La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar : critique du coeur de Wes Anderson sur Netflix

Axelle Vacher | 28 septembre 2023 - MAJ : 28/09/2023 14:00
Axelle Vacher | 28 septembre 2023 - MAJ : 28/09/2023 14:00

Quelques mois seulement après avoir présenté Asteroid City à la Croisette, Wes Anderson a investi la Mostra de Venise avec La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar. Destiné à la plateforme Netflix, le moyen-métrage transpose pour la première fois le récit d’une nouvelle écrite par son père spirituel, Roald Dahl, dont il avait déjà eu l'occasion d'adapter le travail en 2009. Testament indubitable de l'affection que porte le cinéaste à l'auteur, Henry Sugar semble toutefois souffrir les mêmes lacunes que son décevant The French Dispatch.

une merveilleuse histoire de temps

Il semblerait que les années 2020 marquent une certaine renaissance pour l'imaginaire de Roald Dahl. Alors qu'un prequel au célèbre Charlie et la Chocolaterie a été mis en chantier par la Warner, le géant de la SVoD a de son côté préféré acquérir l'ensemble de la Roald Dahl Story Company pour la modique somme de 689 millions de dollars. Le but est bien entendu de porter plusieurs titres de l'auteur à l'écran, tant et si bien que les cinéastes Taika Waititi et Phil Johnston ont déjà été mandatés par la plateforme pour développer une série dérivée, une fois encore, de l'univers de Charlie.

Le fringant Wes Anderson ne s'en cache pas, les écrits de Dahl lui inspirent une fascination quasi obsessionnelle. Aussi avait-il récemment confié aux colonnes d'IndieWire désirer adapter le recueil de nouvelles The Wonderful Story of Henry Sugar and Six More depuis plus de vingt ans. Incertain de son approche du recueil, Anderson a toutefois préféré laisser mûrir le projet dans un coin de son esprit. Entre-temps, les droits ont été vendus, et le N rouge s'est donc imposé comme l'unique collaborateur possible. Peut-être s'agissait-il d'un mal pour un bien, le cinéaste jouissant désormais de la liberté du format.

 

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar : photo, Benedict CumberbatchSe délester d'un scénario de 200 pages

 

Il impulse donc la production de quatre courts et moyens-métrages à destination du catalogue Netflix. Certes, ce n'est pas la première fois que Wes Anderson s'essaie au format court, le dandy ayant par exemple dirigé Hôtel Chevalier, un prologue à À bord du Darjeeling Limited, ou encore Castello Cavalcanti en 2013. Ici, les trente-sept minutes dont profite Henry Sugar jouent à première vue en faveur de l'objet film ; contraint par le temps, le cinéaste n'a guère l'occasion de s'éparpiller inutilement, et les différents actes narratifs se distinguent clairement les uns des autres.

En résulte toutefois un ensemble un tantinet bavard, comme impatient de dérouler son intrigue. Aussi, Henry Sugar débite avec plus de férocité qu'un bambin drogué au sucre à l'heure de la sieste. On en conviendra, cela peut se concevoir comme une mise en abîme de l'attention prônée par le récit ; mais au terme de quarante minutes, il n'est pas exclu que le spectateur ait légèrement le tournis.

 

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar : photo, Benedict Cumberbatch, Benedict CumberbatchEntrer dans le tableau

 

l'histoire sans fin

Inutile d'être un aficionado aguerri du cinéaste pour savoir que celui-ci est aussi fidèle à son esthétique qu'à ses acteurs fétiches. Pourtant, à l'exception de Ralph Fiennes, qui a déjà collaboré auprès de Wes Anderson à l'occasion du petit chef-d'oeuvre The Grand Budapest Hotel, la distribution d'Henry Sugar fleure relativement le neuf. Aussi, le Britannique Benedict Cumberbatch investit pour la première fois les codes ultra-stylisés du Texan pour prêter ses traits au rôle-titre. Plus ou moins.

En effet, le film fait moins le récit de Sugar – qui n'apparaît franchement qu'au dernier tiers du film – que celui de « La Merveilleuse Histoire » promise par l'intitulé. Organisé selon plusieurs strates narratives (diégétiques ou non), le film fait état d'un cinéaste inspiré par un écrivain à imager l'histoire d'un joueur, inspiré d'un guru. L'impulsion créative est multiple, transcendantale, et Wes Anderson s'emploie davantage à imager l'idée d'un procédé narratif qu'un récit au sens classique du terme.

 

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar : photo, Ben KingsleyC'est l'histoire d'une histoire dans une histoire dans une histoire

 

C’est là que son savoir-faire et sa patte brillent le plus, et le tout est aussi enthousiaste que théâtral. Visuels baroques, plans fixes étirés à l'extrême, mouvements latéraux à la fluidité mécanique, symétrie exacerbée, motifs maximalistes et palettes chromatiques plus vives qu'un trip au LSD sont autant de leitmotivs propres à l'artiste qu'une identité visuelle au service de l'histoire dépeinte. L'ensemble est si extrêmement "mis en scène" qu'il est simplement impossible de faire fi de l'artifice.

Les murs glissent en vue de laisser place à un autre décor, la lévitation d'un shaman s'effectue par un trompe-l'oeil évident plutôt qu'un harnais effacé en postproduction, les mêmes acteurs interprètent moult personnages différents... s'agit-il d'une pièce dont Anderson aurait capturé la représentation, ou un hommage au ciné-magique de Méliès et ses pairs ? Chacune de ses interprétations se vaut, puisque la conclusion demeure la même : la fantaisie est indispensable à la réalisation du merveilleux.   

 

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar : photo, Jason SchwartzmanLevicorpus 

 

Fantastic Mr. Dahl

De toute évidence, le film est aussi bien une ode à l'écrit original qu’à son auteur. Le texte est ainsi délivré au mot près à l'occasion de longues tirades tandis que les divers comédiens s'adressent directement à la caméra. Il n'y a rien de bien étonnant à un tel respect tant les réflexes cinématographiques de Wes Anderson font écho à ceux narratifs de Roald Dahl. À vrai dire, le film peut sans mal être entendu comme une plongée libre dans l'imaginaire du cinéaste. Le système de narrations imbriquées peut ainsi traduire le processus créatif de son auteur jusqu'à ce que le spectateur en atteigne le coeur : celui d'un enfant truculent et perfectionniste à l'excès.

Asteroid City était déjà une lettre d'amour à l'Art et la création, et c'est ce même amour que sous-tend Henry Sugar. Néanmoins il manque quelque chose à ce moyen-métrage, quelque chose qu'il peut sembler difficile à identifier au terme du premier visionnage tant le spectateur est bombardé de stimuli sonores et visuels. Les détracteurs du cinéaste sont les plus attachés à lui reprocher de travestir le fond par une forme dramatique – même si bien sûr, il n'y a rien de révolutionnaire à arguer que le style peut être une substance en soi. 

 

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar : photo, Benedict CumberbatchAutopsie cardiaque

 

Ce n'est pas nécessairement le visuel exacerbé qui est ici à pointer du doigt, mais plutôt le manque d'équilibre entre l'ambition du Texan et son sujet. Non, Henry Sugar ne manque pas de fond, loin de là. Mais il lui manque une certaine humanité, une certaine chaleur, voire même, un certain souffle – ce qui serait pourtant attendu d'un projet aussi personnel et fantasmé que celui-ci. À défaut de quoi, le film se regarde comme on lirait un livre animé : avec émerveillement et recul, de peur d'en abîmer les mécanismes délicats entre les pages de papier.

La Merveilleuse Histoire d'Henry Sugar est disponible sur Netflix depuis ce 27 septembre.

 

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar : affiche netflix

Résumé

Techniquement jouissif, La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar accuse un certain manque de sensibilité. Dans les faits, cela n'a rien de dramatique, tant la prouesse visuelle jette perpétuellement ses fleurs aux yeux du spectateur. Alors pour citer le film, et lui rendre un certain hommage malgré tout, "ce n’est pas mauvais, mais ce n’est pas particulièrement bon non plus".

 

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commentaires
karlito
11/12/2023 à 10:13

"Catastrophique", voilà ce que m'a fait pensé les quatre adaptations. Je n'ai pas pu les finir. Si j'adore Grand budapest Hotel, Mr fantastic fox and Isle of dogs, c'est que ces films avaient trouvé un point d´équilibre. Ici, le récit sans temps mort avec des acteurs qui récitent face caméra leurs textes me fait constamment sortir de l'histoire. La mise en scène est paresseuse et bien qu'il y ait de temps en temps des idées, cette lourdeur s'ajoute aux jeux des acteurs. J'ai l'impression que cette envie dépuration du réalisateur a donné exactement le contraire du résultat souhaité (on s'approche de ces livres qui se déplient en ouvrant les pages), mais c'est pompeux, ennuyeux et trop caricatural (Mélies a fait mieux) pour je sois impliqué. 1/5

Altaïr Demantia
29/09/2023 à 07:03

@Dess

Tu peux me traiter de "con" si tu veux - apparemment l'algo de modération de EL est troll-friendly - et ensuite "usurper" mon pseudo pou raconter n'importe quoi, qu'est-ce que j'en ai à secouer. Même EL s'en fout. Amuse-toi bien, il ne te faut pas grand chose pour être satisfait, visiblement et moi je suis pour que les simples d'esprit aient les mêmes droits que tout le monde :D

Necroko
29/09/2023 à 03:55

J'ai beaucoup aimé "The French Dispatch" moi aussi (sauf le segment "Corrections sur un manifeste").

Axelle Vacher - Rédaction
28/09/2023 à 18:37

@JPB | non, je l’ai relativement apprécié aussi

JPB
28/09/2023 à 14:43

Suis-je le seul qui n'ai pas été déçu par "The French Dispatch" ? Comme la plupart de ses autres films, c'est un chef-d'œuvre esthétique, rien d'moins. Et quand un film est aussi beau à regarder, il peut se permettre d'être "abstrait" (ceci étant dit (ou écrit), je n'm'y suis pas ennuyé du tout). Si "Henry Sugar" est aussi "décevant", j'ai très hâte de l'voir.

Altaïr Demantia
28/09/2023 à 14:40

Bien sur que c'est entre copains, riches et citadins

Dess
28/09/2023 à 14:05

@Altri Selectif Dementia :

Le son ne se prononce pas pareil, mais toi le Con, ca on sait comment faut le prononcer.

Et je sais tres bien comment ca fonctionne leur systeme de notes, c est que du pote par ci, pote par la, je le sais j ai bosse a la boucherie pas loin de chez eux, alors je suis bien placee pour etre au courant.
J ai meme fais une etude statistique la dessus qui prouve a 100% ce que je dis, parce que dans la moitie des cas j avais raison, dans l autre moitie, j avais pas tord. Et dans tous les cas qui restent, c etait pareil. Alors si apres ca ca prouve pas, je vois pas quoi ajouter.

Preuve ultime : transformer 4 a eu une note de 4, alors que amelie poulain avait 4, tandis que jurassic parc a eu... heu la je sais pas mais surement entre 2 et 5, donc voila preuve ultime, que si c est besson c est 1/5.

Bon, je vais reprendre mes cachets, et je reviens vous expliquer la suite de ma theorie du CONplot

Altaïr Demantia
28/09/2023 à 13:02

@Dess

Et si c'est un Wes Anderson ?
Donc un film pas produit ni réalisé par Besson -> note que le "son" à la fin des deux noms se se prononce pas pareil.

Et si c'est un Wes Anderson qui a pour décor la France* comme The French dispatch ? Attention il y a un piège !!!

...
*France fantasmée. Mais tous les Anderson sont des fantasmes.

Nico1993
28/09/2023 à 11:40

Wes Anderson est en perte de vitesse depuis quelques films malheureusement

Geoffrey Crété - Rédaction
28/09/2023 à 10:59

@Dess

Ah bah oui d'un coup je comprends mieux ma vie, merci beaucoup

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