Limbo : critique du bijou de noirceur de l'été

Mathieu Jaborska | 12 juillet 2023
Mathieu Jaborska | 12 juillet 2023

La sortie de Mission Impossible 7 ne saurait éclipser la noirceur du polar hongkongais Limbo, réalisé par Soi Cheang. Présenté à L'Étrange Festival en 2021, où nous l'avions découvert, il a depuis fait son petit bonhomme de chemin, allant jusqu'à rafler le Grand prix et le Prix de la critique à Reims polar 2023. De quoi lui accorder une sortie en salles, inespérée pour un thriller crado en noir et blanc sanctionné d'un moins de 16 ans. Il va falloir en profiter. Enfin, façon de parler.

Soi Coup bas

De tous les cinéastes sévissant encore – difficilement – à Hong-kong, Soi Cheang n'est probablement pas celui qui avait le plus de chances de s'exporter dans nos contrées. Le réalisateur de Dog Bite Dog, Coq de combat et surtout SPL 2 est peu connu en occident, ou alors uniquement pour le diptyque du Roi Singe, pas exactement la saga la plus mémorable de ces dernières années. Pourtant, Limbo a asséné un véritable uppercut aux spectateurs des festivals où il a été projeté, votre serviteur compris. Et c'est probablement aussi parce que plus personne n'attend de tels sommets de noirceur de la part de cette industrie autrefois unique en son genre qu'il a fait aussi forte impression.

Le scénario signé par Kin-Yee Au (auteur de PTU, de sa suite, du Judo de Johnnie To, de Triangle ou même de certains sketchs du très émouvant Septet: The Story of Hong Kong, malheureusement privé de sortie chez nous) est pourtant en apparence on ne peut plus classique : un vieux flic et son jeune partenaire font face à un tueur en série glauquissime, ne laissant de ses victimes féminines qu'une main fraichement coupée. Du début à la fin, on est en terrain connu... du moins narrativement.

 

Limbo : photoDon't breath (parce que ça pue)

 

L'originalité de Limbo ? Son décorum de décharge à ciel ouvert, son exploration des bas-fonds des bas-fonds de la péninsule. Presque deux heures durant, les protagonistes se coursent dans les champs de déchets en train de pourrir, décors aussi sales que spectaculaires (le production design est de Kwok-Keung Mak, ayant officié sur plusieurs Ip Man, Flash Point, Crazy Kung-Fu et A Chinese Ghost Story) qui le débarrassent de tout lien avec les productions américaines des années 1990.

 

Limbo : photoLa chair à la poubelle avec le reste

 

Grève des éboueurs

Et c'est à la mise en scène de naviguer dans cet enfer, suivant puis perdant ses personnages dans ses méandres. Soi Cheang sublime chaque ficelle de sac poubelle, au point de donner à son décor un goût d'apocalypse et de faire de Hong Kong un labyrinthe cauchemardesque où la putrescence envahit les esprits, ronge la rue, et inversement. Soit une misanthropie qui a fait les beaux jours du polar HK (on pense parfois à Full Alert) et qu'on pensait éradiquée du paysage cinématographique local.

S'y croisent et s'y agressent des personnages soit maltraités par leur environnement, soit prédateurs ultra-violents aux portes de la folie. Le gigantesque dernier acte, où un quatuor de protagonistes patauge dans la crasse et le ressentiment, alors qu'une pluie aux limites du surnaturel laboure le champ (un climax difficile à tenir en cas d'envie pressante, et c'est l'expérience qui parle) achève de transformer la ville en limbes, à l'image du titre. D'aucuns seraient tentés d'en tirer une interprétation politique...

 

Limbo : photoUn noir et blanc sublime

 

Une démonstration supplémentaire de la capacité des cinéastes hongkongais à sculpter différents portraits d'une grande cité de cinéma, alors même que le spectre de la censure y rôde. Les metteurs en scène de Septet en font une terre de nostalgie, aux mutations empreintes d'une beauté discrète, Soi Cheang en fait un univers sordide aux frontières de l'horreur. On aimerait croire à des signes de vie rassurants plutôt qu'à un sublime baroud d'honneur.

 

Limbo : Affiche française

Résumé

Le concentré de misanthropie putrescent et dégoulinant de crasse qui rafraichira votre été.

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Lecteurs

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commentaires
Dario 2 Palma
22/08/2023 à 17:41

Un film au visuel assez léché, quelque part entre "Blade runner" et "Resurrection" avec Christophe(r) Lambert! Le noir et blanc fait beaucoup pour l'atmosphère, mais pour le fond, le contenu, c'est complètement banal hélas. Trop de clichés avec le flic coriace traumatisé, la paumée qui sert de punching ball humain pendant presque deux heures (les féministes apprécieront!), l'imagerie christique appuyée (vierge Marie, culpabilité, rédemption, pardon final) un tueur pathétique sans intérêt, des envolées mélodramatiques risibles à coups de ralentis et de simili Lisa Gerard, un combat final qu'on croirait sorti du "Cyborg" avec Jean Claude Van Damme ou du "Héros" avec Chuck Norris. Enfin bref, en dehors des cadrages et de l'atmosphère léchés ça reste un petit thriller de série, au mieux divertissant mais complaisant, à la noirceur forcée et au final assez creux.

John Warsen
11/08/2023 à 15:52

merci à Sanchez pour son commentaire revigorant ! donnez-lui une chaise !

Sanchez
02/08/2023 à 18:05

A part quelques plans réussis et quelques scènes d’action bien foutues que reste il ? Absolument rien. Enquête claquée, personnages approfondis sur un post it, tueur à 2 francs (il coupe des mains à la pelle parce que c’est comme ça), complaisance putassiere de la violence*, morale sur le pardon digne d’un cours de catéchisme. J’ai lutté pour rester jusqu’au bout de ce film qui n’a rien a dire, s’étirant ridiculement en longueur (c’est la même durée que seven et c’est très loin d’en atteindre la cheville).

*Voir une nana se faire violenter , humilier et violer pendant 2h, les critiques et les spectateurs francais trouvent ça artistique. Si le même film était fait en France il ne recevrait pas du tout les mêmes louanges et auraient 14 asso sur le dos ainsi que des appels aux boycottes. Là ça passe parce que c’est juste des asiatiques.

Morcar
26/07/2023 à 09:26

Je suis allé le voir hier soir en salles, avant qu'il ne soit déprogrammé, et si dans un premier temps j'ai eu peur de me trouver face à un thriller bien trop classique, pour finir j'ai vraiment trouvé le film très bon ! Certes l'intrigue est celle de deux flics à la poursuite d'un tueur en série avec l'aide d'une ancienne junkie, mais le vrai coeur du film est dans ses personnages et leurs relations entre eux, pas dans l'intrigue. Ces personnages sont bien écrits et interprétés, et l'atmosphère du film est dingue : on aurait presque l'impression de sentir l'odeur de ces rues débordant de poubelles inondées sous la pluie.

@@tlantis, comme pour (par exemple) "Everything Everywhere all at ones", j'ai attendu sa sortie officielle pour le voir. Autrefois les sorties n'étaient pas internationales, et on n'en mourait pas, on attendait.

@ChaosEngine, à plusieurs moments je me suis fait la réflexion au cours du film qu'il était dommage qu'on en connaisse la fin, et pour finir j'ai apprécié de me rendre compte qu'on ne la connaissais pas vraiment.

Ray Peterson
19/07/2023 à 00:03

Une grosse claque pour ma part et un final dantesque que ce soit dans les décors, le jeu ultra agressif des comédiens, la chorégraphie vénère et la sublime musique de ce formidable Kenji Kawai. Quand j'ai entendu les premières notes d'un des thèmes du film je me suis dit soit c'est Mr Kawai, soit le compositeur est un méga copieur/plagieur. Je suis rassuré!
Un film que n'aurait pas renier d'ailleurs Mel Gibson tant dans sa violence craspec, dans ses croyances et dans sa thématique de rédemption.

sylvinception
18/07/2023 à 18:24

@ChaosEngine : merci pour le spoiler sur le début du film, vieux.

ChaosEngine
17/07/2023 à 16:19

Pour reprendre les termes de @galetas, je trouve personnellement que son esthétisme et ses autres qualités compensent largement sa linéarité narrative. Par contre un truc qui m'agace c'est qu'il commence par la scène de fin (épanadiplose ? je ne connaissais pas ce terme mais ça semble décrire cette figure de style. Jamais compris l'intérêt de faire ça...)

Sinon pour tout le reste je trouve que c'est un film puissant, évidemment grâce à la mise en scène et à la direction photographique, mais aussi l'ambiance musicale et les performances des acteurs.

Les amateurs de photo (et particulièrement du N&B) devraient se ruer dessus pour se rincer l'oeil tant qu'il passe sur grand écran. Jamais la crasse n'aura été aussi belle ! (je reste stupéfait par la lisibilité de chaque plan, alors que les décors sont souvent fouillis, surchargés, bordéliques... c'est impressionnant !)
Du coup j'ai adoré, mais c'est certain que ça ne pourra pas plaire à tout le monde.

galetas
16/07/2023 à 21:10

Son esthétique ne compense pas la linéarité narrative de l'oeuvre .
Les critiques s'emballent un peu trop...

Nico1
14/07/2023 à 19:41

@MrAlCiD

Je confirme, sur grand écran c'est phénoménal

Jacky Sunday
13/07/2023 à 01:13

@@tlantis.
Bizarre j'ai un IPTV premium et il n'y est pas.

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