Egō : critique les œufs sans visage

Simon Riaux | 2 mai 2022 - MAJ : 02/05/2022 18:43
Simon Riaux | 2 mai 2022 - MAJ : 02/05/2022 18:43

La Finlande est-elle l'autre pays de l'omelette ? En tout cas, elle est clairement celui du cinéma de monstres, comme le prouve Egō réalisé par Hanna Bergholm, doublement primé à Gérardmer, et dès à présent disponible en VOD, Blu-ray et DVD.

COQUILLE PLEINE

La caméra tremble, mais la voix de Maman est assurée. Vantant les mérites de sa famille parfaite, elle fait le tour de sa maison au mobilier rutilant, tout de dorures et draperies disposées avec le goût certain d’une maison de poupée à taille humaine. La perfection règne, jusqu’à ce qu’une corneille fasse irruption au beau milieu du salon, provoquant dans un accès de panique, un raz-de-marée destructeur et emplumé.

Une nuque brisée et un volatile abandonné au compost plus tard, tout est rentré dans l’ordre. Tout, mais pas pour tout le monde. La jeune Tinja digère mal la brutalité souriante de l’autrice de ses jours, et la nuit venue, quand elle va récupérer la dépouille de l’oiseau pour lui donner une sépulture, elle découvre un œuf, qu’elle va ramener dans le foyer. 

 

Egō : photo, Siiri Solalinna, Sophia Heikkilä, Jani VolanenUne famille en or...

 

Sans y aller par quatre chemins, Egō assume totalement la transparence de sa métaphore. Il est question ici de rébellion, de mutation et d’acceptation de soi. Tout sera ici à prendre à la fois symboliquement et littéralement. Cet œuf qui grandit, ainsi que la forme de vie qu’il abrite, est l’incarnation directe des névroses contenues d’une pré-adolescente, réceptacle sensible des obsessions comme des dénis de ses géniteurs. Le trait est si épais (il faut voir la ganache de Barbie sociopathe la mater pour saisir qu’on ne sera pas ici dans la subtile évocation psychanalytique), qu’on redoute un temps qu’Egō ne puisse éclore. 

Mais quitte à y aller franco, la réalisatrice Hanna Bergholm s’est donné les moyens de vite faire péter la coquille. Film de monstres s’assumant comme tel et à quantité de niveaux différents, son premier long-métrage apporte un soin tout particulier à son bestiaire. Mélange de maquillages – parfois brutalement gorasses – d'animatroniques, de marionnettes et d’effets numériques souvent judicieux, bébêtes et dépouilles mutilées portent l’ensemble vers le film de monstre à tire d'ailes, et avec une réussite d'une effarante générosité. On n'avait tout simplement pas rencontré d'aussi plaisante monstruosité depuis longtemps.

Durant la première moitié de cette histoire, on se surprend à guetter, au détour d'un plan, à l'issue d'une séquence malmenant notre héroïne, où et comment surgira son compagnon de bec et de pennes.

 

Egō : photo, Siiri SolalinnaUne gestation d'un genre nouveau...

 

ŒUFS MAILLOT

Le film assumant dès ses premiers instants de raconter via une allégorie comment une toute jeune fille va devoir cohabiter avec l'incarnation de ses pulsions les plus conflictuelles (soit un désir bien compréhensible de picorer les organes internes de qui la chatouille de trop près), on ne spoilera rien en établissant qu'il s'agit là du coeur palpitant du projet. Lequel est mené avec une énergie et une envie remarquables par sa réalisatrice. Certes, le tout se veut une étude de caractères, une exploration sensible d'un féminin luttant entre moi, ça, et surmoi, mais accomplit cette traversée initiatique loin des codes en vigueur de l'horreur d'auteur.

Au contraire, la force de cette première incursion dans le fantastique serait plutôt d'assumer bravement l'héritage bourrin et charnu des années 80. Ici, le sur-régime émotionnel des protagonistes flirte avec la caricature, mais se tient toujours, et sait quand verser dans la comédie de moeurs, et quand soudain opérer un changement de braquet glaçant.

Dans une même scène, le récit parvient à bifurquer du malaise divertissant, à la tension, jusqu'à des éclats d'horreur souvent très bien menés. Quand les personnages en viennent - régulièrement - à répandre leurs intériorités sur les murs des décors, la caméra sait capter la dimension grotesque inhérente aux déchaînements de violence, mais aussi la pente monstrueuse qui toujours menace.

 

Egō : photo, Siiri SolalinnaSortir du placard, à ses risques et périls

 

FAIS COMME L'OISEAU

C'est ce grand écart entre rire et effroi, que la mise en scène brandit comme un étendard, qui permet à Egō de souvent transcender les limites évidentes de son budget. À commencer par son décor quasi-unique, tout à fait cohérent avec le discours du film, mais pas assez cinégénique pour que le spectateur en distingue les coutures, avant de souffrir de son artificialité. De même, la photographie de l'ensemble a beau vouloir souligner en permanence la dimension factice de l'univers pastel que s'est bâti un clan rongé par l'hypocrisie, ainsi qu'un hygiénisme de façade, elle est souvent trop numérique ou systématique pour ne pas éroder notre immersion.

Enfin, pour intense, furieusement sympathique et finalement agressif que se révèle le long-métrage, il souffre dans son dernier quart de ne jamais tout à fait atteindre les sommets d'abomination qu'il nous promettait. Bergholm ne perd jamais le fil de sa narration, parvient à maintenir un cap pas évident, les attendus du film de bébête baveuse n'étant pas toujours ceux de la chronique adolescente, mais l'autrice ne peut, dans sa dernière ligne droite, pousser les potards à fond, ou éviter une certaine forme de répétition.

 

Egō : photoLe ravalement de façade n'est pas toujours celui qu'on attend

 

Au moins depuis les  mésaventures sanglantes d'un certain Dr Jekyll, la structure visant à découvrir les exactions d'un double transgresseur après les affronts subits par le ou la protagoniste est connue, sinon rebattue. Ainsi, dès lors qu'il est établi que le terrifiant poussin devenu le double de Tinja réduira drastiquement l'espérance de vie de quiconque lui bave sur les rouleaux, le scénario est condamné à dérouler une suite d'évènements tous plus prévisibles les uns que les autres.

C'est le seul reproche de taille qu'on peut émettre à l'encontre d'Egō, mais il ne mérite pas de tenir les amoureux des créatures tordues et affamées loin de leur écran, tant ils pourraient bien découvrir avec retard leur plus bel oeuf de Pâques.

Ego est disponible en DVD, Blu-ray et VOD depuis le 27 avril 2022

 

Egō : Affiche française

Résumé

Premier film au budget modeste et à l'écriture sursignifiante qui pèsent sur sa réussite, Egō emporte et convainc grâce à un amour immodéré pour les films de monstre, dont il s'avère un des représentants contemporains les plus créatifs, énervés, généreux et cohérents. Un bien beau poussin en somme.

Autre avis Mathieu Jaborska
Un pur film de monstre assez réjouissant, qui compense une structure à rebours des attendus du genre (et donc forcément fragile) par un sens de la rupture de ton étonnant et des effets spéciaux d'excellente facture.
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Lecteurs

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commentaires
Benasi
26/06/2022 à 22:13

Film moyen bourré d’illogismes uniquement là pour créer des situations d’horreur.

Cidjay
24/05/2022 à 13:35

Beaucoup trop conventionnel et caricatural (surtout la maman qui en fait des caisses) pour être mémorable.
Pour un film de monstre, je déteste quand le monstre fini par ne plus être ce qu'il représente au début (ça ma rappelé le tout juste sympa Splice dans un certain sens)
L'histoire de la dualité mère/fille et le sous-texte de l'histoire manque clairement de finesse.
Dommage, car l'actorat était plutôt convainquant, la fille est particulièrement touchante, Le beau-père super cool, et le père (cette grosse lavette) est fantastique, et m'a fait rire plus d'une fois par sa lavettitude. Les effats spéciaux eux manque de finition, à certains moments je ne savait pas si c'était de la synthèse mal faite, ou de l'animatronic mal fait.
bref, c'était sympa, mais je pense ne pas m'en souvenir d'ici quelques années.

Film d'horreur
03/05/2022 à 09:20

Pour moi un film de genre, qu'il soit de monstre ou slasher / fantôme etc, doit me faire peur, ou me choquer / surprendre / déranger. Mais je reconnais son originalité, déjà qu'il vienne d'un pays nordique.
La maman est parfaite dans son rôle, bien glaçante.

Tonto
02/05/2022 à 23:28

Effectivement sympathique, mais trop conventionnel pour moi, on a quand même l'impression d'avoir déjà vu cette histoire un certain nombre de fois. Même si, effectivement, il y a quelques éclats acceptables, mais trop timides... Une réalisatrice à suivre, néanmoins.

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