Nope sur Netflix : critique d'un Peele éclectique

Mathieu Jaborska | 10 novembre 2023
Mathieu Jaborska | 10 novembre 2023

Peu de films fantastiques récents – excepté peut-être Men – ont bénéficié d'une campagne de promotion aussi mystérieuse que celle de Nope, du moins avant la seconde bande-annonce française, malheureusement très chargée en spoilers. Auteur de Get Out et UsJordan Peele ne cesse de stimuler le grand public américain avec des scénarios originaux (denrées rares sur ce créneau) et son dernier film joue habilement de cette réputation. En faire une critique sans tout raconter n'est donc pas une sinécure, mais il serait dommage de ne pas vanter les mérites d'une oeuvre aussi rafraichissante, porté par Daniel KaluuyaKeke Palmer et Steven Yeun.

The Twilight ozone

Un nuage lesté d'un fanion, des visages aux airs ébahis, tournés vers le ciel, un cheval en bois virevoltant dans les airs... La campagne d'affichage, qui reprend quelques-unes de ses idées les plus brillantes, est à l'image du film. Quand Us assumait d'emblée son postulat fantastique, Nope fait planer le suspense (littéralement) au maximum, et ce dès une superbe séquence d'ouverture, remarquable d'étrangeté. Très vite, l'un des modèles du cinéaste transparaît : difficile de ne pas penser aux contes surnaturels de La Quatrième Dimension, série à laquelle il a d'ailleurs déjà prêté allégeance en succédant à Rod Serling en tant qu'hôte de sa dernière version.

Une référence qui peut aussi bien exciter qu'exiger la prudence : nombreux sont les héritiers autoproclamés de la légendaire anthologie à ne jamais justifier leur statut de long-métrage. Sauf que c'est Jordan Peele à la barre et qu'il n'entend pas bêtement livrer son épisode. Comme à son habitude, il y greffe d'autres genres, d'autres motifs, d'autres sources d'inspiration pour mieux se réapproprier tout un pan du cinéma populaire et y insuffler ses propres thématiques.

 

 

À mi-chemin entre la science-fiction pure, l'horreur ou même le western yankee, convoquant aussi bien le mystère spielbergien que l'épouvante anglaise, entre deux références à la sitcom, Nope ne s'éparpille pour autant jamais, miraculeusement. Grâce notamment à sa petite batterie de personnages, une unité de lieu dont il ne s'éloigne que rarement et surtout une cohérence esthétique inattaquable.

Pour la première fois, Peele s'offre les services du chef opérateur Hoyte Van Hoytema, responsable des ambiances de Morse, Her et Ad Astra, mais aussi de la palette des derniers films de Christopher Nolan. Ensemble, à grand renfort d'audaces visuelles géniales qu'il serait criminel de dévoiler prématurément, ils organisent les ambitions du long-métrage sous la charpente d'un ciel menaçant, que le cinéaste compare à la mer de Jaws.

Comme elle, il cache un antagoniste énigmatique, capable de surgir à tout moment, et obsède les pauvres hères qu'il surplombe, couvant ainsi grâce à un savant mélange d'effets spéciaux indécelables et de nuits américaines (procédé technique consistant à filmer la nuit en plein jour, grâce à un éclairage spécifique) tous les enjeux et toutes les influences du film. Une belle manière de prolonger l'approche minimaliste de Serling et Spielberg, tout en dévoilant progressivement son véritable sujet : la captation de l'extraordinaire, envers et contre tous.

 

Nope : photo, Brandon Perea, Daniel Kaluuya, Keke PalmerAh oui, il y a Brandon Perea aussi

 

Le pestacle

Ce n'est pas un hasard si la plupart des personnages de Nope sont liés de près ou de loin à l'industrie du cinéma ou du spectacle, ou même s'il se déroule aux marges désertiques d'Hollywood. Le duo adelphe formé par le renfrogné OJ (Daniel Kaluuya) et l'extravertie Emerald (Keke Palmer) tente de subsister avec son activité de dresseurs de chevaux, plus ou moins évincé de l'industrie et de ses nouvelles techniques, en marchandant avec le gérant de parc à thème Ricky Park (Steven Yeun). Mais lorsqu'ils sont témoins d'un évènement proprement mythologique, ils n'hésitent pas à mettre leur vie en jeu pour être les premiers à enregistrer l'inimaginable.

Bien évidemment, cette quête rejoint les préoccupations sociales du cinéaste. La nécessité  vitale  pour les personnes noires de revenir en tête d'affiche, de se remparer d'un art éminemment populaire au prix de leur sécurité, explicitée lors d'un monologue limpide, semble presque autobiographique. Quant au climax, il abandonne la terreur sourde pour déployer des références explicites, trop presque dans le cas du personnage de Michael Wincott, à la toile de cinéma et au courage et à la subtilité nécessaire pour lui faire honneur.

 

Nope : Photo Daniel KaluuyaÉlu meilleur pull de cinéma

 

Mais c'est au cours de son deuxième acte, lorsqu'il étend son ambiance paranoïaque, que le film dévoile une vision du grand spectacle cinématographique vraiment singulière. Pourtant très respectueux de ses préceptes, il s'émancipe de l'émerveillement métafilmique de Spielberg pour proposer une allégorie bien plus sombre du rêve hollywoodien, monstrueuse entité qu'on poursuit la mort dans l'âme, au risque de se faire avaler avec ses rêves et ses ambitions.

Peele parvient à s'éloigner un peu plus encore des personnages très didactiques de son Get Out, simples arguments dans sa démonstration. Ici, chaque protagoniste entretient une relation à la fois très viscérale et très complexe au surnaturel. À l'instar du personnage de Yeun, triste rebut de la machine à broyer hollywoodienne et de son horreur sous-jacente (quelle scène !), toutefois complètement fou de son pouvoir, même puni dans l'arrière-boutique artificielle de Los Angeles.

Fraichement débarqué dans la micro-caste des auteurs américains à la suite de son braquage de 2017, désormais à la tête d'un budget conséquent (plus de 70 millions de dollars), le réalisateur vient rappeler toute la méfiance que peut inspirer le blockbuster pour ceux qui restent dans son ombre et par la même réaffirmer la puissance du frisson que le grand cinéma populaire est capable de procurer, entre de bonnes mains.

 

Nope : photo, Steven YeunDon't look up

 

Get in

De fait, il complète un long-métrage bien plus confidentiel, The Vast of Night. Andrew Patterson y prouvait qu'une certaine mythologie de science-fiction était née de l'émergence de l'enregistrement audio, la source discrète de ces légendes contemporaines étant le témoignage oral, capté dans toutes ses contradictions. Nope s'inscrit dans la même démarche avec comme sujet, cette fois, la suprématie de l'image cinématographique, du plan qui tue, du money shot qui décroche la mâchoire... Soit l'essence même du divertissement hollywoodien.

L'accomplissement d'une filmographie qui nous renseigne de plus en plus sur les motivations du bonhomme. Et elles sont nobles. En trois longs-métrages, il aura progressivement prôné un cinéma total, voué à divertir tous les publics, sans exception. Get Out, versant à la fois dans l'horreur et la comédie, et Us, où la télévision devenait un dénominateur commun universel, annonçaient déjà ce troisième film et cette exaltation du cinoche accessible à tous, compilant les genres, les tons et les sensations pour le plus grand plaisir d'un public qui ne demande qu'à retrouver la sidération du "Oprah Shot".

 

Nope : photoPeut-être la séquence la plus mémorable du film

 

Bien sûr, et c'est là que le film devient passionnant, cette soif est dangereuse, terrifiante même, mais elle paie. En témoigne la facture technique de l'ensemble, d'ailleurs. Peele joint le geste à la métaphore avec des panoramiques virtuoses qui explorent ce ciel si étrange, le scrutant jusqu'à déceler le détail qui cloche et finalement l'exposer en plein jour lors du climax, musique à l'appui. Climax où s'invitent carrément des références à l'animation japonaise des années 1990 (un design inspiré de Neon Genesis Evangelion, un plan directement emprunté à Akira), soit justement les oeuvres renommées qui ont du affronter mépris et préjugés pour écarquiller les yeux des spectateurs occidentaux.

Comme dans les productions MonkeyPaw, en particulier l'inégale Lovecraft Country, l'art populaire devient un outil de résistance, un acte de bravoure dans un monde où le spectacle peut aspirer, détruire ceux qui le traquent, mais donner du pouvoir à ceux qui le transcendent, furent-ils d'habitude relégués au second plan. Comme ses personnages, le metteur en scène finit par encapsuler l'extraordinaire une fois de plus, et par conséquent livrer un divertissement pur, à la fois inquiétant et merveilleux. Un peu à la manière finalement, de Rod Serling et de sa Quatrième Dimension.

 

Nope : Affiche française

Résumé

Jordan Peele emprunte la virtuosité de Spielberg avant de lui opposer sa vision de l'industrie hollywoodienne et plus généralement du grand spectacle : une obsession effrayante, mais capable de donner un pouvoir inestimable à ceux qui la domptent et un frisson délicieux à ceux qui la contemplent.

Autre avis Alexandre Janowiak
Nope est une œuvre unique, à la fois spectaculaire et intime, jonglant entre la satire sociale, le thriller de science-fiction, le pur film d'horreur ou le blockbuster popcorn. Un grand film d'alien ambitieux, stressant et émouvant sur l'art de faire du cinéma et l'ingéniosité nécessaire pour capter l'incroyable à l'image. Impressionnant.
Autre avis Geoffrey Crété
Des idées passionnantes mais éparpillées, des images folles mais une narration bizarroïde, un imaginaire riche mais un univers bancal, un casting solide mais des personnages survolés : Jordan Peele est une tête, mais ça se retourne finalement contre Nope.
Autre avis Antoine Desrues
Jordan Peele a entre ses mains le brouillon d'un film passionnant sur la pulsion scopique, émaillé d'idées visuelles et sonores géniales. Mais à trop vouloir marteler ses thématiques, Nope se perd en cours de route, et en oublie ses personnages.
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Lecteurs

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commentaires
Brosdabid
13/11/2023 à 07:04

Heu à mon niveau de lecture, j ai trouvé le film long mais long
Et pourtant la scène d ouverture annonçait du très bon

moi m'aime
12/11/2023 à 12:44

Electrique, ou....soporifique?

Tom’s
11/11/2023 à 13:34

J’adore ce film qui renoue avec le mystère d’un bon cinéma de genre, le film est abouti, des scènes mémorables d’intelligence, l’atmosphère qui s’en dégage, les scènes du chimpanzé, l’apparition avec Steven Yeun, c’est redoutable. J’ai bien aimé Get Out mais je bloque la sur la fin exubérante ( transplant de cerveau) WTF, Us bien réalisé mais la fin les lapins ect bof mais NOPE est un cran au dessus .

steve
15/05/2023 à 21:17

Une proposition encore une fois intéressante de la part du réal avec un univers patchwork qui interpelle et des plans qui marquent la rétine indépendamment du sous texte voulu sur le pouvoir des images et du cinéma; Dés lors, pourquoi un personnage principal qui semble aussi peu concerné et qui m"a un peu fait sortir du film sur certains moments. Une explication ? Vraiment dommage sur ce coup là...

Andarioch1
30/04/2023 à 13:38

Peel est bon pour emballer des scènes. Grande maitrise du cadre, ambiance efficace, rythme travaillé.
Le problème c'est qu'un film c'est un tout et non une succession de scènes. Et là ça pêche.
Le film est long, ch...t à mourir, rendu pénible et lourd par le personnage d'OJ et le choix d'en avoir fait un personnage presque apathique (le jeu de Kaluuya n'est pas en cause, mais bien la direction prise par Peele pour son héros).
Bref, sorti de quelques grands moments, on s'emm... quand même pas mal
Peel a toujours fait des film inégaux, ça ne s'arrange visiblement pas

Marc qui pige rien à NOPE !?
30/04/2023 à 07:24

Le Cinéma de Jordan Peel est un Cinéma engagé il montre le premier fim de Cinéma un cavalier Noir sur un cheval au galop pour bien nous rappeler se fait historique .
La forme de l'ovni un œil de Caméra qui aspire tout qui se met devant qui recherche la gloire. Une critique du Cinéma Popcorn qui nous avale et recrache des films pour le prix du Billet.
NOPE est un film étrange mais captivant qui fait réfléchir à notre manière d'être avalé par HOLLYWOOD

Bond
29/04/2023 à 15:11

Ah oui c’est pas dans ce film que l’engin extraterrestre est en forme de rideau de bouche flottant et qui absorbe les gens par un trou du cul , effectivement c’était nul

Arhutr
29/04/2023 à 06:28

Non mais, faut arrêter ! C'est une vraie daube ce fim, Jordan Peele est largement surestimé.

kafa
29/04/2023 à 01:53

tout simplement nul fuiez pauvre fous.

J'ai pas aimé nope
23/04/2023 à 00:08

Très ennuyant! Peu original ! La 1e heure à la limite est cool, mais la 2e tout part vraiment en vrille. L'histoire de Gordy n'apporte pas grand chose, est-ce que c'était pour mieux nous faire comprendre que gnagnagna il faut pas dresser des animaux sauvages ? Franchement on aurait compris sans cette histoire super violente de Gordy?
Et le chef-op très très relou qui veut absolument tout filmer avec sa caméra non-électrique ? Une caricature vreument malmenée... lui aussi je lui donnerais bien des claques. Très grossier.
Jordan Peele, arrêtes la science fiction TOUT DE SUITE ! <3
Et oui la caution LGBT, pas ouf non plus
allez bye

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