Odin(gue)
On l’oublie bien souvent, mais avant de se retrouver employé pour évoquer des récits segmentés et des univers étendus, le terme « saga » provient de l’Islande médiévale, et désigne une histoire écrite en prose, souvent portée par un caractère légendaire. Cette origine n’a clairement pas échappé à Robert Eggers, dont le cinéma est, depuis ses débuts, obsédé par une mise en scène qui ausculte nos mythes et peurs les plus élémentaires (la sorcière, les fonds marins, ou encore les îles abandonnées), désormais réadaptés à toutes les sauces dans la pop-culture.
Pour l’artiste, dont la jeunesse en Nouvelle-Angleterre a forcément été nourrie par les écrits d’un de ses auteurs les plus fameux (Lovecraft), il y a la soif d’un retour aux sources du fantastique, comme s’il remontait la généalogie de motifs et de symboles qui nous accompagnent encore. Or, The Northman est justement centré sur la question de l’héritage, qu’il traduit visuellement par un arbre des rois où flottent, comme dans un liquide amniotique, les corps de plusieurs générations de souverains et de guerriers.
Là réside toute la beauté de ce projet hors-norme, et a priori impensable dans l’écosystème hollywoodien actuel (on rappelle que le métrage a coûté la bagatelle de 90 millions de dollars, alors qu’il n’est basé sur aucune franchise existante). Eggers façonne son film de Viking en ayant en tête cette métaphore filée de la transmission, et du poids de nos actes. Au cœur de ces terres vierges et immaculées, vallées, montagnes et forêts qui procurent instantanément une sensation de sublime (très belle utilisation des panoramas offerts par l’Irlande), quelle est la place de l’homme, ou plus précisément de celui qui est censé écrire sa légende ?
D’une certaine façon, The Northman y répond par la simple nature de son scénario, qui reprend le récit du Viking Amleth, dont la quête de vengeance a inspiré le Hamlet de Shakespeare. Suite au meurtre de son père (Ethan Hawke) de la main de son oncle (Claes Bang), le jeune prince est contraint de fuir, tout en dévouant sa vie à son retour sanglant.
Alexander le grand
À la manière d’un peintre romantique, Eggers a ainsi toute la latitude pour explorer de magnifiques contrastes d’échelles entre ses personnages et cette nature qui accueille la violence. Sans concession, il s’amuse avec le sens de l’épique soutenu par son concept, entériné par cette incroyable séquence de bataille composée de trois plans-séquences spectaculaires.
En suivant le parcours barbare de son protagoniste dans cet assaut, le cinéaste assoit le projet entier du film, qui gravite autour du corps d’Alexander Skarsgård, véritable monstre de cinéma aussi fascinant que terrifiant, dont le film souligne chaque minute la bestialité qui se dégage de son regard et de sa dégaine monolithique.
Dis Alexander, qu’y a-t-il de mieux dans la vie ?
L’investissement de l’acteur est à n’en pas douter le cœur de la réussite de The Northman, parce que cette masse de muscles inarrêtable reflète au mieux l’universalité d’un récit vengeur, qui confronte le libre arbitre d’un personnage prêt à annihiler le monde entier à des dogmes moraux qui lui assureraient un avenir plus radieux.
Loin de la déconstruction mythologique typique d’un postmodernisme très à la mode, la démarche de Robert Eggers fait figure d’anomalie rayonnante par son premier degré revendiqué. La pureté narrative et esthétique du film est à la fois sa plus grande force, mais aussi sa faiblesse, tant sa nature de conte cousu de fil blanc pourra laisser certains spectateurs sur le bord de la route, surtout après sa première demi-heure virtuose qu’il n’arrive jamais totalement à transcender.
Anya Taylor-Joy, toujours aussi envoûtante
Comme un Ragnarök
Néanmoins, The Northman est à son meilleur lorsqu’il épouse la fluidité de sa structure archétypale, mettant en scène l’urgence et la nécessité de la progression comme un contrepoint au surplace des blockbusters qui brassent du vent. Coûte que coûte, Amleth avance vers son destin, tandis que la caméra le suit dans des travellings magistraux, qui nous donnent toujours les clés de leur topographie. Au-delà de cette lisibilité permanente de la mise en scène, on voit le personnage emplir l’espace, s’imposer au monde et dans le monde, pour mieux y trouver sa place.
Via cette étreinte entre le corps d’Amleth et l’objectif, Eggers déploie une relation charnelle avec son sujet, au point de réveiller une part de body-horror à la Cronenberg dans ses élans mythologiques. Toujours aussi fasciné par les rituels et un folklore qu’il aborde avec un sérieux papal, le cinéaste métaphorise la transformation de l’homme en animal, en bête monstrueuse qui n’attend que de percer et de trancher la chair. Tandis que la caméra plonge dans une plaie pour y révéler des visions oniriques, les entrailles convoquent la nature profonde d’une humanité qui se cherche, et qui doit passer outre la frontière de la peau et des muscles pour saisir son essence.
Derrière la précision de ses cadres, The Northman n’est d’ailleurs qu’une quête permanente du débordement, celle d’une colère impossible à enfouir, et celle d’une mythologie qui a fini de se déverser dans d’autres pans de l’histoire. Cette vision, claire comme de l’eau de roche, est poussée par Eggers dans ses retranchements par son final à la puissance picturale folle, évoquant tour à tour la dynamique de certaines statues grecques et la beauté cauchemardesque des Peintures noires de Goya.
Dans cette danse macabre, le réalisateur de The Witch parvient sans détour à embarquer toute son équipe, et confirme qu’il est un grand directeur d’acteurs. Si Anya Taylor-Joy réussit sans peine à gagner une aura mystique à chacune de ses apparitions, impossible de ne pas s’attarder sur la performance habitée de Nicole Kidman, ou même sur la (courte) présence de Björk en sorcière fantasque. Tout ce beau monde est au diapason de cette proposition de cinéma hors du commun, dont la sublime harmonie nous amènerait à la défendre plus que de raison.
Day one !
Je viens de faire « splouch ».
Je meurs
Dommage, il ne passera pas dans le ciné à côté de chez moi
Super relou, le cinéma cgr de chez moi le diffuse pas. Pitoyable sélection avec juste quelques Marvel DC et des comédies françaises a deux balles…