Le Garçon et le héron : critique du chef-d'oeuvre de Miyazaki

Déborah Lechner | 1 novembre 2023 - MAJ : 03/11/2023 18:24
Déborah Lechner | 1 novembre 2023 - MAJ : 03/11/2023 18:24

Hayao Miyazaki n'avait pas réalisé de long-métrage depuis le mélancolique Le Vent se lève en 2013, qui à l'époque avait été annoncé comme le point final de son oeuvre cinématographique. Son retour sur grand écran dix ans plus tard est donc autant un événement rare qu'un rendez-vous immanquable (que nous n'avons donc pas loupé). Mieux encore, on peut dire que l'attente en valait largement la peine, puisque Le Garçon et le héron est bel et bien le chef-d'oeuvre attendu du maître japonais. 

LE CHANT DU Héron 

Le Garçon et le héron est le long-métrage d'Hayao Miyazaki qui a nécessité le plus de temps de travail  sept ans, très exactement. Cette longue production témoigne bien du travail d'orfèvre du cinéaste et de ses exigences plastiques, qui atteignent ici des sommets après des années de maturation. Pendant près de deux heures, le film fait ainsi défiler quantité d'images subjuguantes, que ce soit des paysages désolés ou des fragments et détails particulièrement soignés, notamment pour les éléments naturels, de l'ondulation de l'eau à son ruissellement en passant par le mouvement d'une flèche qui fend gracieusement l'air.  

Le dessin est toujours aussi délicat, les couleurs vives et les idées foisonnantes et extravagantes, en particulier les transformations monstrueuses du héron. D'une technicité sans faille, cet artisanat dévoile toute sa grandeur et sa puissance dès la scène d'introduction littéralement flamboyante où le trait se veut plus vibrant et furieux qu'à l'ordinaire, presque évanescent, pour esquisser des tableaux abstraits et toiles expressionnistes et ainsi plonger plus profondément encore dans le coeur et la tête du créateur.

 

photo

 

Miyazaki rouvre donc en grand les portes de son imaginaire si singulier pour nourrir son douzième long-métrage de ses principales obsessions thématiques : le rapport à la nature et à l'enfance, le deuil, les bouleversements sociaux du Japon et le contraste entre la ville et la campagne. On pourrait ainsi s'amuser à lister tous les motifs qui tendent un miroir à ses précédents films ou à rembobiner tous les fils rouges de son oeuvre, mais ce nouveau rêve éveillé mérite mieux qu'une simple comparaison à Princesse Mononoké ou Le Voyage de Chihiro (dont la structure est a priori la plus proche).

Surtout que cette accumulation d'autoréférences et d'éléments familiers n'est pas tant un best of autosatisfait qu'une possible remise en question. Les deux exemples les plus frappants sont d'une part ce grand château en ruines presque maudit où le Grand-Oncle du protagoniste s'est enfermé et a fini par disparaître, tel un vieux Miyazaki devenu le prisonnier de son propre univers. De l'autre, il y a cet immense rocher en lévitation, la source des pouvoirs de cet entre-deux-mondes, qui peut aussi être vu comme la forme la plus épurée et élémentaire des machines volantes complexes qui ont survolé toute son oeuvre, du Château de Cagliostro jusqu'au Vent se lève. Mais dès lors, quel sens donner à tout ça ?

 

Le Garçon et le Héron : photoLa Pierre d'où tout découle

 

ET VOUS, COMMENT interpréterez-VOUS ?

Comme il est écrit sur le portail à l'entrée de cette dimension tentaculaire : "Tous ceux qui cherchent à comprendre périront". S'il y a bien une réplique sur laquelle se reposer, et paradoxalement fonder un début d'analyse, ce pourrait bien être celle-ci. Au détour d'une simple phrase, Miyazaki invite malicieusement son public à lui faire confiance, à se laisser embarquer, consentir à se perdre avec lui sans forcément tout saisir, à l'image du jeune garçon baladé d'un endroit à un autre, d'une réalité à une autre, sans réelle emprise sur les événements. De là à forcer la comparaison avec Alice au pays des merveilles, il n'y a qu'un pas. 

La narration est donc un flot incontrôlable, qui ne suit pas une ligne droite, mais s'autorise des détours, parfois plus agréables qu'utiles, quelques demi-tours et traversées complètement nébuleux. Le voyage devient ainsi une odyssée et la foi du public une sorte de phare dans la nuit. Mais comme il a pu être difficile de ne pas céder aux sirènes de la bande-annonce (personne ne juge), il est impossible de résister à l'envie d'intellectualiser une expérience aussi riche et intrigante, surtout quand l'exercice de la critique l'impose en quelque sorte. 

 

Le Garçon et le Héron : photoUne envie brûlante

 

Car durant une majeure partie du film, Miyazaki donne l'impression de s'adresser à lui-même, comme s'il regardait tristement en arrière en attendant la mort, dont le monde crépusculaire et souvent inquiétant a tout d'une métaphore. Le récit peut donc être pesant et contemplatif, voire parfois cruel comme avec l'agonie pathétique des pélicans dont la survie est injustement menacée ou ces perruches mangeuses d'hommes cyniques et voraces qu'on peut voir comme les exigences commerciales toujours plus insatiables d'une l'industrie en constante évolution.

Pourtant, le film est loin d'être pessimiste ou morose. On pourrait même le voir comme la seconde pièce d'un diptyque autobiographique formé avec Le Vent se lève, qui reste en comparaison son oeuvre la plus tourmentée et dont Le Garçon et le héron serait à l'inverse le pendant lumineux.  

 

Le Vent se lève : photoLe Vent se lève

L'HéRITAGE n'a pas d'âge

Le Garçon et le héron a tout d'un conte initiatique presque banal dans sa construction, mais cette histoire de passage à l'âge adulte raconte autant la fin d'une ère que le début d'une nouvelle. Les deux combinés évoquent de fait une dynamique cyclique, une promesse de renouveau et même de renaissance après la mort (avec la grossesse de Natsuko pour expliciter le propos). Entre la Seconde Guerre mondiale, le remariage de Shoichi et leur départ à la campagne, Mahito fait face à des bouleversements inévitables. Et cette nouvelle vie qui l'angoisse et l'attriste n'est pas sans rappeler la situation actuelle du studio Ghibli. 

Il a longtemps été question de trouver "l'héritier" de Miyazaki, celui (ou celle, sait-on jamais) qui sera capable de prendre sa relève et de porter Ghibli après sa disparition et celle d'Isao Takahata en 2018. Mais le réalisateur semble balayer ses préoccupations d'un revers de main. Le Grand-Oncle (qui n'est d'ailleurs pas nommé autrement) est lui-même à la recherche de son successeur, de celui qui reprendra le contrôle de la Pierre, continuera son oeuvre et quittera donc le monde des Hommes pour demeurer seul et insensible dans le château. 

 

Le Garçon et le Héron : photoLe maître du Haut Château

 

La fin du film suggère ainsi que ce dénouement n'est pas une solution souhaitable, mais plutôt un fardeau et une privation de liberté évitables. Il n'y aura pas de "prochain Miyazaki", il n'y aura que de nouveaux cinéastes qui construiront leur propre univers, développeront leur propre iconographie et trouveront leurs propres sensibilités.

Ainsi, le château dont l'équilibre était déjà précaire finit par s'effondrer, bien que quelques créatures et éléments subsistent malgré tout. Il restera donc du cinéma de Miyazaki des influences majeures et autant de sources d'inspiration pour les prochaines générations, de la même façon qu'il a lui-même été influencé et inspiré par ses aînés, Walt Disney ou Paul Grimault. Il y a donc une humilité touchante, presque réconfortante, qui se dégage de ce récit pourtant très élégiaque et prétentieux au premier abord. 

 

Le Garçon et le Héron : le film mystère de Miyazaki a enfin une date de sortie françaiseUne fin tellement apaisée par rapport  au reste du film

 

Après s'être penché sur le pouvoir du créateur et le caractère potentiellement ravageur de la création dans Le Vent se lève, Miyazaki prépare donc le studio Ghibli à son départ, voire sa mort, même si la préparation d'un nouveau film saperait malheureusement ce beau message pour l'avenir. Évidemment, Le Garçon et le héron sera encore largement commenté dans les mois et les années à venir, offrant certainement de nouvelles pistes et clés de lecture à chaque nouveau visionnage, ce qui en fait d'ores et déjà une oeuvre infiniment précieuse et fascinante.

 

Le Garçon et le héron : affiche officielle

Résumé

Le Garçon et le héron est tout simplement le chef-d'oeuvre d'Hayao Miyazaki, son oeuvre la plus riche, réfléchie et encourageante, du moins pour l'instant.

Autre avis Geoffrey Crété
C'est tellement beau que certaines scènes sont à couper le souffle, mais difficile de garder le fil émotionnel de ce récit aussi riche qu'éparpillé.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.7)

Votre note ?

commentaires
Marc en Rage
10/04/2024 à 16:40

LE GARÇON ET LE HÉRON" D'HAYAO MIYAZAKI REMPORTE L'OSCAR 2024 DU MEILLEUR FILM D'ANIMATION

Marc en RAGE
11/01/2024 à 00:14

Le Garçon et le Héron de Hayao Miyazaki a remporté dimanche le Golden Globe 2024 du meilleur film d'animation, le premier pour le réalisateur et son Studio Ghibli.

Marc
30/11/2023 à 14:16

@ briley

Dommage que tu n'a pas été Touché par L'histoire de MAHITO et la rencontre du Héron et de l'oncle ...ce film le plus autobiographique de Hayao Miyazaki ce qui le rend encore plus émouvant un témoignage de sa vie ( sa mère est morte quand il était enfant son père qui travaille dans les ateliers d'Avation ) trouver un Successeur pour continuer son œuvre LE STUDIO GHIBLI.
Le Garçon et le HÉRON ☆☆☆☆☆

briley
29/11/2023 à 19:53

quel ennui profond ! visages inexpressifs et surtout scenario complètement décousu , du grand n'importe quoi . par contre le travail de formes couleurs et mouvements est impressionnant . mais au service de quoi ? bref très décevant . 2 h de perdues !

michel rale
20/11/2023 à 00:26

"ces perruches mangeuses d'hommes cyniques et voraces qu'on peut voir comme les exigences commerciales toujours plus insatiables d'une l'industrie en constante évolution"... Bigre ! L'autre jour, c'était une référence au grand méchant capitalisme dans les premières scènes de Vincent doit mourir. Rebelotte aujourd'hui avec les perruches. Ça tourne à l'obsession gaucho-marxiste ici. Faudrait penser à se remettre les idées en face des trous...

Marc
13/11/2023 à 12:05

@Bigbisou73

Le Studio Ghibli on choisit le titre en Anglais THE BOY AND THE HÉRON pour une diffusion mondiale. Le titre originale " Et vous, comment vivrez-vous " inspiré du roman de 1937 écrit par Genzaburo Yoshino.

Bigbisou73
12/11/2023 à 23:21

Toujours pas compris pourquoi la traduction française n’a pas gardé le titre original plutôt que d’inventer le garçon et le héron, qui n’a aucun sens et rien avoir avec l’œuvre.
Sinon comme d’habitude image magnifique, conte féerique.

Olibn14
08/11/2023 à 23:47

Excellent film d'animation ! (mais je crois avoir aimé tous les Miyazaki et je trouve qu'il n'y a aucun sens à les hierarchiser). C'est un plaisir de se laisser transporter dans un récit dont on ne sait jamais quelle direction il va prendre. Les scènes s'enchaînent avec fascination et émerveillement. Je reste très impressionné par sa créativité, toujours intact ! Son héritage sera très grand.

Liddak
08/11/2023 à 21:43

@MoiLeVrai Il serait incohérent de séparer le réal du film, tant on semble ressentir le poids de ses émotions, de son âge, de son rapport à son art dans ce film. C'est la raison explicative à l'impression de narration décousue, au "manque de scène" typique de ces précédents films. J'ai trouvé le film d'une mélancolie profonde, que l'humour cynique matinée de légèreté ne peut réellement faire oublier.

C'est un adieu et un élan d'amour à son langage cinématographique, et potentiellement, certains choix nous échappent car leur genèse nous échappe. Nous ne sommes pas à l'aube de notre crépuscule.

Marc
06/11/2023 à 23:39

@Cidjay

Il faut le voir et le revoir pour rentrer dans cette histoire, Déja vu 2 fois et La bonne nouvelle HAYAO MIYAZAKI est déjà sur un nouveau projet pour tout le bonheur de tout les fans.
Le garcon et le Heron un chef d'œuvre ☆☆☆☆☆

Plus
votre commentaire