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Le Grand Jeu : critique qui bluffe

Par Simon Riaux
14 mars 2022
MAJ : 14 mars 2022
5 commentaires

Le Grand Jeu, disponible sur Amazon Prime Video.

Il est un des auteurs les plus révérés et acérés d’Hollywood, dont les travaux, de par leur virtuosité et leur finesse, embrassent le monde qui nous entoure. Aaron Sorkin signe avec Le Grand Jeu son premier film, centré sur le destin ahurissant de la plus puissante organisatrice de parties de poker clandestines au monde.

Affiche française

TROP DE SKI TUE LE SKI

Qualifications en vue de l’épreuve de descente à skis des Jeux olympiques. Une jeune femme, combattive malgré un dos trop fragile, s’élance. En surplomb, la voix off de cette même sportive, douze ans plus tard, revient sur l’accident matriciel qui se profile et peint en creux son autoportrait. Cette introduction, Aaron Sorkin l’a imaginée à la manière d’un incipit, une note d’intention qui concentrerait tous les thèmes déroulés par Le Grand Jeu. Il y est arrivé puisque, paradoxalement, la scène contient les germes de tous les problèmes qui mineront son premier film.

 

Photo Jessica ChastainJessica Terminator Chastain

 

L’intention est si transparente, si éminemment scolaire, qu’on en distinguerait presque la mélodie mécanique émise par les méninges du brillant scénariste en fond sonore. La moindre phrase est ciselée, chaque formule pesée avec soin, sans qu’aucune ne transmette autre chose que le pesant écho d’un travail soigné, mais besogneux. Le filmage et le montage sont fonctionnels, génériques, aussi désincarnés que la scansion monocorde du personnage. Et quand cette première séquence trouve son point culminant, un échec fondateur, qui cristallise la psychologie et les motivations du personnage principal, c’est pour s’achever sur un bon mot, amusant, trivial, mais qui échoue à transmettre une quelconque profondeur.

Il en sera ainsi jusqu’à l’ultime séquence du Grand Jeu, qui revient sur les lieux de ce raté initial, comme pour mieux consacrer le blocage d’Aaron Sorkin. Entre temps, on se sera demandé pourquoi le réalisateur a choisi ce récit, qui semble systématiquement paralyser ses immenses qualités, tandis qu’il donne l’impression de toujours l’attaquer par le mauvais biais.

 

Photo Kevin CostnerKevin Costner

 

LE ROI EST FULL

Tout d’abord, force est de constater que le génial créateur de À La Maison Blanche, chef d’orchestre de The Newsroom et artisan du Social Network n’est pas aussi habile metteur en scène que scénariste et dialoguiste. La plus grande partie du film qui nous intéresse est filmée paresseusement, Sorkin se contentant de reproduire les items du cinéma indépendant de bureaux, agitant sa caméra quand il tente de dynamiser l’action, singeant le Scorsese des mauvais jours quand les parties de poker s’enfièvrent.

Perdu, il en est souvent réduit à nous écraser d’une logorrhée de voix off pour compenser ce qu’il ne sait pas filmer, à l’image de l’addiction de son héroïne à tout ce qui se sniffe, s’avale et se boit, indétectable à l’œil nu, mais rabâchée toutes les deux minutes. Même les morceaux de bravoure Sorkiniens sont en sourdine.

En témoigne un dialogue poussif, surécrit et blindé des pires clichés psychanalytiques entre Jessica Chastain (que son rôle de monomaniaque surpuissante a dramatiquement vidée de toute substance humaine) et un Kevin Costner javellisé, aussi stimulant qu’une tête de veau ravigote végétarienne au soja. Le Grand Jeu voudrait nous bluffer, mais ne parvient pas à dissimuler qu’il n’a finalement rien à dire, ou si peu, sur le rapport de ses protagonistes à l’argent, à la domination et la prédation, autant de thèmes autour desquels tourne le cinéaste, sans jamais les incarner ou les attaquer de front.

 

Photo Jessica ChastainDe l’art d’accommoder la mafia russe

 

Pour autant, le métrage témoigne curieusement de la puissance de Sorkin. Impossible de ne pas se rendre à l’évidence : même un Sorkin mineur, voire raté, demeure très au-dessus d’une grande partie de la production actuelle. S’il est trop bavard, il recèle ici et là de véritables trouvailles, un humour parfois impitoyable et une capacité indiscutable à toujours maintenir notre attention éveillée. La preuve en somme que l’artiste a toute sa place derrière la caméra, pour peu qu’il affirme son style et parvienne à maintenir le niveau de ludique exigence qui a fait sa gloire.

 

Affiche française

Rédacteurs :
Résumé

Le génie de Sorkin semble comme en sourdine, étouffé par ce récit qu'il ne sait comment aborder et qui ne cesse de lui échapper.

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Euh

Excellente critique cher Gaidon

JackieBoy

Vu la bande-annonce hier, avant de voir Star Wars 8, et le film s’annonce pas mal. Une bande-annonce misant énormément sur le physique de Jessica.

T-bib

J’ai été agréablement surpris par ce film, je savais pas trop a quoi m’attendre. Mais finalement, tout ce qui a été cité comme défaut dans cette critique, me semble être des qualités. Sorkin aurait pu tomber dans la facilité et nous balancer une copie du Loup de Wall Street, ou même nous faire une sorte d’ambiance a la ocean’s eleven au moment des scènes de poker ou de transport d’argent par exemple (Musique dynamique, montage dynamique etc).
Je n’ai pas lu le bouquin (ce que je vais surement faire de ce pas), mais j’ai trouvé ce film vraiment bon, et les acteurs sont géniaux (encore un grand Idris Elba). Un film qui va surement un peu passer inaperçu, dommage

Sylvain PASSEMAR

Très bon film, de l’action, des dialogues et des monologues bien ficelés, un film à ne pas manquer avec un duo d acteur Molly et son avocat à couper le souffle, basé sur une histoire vraie avec un dénouement qui ne se devine pas avant la fin du film!

Morcar

Je l’ai trouvé en BluRay à 2 € dans un magasin d’occasion il y a deux ans, je crois. Pas mal, mais il ne m’a pas marqué plus que ça, en effet. Il a fait beaucoup mieux depuis avec « Les 7 de Chicago », par exemple. Il faudra quand même que je le revois, pour me faire une meilleure idée du film, car le premier visionnage est souvent biaisé (on adore un film qu’on trouve moins génial en le revoyant, ou alors on est déçu puis en le revoyant on découvre qu’il est mieux que la première image que l’on s’est faite).