Pearl Harbor : critique

Laurent Pécha | 8 avril 2005 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Laurent Pécha | 8 avril 2005 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Pearl Harbor est au cinéma ce que le raid japonais du 7 décembre 1941 fut pour l'Histoire : « Une infamie » à jamais condamnable. Après trois heures d'un spectacle visuel consternant quand il n'est pas détestable, une évidence s'impose : Michael Bay a touché le fond. Bien sûr, nombreux sont ceux qui pensent que le réalisateur n'a jamais vraiment eu la moindre parcelle de talent. Certes, mais il faut reconnaître à ses opus précédents (et notamment The Rock) une réelle efficacité. Or, dans Pearl Harbor, rien mais alors rien ne fonctionne et surtout pas la fameuse attaque aérienne qui fit entrer les Etats-Unis dans la Seconde Guerre Mondiale. Et pour cause, c'est loin d'être le centre d'intérêt majeur de Bay. Parachuté au beau milieu du triangle amoureux qui sert de moteur au récit, le bombardement de la flotte américaine est certes spectaculaire mais ressemble plus à une longue péripétie à la dramaturgie bien faible. La sauce ne prend pas et ce malgré la multitude de dollars utilisée pour cette séquence (une grande partie des 135 millions du budget est de toute évidence sur l'écran).

Alors que la première partie aurait du faire monter la tension précédent cette attaque inévitable en expliquant de manière implacable les enjeux de la situation (comme Tora ! Tora ! Tora ! l'a si bien fait auparavant), le film se consacre avant tout à évoquer l'histoire d'amour entre un jeune officier, Rafe McCawley (Ben Affleck toujours aussi falot) et une jolie infirmière, Evelyn Stewart (Kate Beckinsale, plutôt convaincante) ainsi que l'amitié qui unit Rafe à son ami de toujours (et futur rival) Danny Walker (Josh Hartnett, transparent). De toute évidence, Michael Bay tente de jouer à fond la carte de Titanic mêlant une histoire d'amour aux événements historiques. Dans cette volonté assumée de faire un mélo flamboyant, on ne peut s'empêcher de penser que le réalisateur recherche une certaine forme de respectabilité et de reconnaissance artistique. Dire qu'il se montre maladroit dans sa tentative d'insuffler à son récit un semblant de lyrisme et d'émotion, est un sacré euphémisme. Il faut voir le flash-back sur la rencontre entre Rafe et Evelyn pour comprendre à quel point Michael Bay sera à jamais incapable d'avoir le moindre sens de la comédie : la scène est totalement risible et significative du peu d'intérêt qu'il réussit à faire naître de ses personnages et de leurs tourments.

 

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Ainsi quand arrive enfin l'attaque, on est loin d'être installé dans le film. Les quelques scènes accordées au camp japonais ne sont pas là pour arranger qles choses, bien au contraire. Le mot cliché semble bien faible en comparaison de la caricature que nous impose Pearl Harbor. Tout juste a-t-on le temps de pouffer de rire à l'énoncé de la phrase de l'amiral Yamamoto : « si j'étais un homme intelligent, j'aurais su éviter d'en arriver là ». La descente d'un verre de saké avant l'attaque dans un ralenti dont seul Bay semble détenir la recette est également à mettre à l'actif des scènes les plus consternantes. Sans parler de ce montage judicieux où une séquence montrant les américains scruter les différents points de défense de Pearl Harbor au moyen d'une carte-décor en relief laisse place au camp japonais qui prépare leur attaque en dessinant à même le sol avec de la craie !!!

 

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Une fois l'assaut sur Pearl Harbor lancé, on se dit qu'on va en avoir pour son argent. Si le festival pyrotechnique et l'assistance par ordinateur permettent alors de faire enfin décoller le film, cela ne dure que quelques éphémères minutes. Car, alors que l'Amérique est en train de prendre la raclée la plus terrible de son histoire, le film réussit à détourner l'intérêt du spectateur du massacre par un subterfuge scénaristique honteux. S'appuyant sur des faits historiques exacts, l'intrigue se déplace sur Rafe et Danny qui au risque de leur vie vont s'envoler pour pourchasser et détruire sept avions japonais. On s'éloigne ainsi de l'évocation du massacre pour se retrouver dans un épisode survitaminé et visuellement impressionnant des Têtes brûlées. Cela a à un avantage : permettre de faire passer la pilule aux américains et transformer une défaite cuisante en une petite victoire. Sous ses attraits de spectacle flamboyant, Pearl Harbor a de sérieuses tendances à faire dans la démagogie et dans le patriotisme exacerbés.

 

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Et ce n'est pas la dernière partie du film qui viendra changer cette impression navrante. Car, Pearl Harbor ne pouvait pas se finir sur le désastre du 7 décembre 1941. Non, il fallait montrer la riposte américaine afin d'assurer une rentrée financière importante au regard du budget pharaonique, les américains ne pouvant pas perdre. On a alors le droit à la préparation et au raid de 1942 sur Tokyo. Si l'héroïsme n'avait pu vraiment s'exprimer durant l'attaque de Pearl Harbor (exception faite du laveur de vaisselle black interprété par Cuba Gooding Jr qui devient un vrai soldat en descendant des avions japonais à l'aide d'une énorme mitrailleuse), le final offre à nos protagonistes tout le loisir de se rattraper. Au passage, l'histoire se permet de voler la notion de kamikaze cher au code de l'honneur japonais pour la transposer dans la bouche du Colonel Jimmy Doolittle (Alec Baldwin). Détestable !

 

photo, Ben Affleck

 

On n'a rien contre un film qui exergue le patriotisme américain mais trop c'est trop ! Michael Bay n'a pas su (ou voulu) s'arrêter. Le discours final est à ce titre consternant et totalement risible, tout comme l'est le passage où un Rooselvet paralysé (méconnaissable John Voight) se lève de sa chaise pour démontrer à ses officiers que rien n'est impossible. Quant au plan du chien réussissant à échapper au naufrage de l'Arizona au milieu de la multitude de cadavres, il en dit long sur le respect et la compassion que peut avoir Bay sur les milliers de soldats qui moururent ce jour là. Le film est ainsi plombé par ses dialogues, ses séquences (mention spéciale au flou artistique que n'aurait pas renié David Hamilton lors des séquences à l'infirmerie) et ses plans souvent ridicules (ah le plan sous-marin au ralenti du drapeau américain troué en train de couler !). Chaque essai filmique se conclue par un échec cuisant. À ce titre, l'idée de filmer durant l'attaque en utilisant par moments l'objectif 8mm de la caméra d'un reporter, est un sommet de ringardise inénarrable.

 

Affiche officielle

Résumé

De toute évidence, le responsable principal de l'échec artistique total de Pearl Harbor est bien sûr Michael Bay. Le réalisateur, bien aidé par son scénariste Randall Wallace, à mille lieux de son inspiration de Braveheart, démontre une capacité à faire n'importe quoi qui atteint des sommets. Sous ses airs de technicien doué (il faut lui reconnaître un certain savoir-faire) mais peu inspiré, Michael Bay se révèle être un bien piètre conteur d'histoire. Tout le contraire d'un James Cameron !

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(3.4)

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commentaires
Anderton
22/06/2021 à 17:20

@Jepala2 : il ne faut pas exagérer non plus : ce film n'est pas parfait. Même si on peut reconnaître que les images sont assez belles (si on aime le style Bay, bien évidemment). En revanche; le scénario prend des libertés assez dégueulasses avec la réalité historique : l'attaque elle-même, minimisée au possible, pour très vite basculer sur la revanche des américains sur Tokyo (heureusement, le lâché de bombes sur Nagasaki et Hiroshima n'a pas été utilisé comme apothéose de la victoire des américains sur les japonais). Sans compter l'intrigue du triangle amoureux qui n'apporte strictement rien au film : absolument aucune empathie pour les personnages qui subissent ensuite l'attaque. On voit clairement qu'il y une volonté de mêler les petites histoires (bluettes, plutôt) à la grande Histoire (comme Titanic l'avait fait avant), mais force est de constater que c'est un peu râté.

Jepala2
28/04/2020 à 12:01

J’ai adoré ce film, pour moi il est parfait. Je ne comprends donc absolument pas votre critique d’un parti pris excessif. Et le public était au rendez-vous, ne vous déplaise, c’est tout ce qui compte.

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