The Northman : critique du véritable God of War

Antoine Desrues | 4 janvier 2023 - MAJ : 06/01/2023 10:19
Antoine Desrues | 4 janvier 2023 - MAJ : 06/01/2023 10:19

Après les phénomènes que furent The Witch et The LighthouseRobert Eggers poursuit son exploration singulière du cinéma fantastique avec The Northman. Derrière l’inspiration évidente de Conan le Barbare, le cinéaste déploie son formalisme pour réaliser une pure fresque épique au cœur de l’époque viking. Épaulé par un casting incroyable (Alexander Skarsgård, Nicole KidmanAnya Taylor-Joy ou encore Ethan Hawke), le réalisateur parvient-il à signer le bulldozer tant attendu ?

Odin(gue)

On l’oublie bien souvent, mais avant de se retrouver employé pour évoquer des récits segmentés et des univers étendus, le terme "saga" provient de l’Islande médiévale, et désigne une histoire écrite en prose, souvent portée par un caractère légendaire. Cette origine n’a clairement pas échappé à Robert Eggers, dont le cinéma est, depuis ses débuts, obsédé par une mise en scène qui ausculte nos mythes et peurs les plus élémentaires (la sorcière, les fonds marins, ou encore les îles abandonnées), désormais réadaptés à toutes les sauces dans la pop-culture.

 

 

Pour l’artiste, dont la jeunesse en Nouvelle-Angleterre a forcément été nourrie par les écrits d’un de ses auteurs les plus fameux (Lovecraft), il y a la soif d’un retour aux sources du fantastique, comme s’il remontait la généalogie de motifs et de symboles qui nous accompagnent encore. Or, The Northman est justement centré sur la question de l’héritage, qu’il traduit visuellement par un arbre des rois où flottent, comme dans un liquide amniotique, les corps de plusieurs générations de souverains et de guerriers.

 

The Northman : Photo Alexander SkarsgårdLes All-Blacks d'avant

 

Là réside toute la beauté de ce projet hors-norme, et a priori impensable dans l’écosystème hollywoodien actuel (on rappelle que le métrage a coûté la bagatelle de 90 millions de dollars, alors qu’il n’est basé sur aucune franchise existante). Eggers façonne son film de Viking en ayant en tête cette métaphore filée de la transmission, et du poids de nos actes. Au cœur de ces terres vierges et immaculées, vallées, montagnes et forêts qui procurent instantanément une sensation de sublime (très belle utilisation des panoramas offerts par l’Irlande), quelle est la place de l’homme, ou plus précisément de celui qui est censé écrire sa légende ?

D’une certaine façon, The Northman y répond par la simple nature de son scénario, qui reprend le récit du Viking Amleth, dont la quête de vengeance a inspiré le Hamlet de Shakespeare. Suite au meurtre de son père (Ethan Hawke) de la main de son oncle (Claes Bang), le jeune prince est contraint de fuir, tout en dévouant sa vie à son retour sanglant.

 

The Northman : Photo Nicole Kidman, Ethan HawkeUn film qui aime la viande

 

Alexander le grand

À la manière d’un peintre romantique, Eggers a ainsi toute la latitude pour explorer de magnifiques contrastes d’échelles entre ses personnages et cette nature qui accueille la violence. Sans concession, il s’amuse avec le sens de l’épique soutenu par son concept, entériné par cette incroyable séquence de bataille composée de trois plans-séquences spectaculaires.

En suivant le parcours barbare de son protagoniste dans cet assaut, le cinéaste assoit le projet entier du film, qui gravite autour du corps d’Alexander Skarsgård, véritable monstre de cinéma aussi fascinant que terrifiant, dont le film souligne chaque minute la bestialité qui se dégage de son regard et de sa dégaine monolithique. 

 

The Northman : photo, Alexander SkarsgårdDis Alexander, qu'y a-t-il de mieux dans la vie ?

 

L’investissement de l’acteur est à n’en pas douter le cœur de la réussite de The Northman, parce que cette masse de muscles inarrêtable reflète au mieux l’universalité d’un récit vengeur, qui confronte le libre arbitre d’un personnage prêt à annihiler le monde entier à des dogmes moraux qui lui assureraient un avenir plus radieux.

Loin de la déconstruction mythologique typique d’un postmodernisme très à la mode, la démarche de Robert Eggers fait figure d’anomalie rayonnante par son premier degré revendiqué. La pureté narrative et esthétique du film est à la fois sa plus grande force, mais aussi sa faiblesse, tant sa nature de conte cousu de fil blanc pourra laisser certains spectateurs sur le bord de la route, surtout après sa première demi-heure virtuose qu’il n’arrive jamais totalement à transcender.

 

The Northman : Photo Anya Taylor-Joy, Alexander SkarsgårdAnya Taylor-Joy, toujours aussi envoûtante

 

Comme un Ragnarök

Néanmoins, The Northman est à son meilleur lorsqu’il épouse la fluidité de sa structure archétypale, mettant en scène l’urgence et la nécessité de la progression comme un contrepoint au surplace des blockbusters qui brassent du vent. Coûte que coûte, Amleth avance vers son destin, tandis que la caméra le suit dans des travellings magistraux, qui nous donnent toujours les clés de leur topographie. Au-delà de cette lisibilité permanente de la mise en scène, on voit le personnage emplir l’espace, s’imposer au monde et dans le monde, pour mieux y trouver sa place.  

Via cette étreinte entre le corps d’Amleth et l’objectif, Eggers déploie une relation charnelle avec son sujet, au point de réveiller une part de body-horror à la Cronenberg dans ses élans mythologiques. Toujours aussi fasciné par les rituels et un folklore qu’il aborde avec un sérieux papal, le cinéaste métaphorise la transformation de l’homme en animal, en bête monstrueuse qui n’attend que de percer et de trancher la chair. Tandis que la caméra plonge dans une plaie pour y révéler des visions oniriques, les entrailles convoquent la nature profonde d’une humanité qui se cherche, et qui doit passer outre la frontière de la peau et des muscles pour saisir son essence.

 

The Northman : Photo BjörkAh oui, il y a Björk aussi !

 

Derrière la précision de ses cadres, The Northman n’est d’ailleurs qu’une quête permanente du débordement, celle d’une colère impossible à enfouir, et celle d’une mythologie qui a fini de se déverser dans d’autres pans de l’histoire. Cette vision, claire comme de l’eau de roche, est poussée par Eggers dans ses retranchements par son final à la puissance picturale folle, évoquant tour à tour la dynamique de certaines statues grecques et la beauté cauchemardesque des Peintures noires de Goya.

Dans cette danse macabre, le réalisateur de The Witch parvient sans détour à embarquer toute son équipe, et confirme qu’il est un grand directeur d’acteurs. Si Anya Taylor-Joy réussit sans peine à gagner une aura mystique à chacune de ses apparitions, impossible de ne pas s’attarder sur la performance habitée de Nicole Kidman, ou même sur la (courte) présence de Björk en sorcière fantasque. Tout ce beau monde est au diapason de cette proposition de cinéma hors du commun, dont la sublime harmonie nous amènerait à la défendre plus que de raison.

 

The Northman : Affiche française

Résumé

Au-delà de sa beauté plastique indéniable, The Northman est un pur film de mythologie assumé et revendiqué, qui embrasse avec une vigueur salvatrice l’universalité de sa quête de vengeance. Robert Eggers revient ausculter nos récits fondateurs, épaulé par la bestialité d’un Alexander Skarsgård impressionnant. Voilà une proposition rare, et à choyer.

Autre avis Simon Riaux
Fourre-tout empesé, qui confond coquetterie et style, ce Conan sous Lexomil témoigne des errements d'un cinéma américain incapable penser le divertissement, ou de divertir en pensant. Aussi creux que laid.
Autre avis Mathieu Jaborska
Mi-série B bourrin mi-fresque contemplative et formaliste, The Northman s'empare avec appétit de la mythologie Viking sans toutefois en tirer plus qu'une suite d'images marquantes.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.2)

Votre note ?

commentaires
Max34
12/05/2023 à 19:50

Sans aucun intérêt, j ai été choque en voyant le budget de ce film ... on dirait un téléfilm

MoiLeVrai
05/01/2023 à 10:45

J'oscille avec Eggers, j'arrive toujours pas à savoir si j'apprecie fortement son cinéma, ou pas du tout. J'avais (beaucoup) aimé the witch, j'ai (beaucoup) détesté the lighthouse, et j'ai apprécié the Northman.

Ce dernier est très joli, une histoire qui ne raconte rien de vraiment novateur mais le fait assez bien, et c'était assez divertissant.

ChaosEngine
06/07/2022 à 10:52

@Chris11
Tout à fait d'accord sur l'absurdité de caster une actrice au visage tellement ouvertement botoxé dans un film qui joue la carte de la reconstitution historique. Et pour le coup les autres personnages collent bien je trouve (Ethan Hawke, Willem Dafoe, voilà le genre de gueules qu'on veut voir !)

Perso je ne blâme pas Kidman, elle fait ce qu'elle veut avec son corps, je blâme celui qui l'a choisie au casting pour ce film.

Pour référence d'une actrice qui assume son âge et ses rides, qui du coup garde son charme d'antan, je vous recommande de voir Jodie Foster dans The Mauritanian (Désigné Coupable). Et en plus c'est un superbe film :)

N'Ordinn
23/05/2022 à 19:37

Je n'ai pas compris la scène dans l'étable "tu vois bien que je suis une vraie blonde" (ou quelque chose comme cela) ?

Yab
21/05/2022 à 11:13

Mon Dieu que c'est beau!! Et Dieu, que c'est creux, stéréotypé, et long...

Inaritoo
20/05/2022 à 14:12

Étonnante cette critique dithyrambique sur ce film.

Ce film est aux films de Viking ce que "Batman et Robin" est aux films de Batman. C'est à dire, une trahison, une grosse daube intersidéral. Rien ne va ds ce film, le jeux des acteurs, les combats, le scénario, le décors, etc. J'ai arrêté le massacre avant la fin tellement c'était mauvais. Ragnar Lothbrok peut dormir tranquille....

Chris11
18/05/2022 à 17:01

J'ai bien aimé, c'est franchement beau, Skasgaard habite son rôle, c'est brut et violent, avec un coté mystico-mythologique appréciable. Taylor-Joy est toujours fascinante, elle n'est pas très belle, mais qu'elle est fascinante et charismatique! (ce qui vaut bien plus que la beauté). Le frère est terrifiant également, et j'aime beaucoup le côté non manichéen du film.
Par contre, désolé mais le visage en plastique de Kidman, c'est pas possible et ça m'a franchement gâché le film. Je n'épiloguerai pas sur le fait que fondamentalement, Kidman est une actrice de série B au mieux, et pour avoir lu un peu plus bas, je me fiche royalement de savoir si une actrice doit passer par la chirurgie pour survivre en tant que spectateur (ce qui me semble très discutable, il me semble que beaucoup n'y ont pas recours et continuent de jouer, mais ça suppose d'avoir un talent), c'est pas mon problème. Bullock dont le visage luit comme une saucisse à l'huile sur un barbecue dans Gravity, un film d'actualité voire futuriste, c'est ok. Mais tu ne mets pas un acteur ou une actrice au visage refait dans un film "historique", m****!

John Maclane
18/05/2022 à 08:59

La chirurgie de Kidman ne se voit pas?!?... Prendre une photo d'elle jeune + une d'elle d'aujourd'hui/ comparer/ ...
@Vulfi
C'est bien joli les propos progressistes en faveur des femmes à hollywood, mais encore faudrait-il considérer leur libre-arbitre. Déjà elles n'ont pas toutes cédées aux canons de la chirurgie plastique post quarantaine (Rampling, Bellucci, Berry, Binoche, Watts...). Et peut-être, si tu leur permets, la chirurgie est même parfois un choix personnel (et non pas dictée par une envie de rôle, mais motivée par des sentiments moins terre à terre, un complexe d'enfance par exemple...)

Vulfi
16/05/2022 à 22:19

@kimfist

Il faut vraiment vivre dans le déni pour ne pas considérer que les femmes, les actrices, sont systématiquement discriminées dans le milieu du cinéma, comme ailleurs dans la société. Que dès qu'elles vieillissent elles perdent des rôles. Qu'elles sont toujours poussés vers des méthodes pour cacher leur âge dangereuses pour leur santé ainsi que pour leur carrière.

Il faut vraiment vivre dans le déni pour ne pas voir que, pendant ce temps, les hommes, les acteurs, ne subissent absolument rien de tout ça. Qu'ils n'expérimentent pas la suspicion d'incompétence et qu'ils sont régulièrement accompagnés, dans la vie comme au cinéma, de femmes bien plus jeunes. Ce sont des discriminations continuelles qui nuisent à notre société et The Northman, ni plus ni moins que les autres blockbusters, perpétue cette triste tradition.

Libre à toi de penser que ça ne se voit pas dans ce film. Pour moi c'est une évidence. Le visage de Skadgard est marqué par le passage du temps. Je trouve que ça le rend beau. Mais ça en fait un quadra bien tassé et ça ne sert à rien de le cacher. Pendant ce temps, Taylor-Joy affiche ce visage "envoutant" (pour citer Ecran Large), visage de la jeunesse immaculée, visage de la 20aine. Faire croire que ces deux personnes ont le même âge me semble très problématique pour tout ce que j'ai dit avant. Encore une fois, libre à toi de ne pas être d'accord.

Je ne viens pas ici pour "chercher la petite bête". Je viens ici pour parler des films, des séries et même des articles parce que j'aime ce que la culture nous permet de créer à plusieurs. Parce que j'aime les accords et les désaccords. Heureusement, sur ce site, il y beaucoup de personnes qui acceptent les avis contraires sans multiplier les procès d'intention à l'encontre de leurs auteurs.

C'est grâce à cette communauté plutôt bienveillante que les nombreuses critiques concernant The Northman, qu'elles soient mauvaises ou bonnes, assassines ou dithyrambiques, peuvent exister ici sans trop de souci.

kimfist
16/05/2022 à 20:49

@vulfli

- Tu a le droit de ne pas avoir été réceptif à la réussite du film, mais ça ne veut pas dire qu'il est mauvais.

- Les commentaires sont ditirembiques a l'exception de quelques un, comme pour tout les films, même les réussis.

- Je ne sais pas quel âges tu as mais je te souhaite d'être aussi peu marqué que Skadgard à 45 ans. Qui plus est 45/26 et toi tu parle d'inseste ? Tu vis sur une autre planète les gens qui se fréquente n'en n'ont rien à faire de ci petite différence d'âge...

- Tu cherche la petite bête dans TOUT tes commentaires sous ce pseudo pour pouvoir rebondire, c'est très peu constructif mais bon... C'est sans doute notre époque qui veut ça.

Plus
votre commentaire