Laal Singh Chaddha : critique du Forrest Gump indien

Clément Costa | 12 août 2022 - MAJ : 12/08/2022 17:27
Clément Costa | 12 août 2022 - MAJ : 12/08/2022 17:27

Projet de rêve pour l’acteur et producteur Aamir Khan, Laal Singh Chaddha était en développement depuis de nombreuses années. Ce remake officiel du classique Forrest Gump tente de proposer un divertissement fort en émotions tout en parcourant l’histoire indienne. Hérésie ou réussite impressionnante ?

LAST DRAMA HERO

Il y a quelque chose de joliment anachronique dans Laal Singh Chaddha. À l’heure où le cinéma indien se passionne pour les blockbusters d’action ultra-violents comme Vikram ou K.G.F : Chapter 2, le cinéaste Advait Chandan tente de raviver la flamme des grands mélodrames sentimentaux. Dans une époque parasitée par les films de propagande à l’image du nauséabond The Kashmir Files, on fait ici face à un récit-fleuve dont la portée humaniste semble d’un autre temps.

Après un premier long-métrage visuellement pauvre, Chandan gagne en maturité pour ce deuxième essai. Cette fois-ci, sa mise en scène est élégante. Sans aller chercher la virtuosité d’un Robert Zemeckis, le cinéaste indien émerveille nos pupilles en filmant toute la majesté des paysages indiens. Il compte également sur la superbe partition de Pritam, qui livre un album là encore hors du temps. Loin de l’aspect jukebox des années 60 à 80 qui caractérisait Forrest Gump, dans Laal Singh Chaddha, la musique marche sur les traces de l’âge d’or Bollywoodien.

 

Laal Singh Chadha : photoJe vous parle d'un temps, que les moins de 30 ans...

 

Pour porter à bout de bras un projet aussi risqué, Aamir Khan semblait être l’homme de la situation. Réputé pour son perfectionnisme et ses expérimentations, il est à la fois une superstar et un acteur hautement respecté par les critiques les plus exigeants. De Lagaan à Rang De Basanti en passant par 3 Idiots et PK, sa filmographie regorge de classiques ayant marqué l’histoire du cinéma indien.

On sent évidemment sa passion pour un projet qu’il produit et auquel il a consacré quatre longues années. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas. Il interprète Laal comme une caricature : les yeux exorbités, ponctuant chaque phrase d’un fredonnement irritant, adoptant une voix trop aigüe. Un jeu cartoonesque qui évoque son rôle dans PK. Mais si la comédie satirique de Rajkumar Hirani se prêtait aux excès via son style volontairement absurde, Laal Singh Chaddha se veut bien plus sérieux.

D’autant que le jeune Ahmad Ibn Umar, qui interprète Laal enfant, livre une performance subtile, en retenue. Ce décalage avec Aamir Khan crée non seulement une discontinuité pour le personnage principal, mais donne surtout l’impression que l’acteur ne joue pas sur le même registre que le reste du casting. Difficile de comprendre comment un tel talent a été si mal utilisé.

 

Laal Singh Chadha : photoQui a dit que les enfants ne savent pas jouer la comédie ?

 

Apocalypse Laal

Il y a pourtant beaucoup d’idées passionnantes dans Laal Singh Chaddha. Sa différence majeure avec son modèle américain vient du contexte politique. Forrest Gump n’était pas fait dans l’urgence. Le film flirtait d’ailleurs très souvent avec un certain conservatisme, vantant allégrement les bonnes valeurs américaines. Laal Singh Chaddha de son côté voit le jour dans une époque bien plus troublée. Et il propose une lecture politique aussi alarmiste que stimulante.

La plus grande réussite du film est son choix d’embrasser cette différence radicale de propos en explorant l’histoire indienne. Pour la première moitié du récit, on s’éloigne considérablement du film d’origine en allant revisiter les émeutes de 1984 contre les sikhs, les conflits armés de 1999 au Cachemire ou encore les attaques terroristes de Mumbai en 2008. Tous ces fragments d’histoire servent comme reflet d’une Inde moderne plus déchirée et plus violente que jamais.

 

Laal Singh Chadha : photoLaal s'en va-t-en-guerre

 

Loin d’être un banal mélodrame consensuel ne se servant de l’histoire du pays que comme un simple artifice de narration, Laal Singh Chaddha confronte la société indienne à ses démons. La discrimination entre régions et communautés, les tensions exacerbées par les religions. Pas étonnant que le film soit l’objet d’immenses polémiques en Inde, entre les appels au boycott et les critiques virulentes des dirigeants hindous. Derrière sa fausse naïveté, Laal critique ouvertement l’idéologie dominante par un appel à l’unité qui est tristement vu comme une dissidence insultante.

Au-delà des tensions religieuses et communautaires qui sont au cœur du propos, Laal Singh Chaddha aborde également la question des violences domestiques et des féminicides. La réécriture complète de Jenny en Rupa transforme un personnage fonction douteux en un parcours bien plus profond et complexe. Les vieux démons de Bollywood sont également abordés, notamment les liens entre l’industrie cinématographique et Dawood Ibrahim dans les années 90.

 

Laal Singh Chaddha : photoCourir pour résister

 

Comme une boîte de golgappa

Le défi du film était de ne pas trop coller à son modèle. Au-delà d’un propos radicalement différent qui le forçait à s’en éloigner, encore fallait-il parvenir à maintenir cet écart sur tout le reste du récit. On trouve dans Laal Singh Chaddha de nombreux détournements malicieux et plutôt bien pensés de séquences cultes difficiles à récréer.

L’adage sur les boîtes de chocolat devient une réflexion sur le golgappa. Le récit ne se fait pas dans un parc, mais plutôt dans un train, lieu de vie central en Inde et surtout décor particulièrement utilisé à Bollywood. Une belle façon de se revendiquer d’une autre cinéphilie. Métaphore de l’amour du public indien pour les longues histoires, les passagers du train sont de plus en plus nombreux et restent tous accrochés aux lèvres de Laal. L'opposé total des passants qui se succédaient sans traîner dans Forrest Gump.

 

Laal Singh Chaddha : photoUn changement de décor qui a du sens

 

Mais la limite du film restera son devoir de fidélité. L’histoire indienne est tellement chargée en événements tragiques que les enjeux du scénario de base semblent parfois bien peu stimulants. Exemple typique, la séquence lors de laquelle Laal court pour la première fois afin d’échapper à ses camarades de classe. Dans Forrest Gump, on ressent l’allégresse et la libération du personnage. Dans Laal Singh Chaddha, ce moment arrive juste après un segment sur les émeutes sanglantes de 1984 et semble inutilement dramatique.

Le scénariste Atul Kulkarni a certainement été stimulé par le défi de la transformation et il le réussit haut la main. Cependant, il est embarrassé dès qu’il doit coller au texte. La deuxième partie du film le prouve : plus fidèle, mais aussi plus inégale et moins bien rythmée. Et pourtant, dès que l’on se replonge dans le contexte socio-politique indien, tout redevient naturel et passionnant. Loin d’être un rendez-vous manqué, Laal Singh Chaddha aurait simplement gagné à s’émanciper autant que son héros.

 

Laal Singh Chadha : photo

Résumé

Limité par l’ampleur du défi, Laal Singh Chaddha arrive pourtant régulièrement à s’illustrer grâce à une écriture passionnante et un constat troublant sur l’état actuel de la société indienne. En assumant encore un peu plus sa liberté, et surtout avec un Aamir Khan au niveau qu’on attend de lui, le film aurait pu être un grand moment de cinéma.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.9)

Votre note ?

commentaires
Brosdabid
01/02/2023 à 20:19

Article intéressant et agréable à lire comme dab

tato
18/08/2022 à 12:24

Ma famille et moi ne sommes pas Indiens, et nous avons compris et aimé ce film. Excellent acteur, bon scénario. Les chansons sont belles. On ne s'est pas ennuyés.

JaD
13/08/2022 à 19:08

Enfin une critique posée et pleine de bon sens sur ce film !

Raj
13/08/2022 à 17:57

Je pense plutôt que le film se moque de Modi et de son régime tout le long, avec l'idée de la "malaria" des religions. Et @PK tu portes mal ton nom si tu ne comprends pas que cette critique est pour le bien de l'Inde qui verse dans l'obscurantisme.

Eddy S
13/08/2022 à 16:08

Un film au discours politique le cul entre deux chaises avec une première partie qui dénonce clairement les méfaits des intégristes hindous pour finalement quasiment les cautionner en seconde partie (voir le portrait de narendra modi aperçu longuement lors de la scène à Bénarès). Décevant d un Aamir khan que l on connu plus engagé et preuve d un pouvoir qui doit faire d énorme pression sur ses stars de cinéma et l industrie de Bollywood.

PK
13/08/2022 à 13:49

Une évaluation politiquement motivée du film avec l'intention de mettre l'Inde en mauvaise posture. Ce genre de messages ne fait qu'attiser la colère des gens et renforcer leur détermination contre ceux qui causent des problèmes sociaux dans le monde entier.

votre commentaire