un bien fou.

Et la fin, pessimiste, pertinente et cohérente dans la narration, est juste parfaite.

Meg
11/12/2023 à 04:07

Un sentiment de malaise peu conventionel, et une fin inachevée. Je n'en ferais pas mon film de référence

La Classe Américaine
10/12/2023 à 20:08

Belle promesse non tenue. Plus on avance dans le récit, plus le mystère se dissout et moins le film devient passionnant. Jusqu'a cette non-fin totalement hors sujet. C'est très bavard et visuellement assez mal fichu. Reste des acteurs exceptionnels.

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