Incantation : critique qui s'est fait maudire sur Netflix
Après avoir fait sensation à Taïwan en ce début d'année, Incantation, nouveau film d'épouvante de Kevin Ko, arrive par chez nous par la petite porte. En toute discrétion, le film ranime sur Netflix le genre du found footage et recompose les enregistrements de Lee Jo-nan, une femme frappée par la malédiction d'une obscure divinité bouddhiste. Lorsqu'elle décide de se réunir avec sa fille, après six ans de séparation, les choses tournent bien évidemment très mal et le fléau s'abat férocement. Immense succès dans son pays d'origine, qu'en est-il vraiment d'Incantation ?
Fou de footage
Avertissement : non, Incantation n’est pas aussi terrifiant que sa réputation l’a laissé entendre (notamment par la presse taïwanaise). Aucune barrière de l’horreur ou de l’insoutenable n’est ici franchie. Au contraire, sa vertu serait plutôt de ne pas viser l’effroi absolu, mais l’insidieux. Kevin Ko nous propose un récit dont l’ingénieux moteur est la superstition. Afin de confondre notre perception rationnelle des choses avec l’inquiétante illusion du film, il tente le retour à un genre passablement essoré : le found footage.
De Cannibal Holocaust à Cloverfield, en passant par Le Projet Blair Witch, le found footage (littéralement "vidéo trouvée") est désormais bien connu. En utilisant l’amateurisme diégétique des cameramans comme prétexte, de nombreux films d’horreur ont pu ainsi associer une importante économie de moyens avec des effets plus impactants. Le point de vue subjectif et la proximité avec les personnages amplifient la peur, notamment sur des éléments plus anodins que dans l’épouvante classique.
Incantation est un found footage de prime abord classique. Sans être une énième déclinaison déguisée de Paranormal Activity, il traîne de fait les défauts de ses pairs. Le plus notable étant que le long-métrage ne respecte pas la règle du point de vue subjectif permanent. Les protagonistes filment dans le but de faire des vidéos sensationnalistes sur YouTube et, à partir de là, il est censé n’y avoir qu’une seule caméra. Malgré tout, la mise en scène ne s’y tient pas.
Des caméras qui ne sont pas censées exister nous montrent des contrechamps sur Lee Jo-nan dans des lieux où elle est censée être seule. Les vidéos uniquement diégétiques sont abandonnées afin de nous montrer les réactions des personnages. On obtient alors souvent un montage de l’action plus standard, trahissant son parti pris. Par ailleurs, Incantation est encore plus flagrant que ses prédécesseurs du genre lorsqu’il méprise son exercice de style. En réalité, on sent que le réalisateur brise volontairement l’immersion du film au profit d’autre chose.
De fait, ici, la priorité de Kevin Ko n’est pas de nous tenir en haleine sur un format condensé où tout est propice au sursaut. Il cherche plutôt à construire un ésotérisme perturbant à travers les divers enregistrements du film. C’est une bonne idée, mais malheureusement, le film subit aussi un contrecoup : quelques soucis de rythme et une structure narrative confuse.
Confession d’une femme maudite
soyez sympa, rembobinez
Comme le théâtre antique avait la règle des trois unités afin de préserver la clarté de son récit, le found footage aurait intérêt à respecter une certaine linéarité pour que l’on ne s’y perde pas. Déjà, le film est ici trop long, et en plus perd son spectateur sur plusieurs intrigues à différents lieux et époques sans que rien ne facilite la lecture de l’histoire.
La construction du film tend à recomposer le mystère entourant la secte à laquelle ont eu affaire Lee-Jo-nan et ses amis. Ainsi, plusieurs enregistrements se mêlent avec un intervalle de six ans, alternant entre les évènements à l’origine de la malédiction et les conséquences de celle-ci lorsque le personnage de Hsuan-yen Tsai est réuni avec sa fille. Entre les deux époques, tout s’embrouille.
Puisque le film n’indique jamais explicitement où l’on se trouve dans l’espace et le temps, on est désorienté dans l’action et l’on ne saisit pas toujours ce qui arrive aux personnages et pourquoi. Cela entraîne également une rupture de ton entre les scènes : on passe d’un suicide brutal à un moment de complicité mère-fille sans transition organique. La tension qu’on devrait ressentir sur le long cours est ainsi maladroitement diluée.
Des gens accueillant chez qui il ne faut pas trop s’attarder
Bien dommage qu’un fort captivant mystère d’épouvante se mue ainsi en casse-tête indéchiffrable. En gagnant en lisibilité, l’intrigue d’Incantation nous aurait cent fois plus investis dans l’investigation occulte à laquelle le film nous invite. C’est d’autant plus frappant que l’on sent bien qu’il cherche à nous piéger (surtout dans son dénouement) en retournant notre curiosité contre nous. Ce fameux vilain défaut que le superstitieux rend criminel, mais qui motive tout bon enquêteur intrépide.
De là, on partage avec notre héroïne et ses compagnons la même faute. Cette complicité justifie alors que Lee-Jo-nan nous entraîne dans sa descente aux enfers. C’est exactement ici que le format found footage gagne du sens : la barrière entre les personnages et nous tend à être la plus indistincte possible. Le film de Kevin Ko puise son plus grand atout dans un occultisme méta-narratif. Il vient questionner notre croyance à l’irrationnel en le confrontant aux évènements enregistrés dont nous sommes témoins.
N LE MAUDIT
Afin de vraiment créer le malaise chez le spectateur et à travers son écran, Incantation se tient éloigné des traditionnels exorcismes chrétiens pour nous proposer un terrifiant paganisme bouddhiste. Les codes du film d’exorcisme sont globalement respectés (on retrouve l’ami imaginaire malfaisant et les possessions en pagaille), mais sa mythologie bien moins familière parvient à déstabiliser. Au programme : dégradation des corps style Junji Ito (attention à la trypophobie !), invasions de vers et rituels éprouvants.
Le body horror, assez présent, est relativement épargné au spectateur. Il ne contribue qu’à connecter notre sens de la souffrance physique au destin des personnages et à entrevoir le sombre avenir qui guette les cibles de ce mal surnaturel. Une telle empathie est nécessaire, et ce, pour la même raison que Lee-Jo-nan s’adresse directement à nous dans ses confessions. Le film n’invite pas le spectateur à la passivité. Il démarre d’ailleurs en le mettant à l’épreuve face à une illusion d’optique. Le long-métrage devient bien vite une entité effrayante qui casse le quatrième mur – presque un personnage à part entière. Incantation devient ainsi un véritable film hanté.
En le regardant (même à l’abri, depuis Netflix), vous vous exposez à sa malédiction. Comme dans Ring, la reproduction et la diffusion vidéo du mauvais sort sont au cœur du récit. Ainsi le film marche en réalité bien dans le cadre d’une plateforme de streaming dont la transmission des images au plus grand nombre est le but premier.
La curiosité vous poussera-t-elle à voir le visage de Mère Bouddha ?
Enfin, Incantation dévoile son total potentiel dans sa dernière partie, lorsque le puzzle se complète et que le piège se referme. Après les révélations finales (et une jolie tension sur la séquence d’exploration d’un tunnel), on attaque la phase décisive. Le climax nous attache irrévocablement à ultime invocation de l’irréel, mêlant des chants gutturaux et incantatoires à des visuels troublants.
C’est alors que toute l’immersion dans le film est ranimée pour une excellente séquence finale de terreur païenne. Le plus terrible (et génial) plan du film vient quasiment clore toute l’expérience. La véritable malédiction se dévoile soudain et sa véritable nature est absolument à la hauteur de nos craintes. La superstition s’abat sur nous. Nous voilà hantés.
Incantation est disponible depuis le 8 juillet 2022 sur Netflix en France.
Lecteurs
(3.4)04/12/2023 à 21:37
Franchement, c'est expliqué 1 fois "il y a 6 ans" et après on s'y retrouve facilement même si ça bascule d'une époque à une autre.
Perso je l'ai trouvé sympa, pas parfait évidemment mais il rempli son objectif : nous divertir.....
01/08/2022 à 06:37
Je l'ai trouvé trop long et lent.et je me suis mefiee de la bénédiction maléfique et de l'image du symbole,c plus du subliminal dont j'ai eu peur ds ce film.!
31/07/2022 à 19:51
Je suis devant, j'ai trop peur dis donc, j'ai même pas voulu mémoriser l'image qu'elle dit de retenir au début, franchement je risque de me faire dessus.... Je vais sans doute arrêter, j'ai trop les frousses pour ce genre d'histoire...
31/07/2022 à 10:21
En effet, confus et ennuyeux, je me suis demandé plusieurs fois dans quelle temporalité on était. Dommage car fan des found footages bien foutus mais là c'était pas ça.
30/07/2022 à 20:30
Tout ce qui relève du surnaturel a toujours fasciné. C'est curieux que des spectateurs qui se disent athés et cartésiens puissent avoir peur de ces choses là. Cela ne témoigne-t-il pas d'un fond de croyance?
30/07/2022 à 01:30
Moi j'aime bien ce film
29/07/2022 à 21:29
Je l'ai vu avant hier vu les commentaires publiés par certains ... S'ils ont ou peur ou autre .... perso j'ai failli arrêter a plusieurs reprise ... Vraiment pas captivant
29/07/2022 à 21:24
Ce film fais vomir les gens qui l'ont vu pire qu'un film de Canne lol il mérite une palme
29/07/2022 à 19:33
Pour le titre, on n'accorde jamais "fait" suivi de l'infinitif.
Désolé :)
29/07/2022 à 17:17
@Dodprod
The Medium avait divisé l'équipe !
https://www.ecranlarge.com/films/critique/1436894-the-medium-critique-pas-vraiment-possedee