Sick of Myself : critique d'un mal du siècle

Judith Beauvallet | 31 mai 2023 - MAJ : 31/05/2023 10:53
Judith Beauvallet | 31 mai 2023 - MAJ : 31/05/2023 10:53

Auparavant réalisateur de DRIB, un film jamais distribué en France qui parlait déjà de l’exploitation de la douleur par le monde de l’influence, le réalisateur norvégien Kristoffer Borgli revient avec un deuxième long-métrage appelé Sick of Myself. Dans ce drame au cynisme assumé, la jeune Signe interprétée par Kristine Kujath Thorp décide de se rendre volontairement et gravement malade pour attirer l’attention sur elle. Une critique moqueuse et virulente d’une époque qui encourage toujours plus à la mise en scène de soi, quel qu'en soit le prix.

SICK PIC

Avec un film comme Sick of Myself, il ne faut pas s’attendre à aimer les personnages dont on nous raconte l’histoire. Au contraire, il s’agira bien plus de les détester, ou à la rigueur, d’en avoir pitié. Et ce pourrait être un problème pour s’impliquer dans l’histoire, sauf qu’ici, la fascination presque morbide tient le spectateur à la gorge pour une bonne raison : ce qu’il est amené à détester dans les personnages du film, c’est ce qu’il craint de reconnaître dans sa propre personne.

C’est peut-être le principe-même de la détestation, d’ailleurs, mais Sick of Myself tend un miroir si grossissant à son audience que c’est par flatterie mal placée et cruauté voyeuriste qu’on ne peut en détourner le regard.

 

Sick of Myself : photo, Kristine Kujath ThorpUn après-midi de chien

 

Intrigant, n’est-ce pas ? Il faut dire que le concept du film est saisissant de malaise. Une jeune femme, Signe, sort avec un sculpteur de pacotille imbu de lui-même dont les œuvres ne sont que de la poudre aux yeux, mais qui parvient à attirer sur lui quelques projecteurs. Signe ne supporte pas de n’être pas elle-même le centre de l’attention, et elle va tout faire pour faire son intéressante, quitte à prendre en cachette un médicament interdit, connu pour déclencher une horrible maladie de la peau... A défaut d’être admirée, elle sera au moins prise en pitié : tant que les autres ne parlent pas d’autre chose que d’elle, ça lui va.

Dans une scène d’introduction particulièrement bien écrite, le spectateur soupçonne le trouble qui va jouer des tours à Signe : lors d’un dîner visant à célébrer la dernière réussite professionnelle de son compagnon Thomas, l’héroïne va petit à petit couper de plus en plus la conversation pour parler d’elle et se faire plaindre, jusqu’à s’inventer une allergie. Quelques minutes après, elle va jusqu’à simuler une crise et ainsi créer un faux drame autour d’elle. La gradation de la séquence, parfaitement dosée et savamment mise en scène avec une attention portée aux micro-expressions de Signe, annonce le programme du film et résume parfaitement les rouages de la manipulation exercée par le personnage.

 

Sick of Myself : photo, Kristine Kujath Thorp, Eirik SætherRas la casquette et ras la cagoule

 

ANTIVIRAL

Une fois que Signe a franchi le pas de se rendre malade pour de bon et que sa peau commence à être marquée, le film bascule sans broncher dans le body horror. D’abord, ce sont quelques traces rouges, puis des cicatrices plutôt seyantes dont Signe s’accommode bien pour prêcher un nouveau genre de beauté, jusqu’à ce que l’ampleur de la maladie échappe à son contrôle et que sa peau se désagrège carrément. La mise en scène joue sur le contraste entre l’univers épuré de la bourgeoisie nordique et le choc visuel de la maladie de Signe, face à laquelle son entourage n’a des réactions que très modérées ou intéressées.

L’ironie d’une maladie grave qui se retrouve exploitée pour servir une image superficielle rend son aspect d’autant plus horrible, non pas par nature mais parce qu'elle a été désirée par le personnage. Pierre Choderlos de Laclos avait notoirement dépeint, dans Les Liaisons Dangereuses, la petite vérole ayant défiguré la Marquise de Merteuil comme étant le juste reflet de son âme.

 

Sick of Myself : photo, Kristine Kujath ThorpParce qu'elle ne vaut rien

 

Ici, le visage ravagé de Signe peut être vu comme tel, mais il s’agit aussi et surtout d’un reflet de la douleur qui la ronge, plutôt que la trahison d’une simple méchanceté. Car si son personnage est terriblement égoïste et vide, il n’en est pas moins un personnage qui souffre de tout un tas de maux invisibles, et les effets de sa maladie sont la traduction physique de ce mal.

Mais même visible, son désespoir est occulté par son mensonge, et rien ne se passera comme Signe l’avait prévu. D’une manière qui ne sera pas révélée ici, elle finira par payer sa perversion nombriliste sans y trouver satisfaction, dénouement déjà annoncé par la première séquence. La chair ouverte et la peau torturée jouxtent le maquillage et les fringues de luxe dans ce qui reste le tableau froid d’une vaste mascarade au sein de laquelle rien ne compte, que les images et les égos qu’elles flattent. Du body horror oui, mais chirurgicalement vidé de toute incarnation, ce qui décuple son effet.

 

Sick of Myself : photo, Kristine Kujath ThorpManque de peau

 

Triangle of Sickness

Bien sûr, tout ceci fait que Sick of Myself ne laisse pas une impression particulièrement agréable au premier degré. En plus de mettre le spectateur en face de son propre nombrilisme, il fait un constat sans compassion et sans espoir sur une volonté désespérée d’exister auprès des autres, sans pour autant considérer lesdits autres comme des êtres à part entière. Dur, mais juste. C'est mérité.

Car cette volonté est très répandue dans le monde d’aujourd’hui, rempli d’écrans et de réseaux sociaux... Oui, ce discours de rabougri, on le connaît. Mais pas comme ça. Et parfois, même les rabougris ont raison. En définitive, avec sa mise en scène et son esthétique qui portent la patte du cinéma norvégien de ces dernières années, Sick of Myself est un Julie (en 12 chapitres) pessimiste et cynique, un vrai “portrait de femme” (contrairement au film de Joachim Trier) qui fait en réalité le portrait des vices de ceux qui ne savent plus être heureux même (surtout) quand ils ont tout.

Si ni le discours ni la forme ne sont révolutionnaires, et si le film manque peut-être d’une perspective supplémentaire en conclusion pour ouvrir son sujet, il reste un objet salement joli qui parle mal à son spectateur mais qui le fait bien. Dans la lignée des satires sociétales déprimantes du moment, Sick of Myself est en somme loin d’être la pire, au contraire.

 

Sick of Myself : Affiche

 

 

Résumé

Un miroir grossissant face auquel le spectateur va se prendre ses propres défauts en pleine figure, et va aimer ça tant le film est cruellement ironique, avec son body horror qui surgit là où on ne l'attend pas et son cynisme qui chatouille.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.7)

Votre note ?

commentaires
Pierre_Oh
17/06/2023 à 18:55

Je n'ai pas du tout aimé pour ma part, je n'ai pas tenu jusqu'à la fin. J'avais la même impression que lorsque j'étais allé voir Antebellum, dans un tout autre style, à savoir un film qui se croit extrêmement brillant et intelligent, mais qui s'avère être méprisant et prétentieux.

Mamour
09/06/2023 à 16:24

Je n'ai pas du tout aimé. Aucun personnage positif dans le scénario, ce qui n'existe pad dans la vraie vie. J'ai failli partir dès le début, je me suis forcée à rester. On est dans le film d'horreur. Il s'agit d'un milieu bourgeois où je n'ai pas trouvé ma place.

Loozap
01/06/2023 à 22:46

C'est vraiment incroyable tout ça

NikoT
01/06/2023 à 21:24

Film traitant son sujet de manière possiblement un peu trop directe, frôlant la caricature facile. Borgli n'arrive pas à nous passionner et susciter ce malaise si perturbant et viscéral chez Östlund. Quelques trouvailles sont cependant bien amenées et l'humour noir, gratiné. La séquence de l'agence de mannequinat et la campagne de pub qui s'en suit sont particulièrement savoureuses.
Le réalisateur (ou le costumier) aurait-il une dent contre le milieu culturel français ? Impossible de passer à côté des nombreux messages laissés sur les tee-shirt du personnage - un peu trop - central...

Elaphebolos
31/05/2023 à 15:34

J'attend tellement ce film! Moi qui adore décortiquer la société actuelle (avec cynisme), il risque de m'inspirer énormément!

Joe l'aveugle.
31/05/2023 à 12:38

Le rabougri que je suis et qui méprise les idiots qui se regardent le nombril a hâte de voir ce film. Cependant je ne pense pas voir beaucoup de ces personnes dans la salle car elles sont plus hanouna que cinéma Norvégien; Et c'est tant mieux pour nous.

votre commentaire