The Deuce, The Wire, Treme : David Simon, le génie sans lequel la série TV n'en serait pas là aujourd'hui

Geoffrey Crété | 24 septembre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 24 septembre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

De retour sur HBO avec The Deuce, David Simon est l'un des grands noms du petit écran, qui a permis à la série TV de gagner ce statut noble.

Il y a eu Sur écoute. Il y a eu Treme. Y aura t-il The Deuce ? L'espoir est permis pour le retour du scénariste et producteur David Simon sur HBO à la tête d'une nouvelle série, portée par James Franco et Maggie Gyllenhaal.

Car ce showrunner et créateur de génie a marqué l'histoire de la série télévisée, participant à lui (re)donner ses lettres de noblesse dans les années 2000. N'importe quel classement des meilleures séries de tous les temps verra The Wire, alias Sur écoute, occuper l'une des premières places. Au milieu de Six Feet Under, Les SopranoSex and the City ou encore Oz, la chronique policière et politique de Baltimore a façonné l'âge d'or de HBO, qui a donné une fantastique impulsion à l'art sur le petit écran.

 

 

Avec The Deuce, David Simon plonge dans l'industrie de la pornographie et donc de la prostitution dans le New York des années 70 et 80. Une nouvelle chronique violente, noire et passionnante, qui plonge dans les coulisses de l'Amérique moderne pour en dessiner un portrait sans concessions.

Pour fêter le retour de ce grand nom, retour sur sa carrière, et sur les raisons de sa renommée.

 

Photo , The Deuce

 

HOMICIDE

Tout commence à Baltimore. Diplômé, David Simon rejoint la rédaction de The Baltimore Sun en 1982. Il couvre les crimes et la violence des rues, avec la foi d'un homme marqué par les révélations du Washington Post dans le scandale du Watergate. Mais la réalité le rattrape : des coupes budgétaires, un combat syndical, un rachat et Simon perd le goût du journalisme.

Il s'octroie une pause en 88 et se lance dans l'écriture d'un livre sur les policiers de Baltimore, qu'il suit au quotidien. Publié en 1991, Homicide : Life on the Street est un succès. Lorsque l'éditeur cherche activement à en lancer une adaptation, David Simon suggère Barry Levinson, originaire de Baltimore et alors propulsé par les succès de Rain Man et Good morning Vietnam. Le cinéaste propose d'en tirer une série plutôt qu'un film : ce sera Homicide, lancée en 1993.

En 1995, David Simon quitte la rédaction du Baltimore Sun pour s'investir totalement dans la série dès la saison 4, comme scénariste puis producteur, prenant peu à peu plus de place. Pour lui, l'idée était de démystifier le policier, l'humaniser pour en montrer les facettes les plus triviales et sombres : le détective n'est plus cet être noble et droit, mais un humain avec ses failles, parfois incapable de fonctionner en équipe ou d'arrêter un criminel. Le travail devient une routine sans éclats ni gloire, qui use les esprits. Homicide est filmée à Baltimore, en 16mm, caméra épaule, avec un style de mise en scène alors novateur. 

Après un démarrage timide, Homicide a failli être annulée. Elle a finalement duré sept saisons, et s'est terminée sur un téléfilm diffusé en 2000. Peu populaire auprès du public, la série aura été très remarquée par la critique, classée comme l'une des meilleures de l'époque. NBC aura néanmoins lutté contre l'équipe pour atténuer la noirceur et la complexité des intrigues, allant même jusqu'à toucher au casting et faire pression sur les scénaristes en menaçant d'annulation.

A noter des visages qui reviendront dans le monde de David Simon, comme Melissa Leo (Treme) et Clark Johnson (Sur écoute).

 

PhotoHomicide

 

THE CORNER

En 1993, David Simon a pris une autre pause du Baltimore Sun pour écrire sur le trafic de drogues qui détruit la ville. Il décide de se concentrer sur un coin (corner) de vente, et plonge dans la réalité des drogués. Avec Ed Burns, un ancien policier qu'il a rencontré lors de ses recherches pour Homicide, il co-écrit avec  The Corner : A Year in the Life on an Inner-City Neighborhood. Mais l'expérience l'aura profondément changé : désormais convaincu que le journalisme a perdu de son impact sur le monde, il quittera rapidement le journal.

Juste après la fin de Homicide, David Simon produit et co-écrit avec David Mills une mini-série de six heures adaptée du livre, The Corner. Ce sera sa première expérience chez HBO. A bien des égards, ce sera la première pierre de l'édifice The Wire, avec notamment de nombreux acteurs recastés.

 

Affiche officielle

 

THE WIRE

La série fondatrice de David Simon. Diffusée de 2002 à 2008, elle dresse un portrait brutal de Baltimore, partant d'une brigade de police cherchant à arrêter un trafic de drogues grâce à un système d'écoute pour dessiner la toile complexe de la ville et ses habitants. Dealers, inspecteurs, politiciens, journalistes, professeurs, mafia grecque, vie portuaire : The Wire a des ambitions grandioses, refusant de distribuer les rôles de manière manichéenne pour au contraire sonder l'âme humaine à tous les niveaux.

Si elle est depuis considérée comme une œuvre incontournable, c'est qu'elle est d'une richesse et d'une radicalité sensationnelles. Rugueuse, brute, anti-spectaculaire, elle semblera difficile d'accès par son refus d'utiliser les ficelles classiques, préférant étaler ses intrigues sur de longs épisodes plutôt qu'avoir recours aux cliffhangers et twists habituels. 

 Photo Dominic West, Wendell Pierce

 Wendell Pierce et Dominic West dans The Wire

 

Le casting est à cette image : David Simon veut engager des acteurs méconnus, et notamment des visages locaux pour éviter l'artificialité hollywoodienne - et donc, la distribution compte de nombreux acteurs noirs, chose peu banale à l'époque. Il caste des anciens politiciens, policiers, journalistes, et même un célèbre ancien dealer. Gary D'Addario, un commandant de police de Baltimore, y tient un petit rôle régulier : Simon l'avait suivi dans son travail pour écrire le livre Homicide, et il a un temps été conseiller sur la série.

Simon s'est en grande partie inspiré des expériences de son collaborateur Ed Burns, un ancien policier qui avait été enseignant dans une école publique de Baltimore. Mais il veut éviter à tout prix des problèmes comme ceux qu'il a eu avec NBC, à propos de la noirceur de Homicide : il propose donc The Wire à HBO. D'abord réticente à l'idée d'une nouvelle série policière, la chaîne accepte de commander un pilote.

La critique a vite salué la série, mais pas le public. The Wire a failli être annulée après sa troisième saison, avec diverses raisons citées pour expliquer l'intérêt très relatif des spectateurs - la compétition avec The Shield lancée en même temps, les intrigues complexes étalées sur plusieurs épisodes, une mauvaise case horaire, qui la mettra face à Desperate Housewives. Grâce à HBO, The Wire a néanmoins eu une belle vie (cinq saisons), qui lui a permis de profondément marquer le paysage de la TV américaine.

 

Affiche

 

TREME

Dès la fin de The Wire, Treme est en développement chez HBO, mais ne sera diffusée qu'à partir de 2010. David Simon collabore avec Eric Overmyer, arrivé sur la série de Baltimore durant la diffusion. Ensemble, ils veulent capter l'énergie, la violence et la beauté d'une autre ville : La Nouvelle-Orléans (où Overmyer a vécu), et plus particulièrement le quartier de Tremé. L'histoire s'articule là encore autour de nombreux personnages, qui tentent de vivre et survivre dans un paysage en partie détruit par l'ouragan Katrina. Avec une distribution fabuleuse, entre visages bien connus dans l'univers de Simon (Wendell PierceClarke Peters, Melissa LeoKhandi Alexander) et des noms plus connus (John GoodmanKim DickensSteve Zahn).

L'idée est là encore de cartographier une zone difficile, déchirée entre son héritage culturel fantastique et des luttes sociales intenses. Tour à tour légères et tragiques, les mésaventures des personnages prennent place avec en toile de fond une ville rongée par la corruption, la criminalité, l'éducation, et les absurdités du système. Autre décor, même mélodie. La musique joue d'ailleurs un rôle central dans la série : plus vive, plus colorée, plus sentimentale, Treme est à l'image de son paysage hors-normes.

Rebelote : la série, soutenue par la critique quoique moins adulée que The Wire, est peu regardée. Mais HBO la protège, et en produit 4 saisons.

 

Affiche

  

SHOW ME A HERO

Etonnamment restée discrète en 2015 malgré une équipe en or, Show Me a Hero est une mini-série en six épisodes adaptée d'un livre de Lisa Belkin, qui revient sur l'histoire vraie de Nick Wasicsko. Élu maire en 1987, à 28 ans, de Yonkers, une ville située dans l'état de New York, il affronte une crise à cause d'un projet de logements sociaux dans un beau quartier. Là encore, il s'agit de dresser le portrait d'une Amérique déchirée par les peurs et les luttes politiques.

Show Me a Hero (en référence à la phrase de Fitzgerald : "Montrez-moi un héros et je vous écrirai une tragédie") est un projet que David Simon porte depuis 2001, avant même The Wire. William F. Zorzi, un collègue du Baltimore Sun, collabore avec lui pour adapter ce qui sera un projet passionné durant près d'une décennie de réécritures. Lorsqu'il en entend parler, Paul Haggis (Collision) se propose pour réaliser l'intégralité des épisodes.

Porté par l'excellent Oscar Isaac et de beaux seconds rôles, parmi lesquels une superbe Catherine Keener et une curieuse Winona Ryder en arrière-plan, Show Me a Hero creuse des thématiques chères à Simon : les rouages rouillés du système, les manœuvres politiques cyniques, la survie des plus faibles dans la jungle urbaine, et la manière dont tous les citoyens occupent parfois malgré eux un rôle dans la gigantesque machine qu'est l'Amérique moderne.

Avec une structure plus académique et une forme plus reserrée, qui s'étale sur moins de personnages et épisodes avant de se terminer en grande tragédie, Show Me a Hero montre une facette nouvelle de David Simon.

 

Affiche

 

THE DEUCE

Septembre 2017 aura donc marqué le retour de David Simon sur HBO avec The Deuce. Après quelques épisodes, une deuxième saison a été commandée. Normal puisque la série offre déjà un décor parfait pour le scénariste : un New York tortueux, une galerie de personnages forts et porteurs de thématiques passionnantes, et une ampleur dramatique qui se dessine sans surprise lentement. Pas d'audiences spectaculaires, des critiques très positives : là encore, rien d'étonnant.

D'ici la fin de la saison, nul doute que The Deuce aura montré son vrai visage. Ecran Large reviendra sur la question dans un dossier futur, mais une chose semble certaine : les New York Boogie Nights de David Simon sont l'événément de la rentrée.

 

Photo Maggie Gyllenhaal

 

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commentaires
R.
05/11/2017 à 18:53

Il manque effectivement Generation Kill que je viens de revoir et qui est vraiment une belle série. David Simon sait vraiment écrire de beaux personnages montrant l'ambiguité et l'absurdité de la vie et plus précisément de la façon de mener cette seconde guerre du golfe par les Américains, et basée sur des paroles fortes de soldats.
Mais cette minie série et Show Me A Hero semblent être passées sous le radar. C'est dommage se sont 2 oeuvres fortes.

Kris
25/09/2017 à 20:13

Il manque dans ce portrait l'excellent Génération Kill (10 épisodes), qui suit une unité reconnaissance de l'armée us durant l'avancée vers Bagdad en 2003. Pas de grosses bastons, mais l'ennui, le gâchis mêle du sentiment de faire parfois du bon boulot, l'incompétence ... bref, du Simon.

postman2
25/09/2017 à 19:12

Gros fan de tge witr mais pas accroché a treme...
The deuce me dit pas des masses...

K.
25/09/2017 à 16:33

The Wire est sa meilleure série, mais elle est très peu accessible.
Je dois avouer qu'au début j'accrochais pas des masses, y avait trop d'éléments a prendre en compte et ça ressemblait beaucoup au cop show type de la télé amerloque mais j'ai persévéré et la série s'avère être extrêmement riche et intelligente par la suite, c'est un magnifique portrait de la société et de l'être humain qui malheureusement ne pourra jamais arriver a un idéal car l'être humain n'est pas bon de nature.

Holly Body
25/09/2017 à 10:37

@REA

Mais justement : on ne peut classer The Wire que comme une série policière, avec le pitch, les éléments dramatiques du début et le classement normal des séries. Or, c'est bien plus que ça.

Exactement comme The Corner, Show me a hero ou Treme, qui sont bien plus que ce que le pitch en dit.

REA
25/09/2017 à 10:24

@Holly B.

TREME ça m'attire pas du tout. The Corner, apparement c'est sur les SDF et / ou les toxicos... J'en ai eu ma dose dans the wire ;)

Je trouve que c'est une erreur de classer THE WIRE comme une série policière. C'est de l'investigation. On le voit dans le travail détaillé que les policiers produisent, le manque de moyens, et si pas assez d'éléments pour poursuivre l'enquête, le chef décide d'y mettre un mettre.

Parfois le public n'est pas près pour certaines séries.

Holly Body
24/09/2017 à 23:55

@REA

C'est bien dommage de ne pas jeter un oeil aux autres. Sur le papier, The Wire reste effectivement une série policière pas bien excitante, qui serait pitchée comme cette brigade de flics qui cherche à stopper un trafic de drogues. Preuve que c'est bien utile et enrichissant parfois d'aller plus loin.

Et pour The Wire, on peut aussi remercier la critique, qui l'a mise en avant de manière flamboyante dès sa diffusion, et malgré le désintérêt du public.

REA
24/09/2017 à 22:05

A part THE WIRE, et THE DEUCE, le reste ne m'intéresse pas.

THE WIRE n'est pas qu'une brigade de police cherchant à arrêter un trafic de drogues.
Chaque saison aborde un sujet spécifique dans lequel les acteurs, certaines intrigues des saisons précédentes se mêlent. Le tout pour finir en apothéose dans le dernier épisode qui dénonce à merveille (à la perfection ?) tout le système américain (policier, politique, éducatif...).

C'était trop ambitieux, particulier, et complexe pour la télévision comme série. Trop facile de perdre le fil d'un épisode à l'autre, alors d'une saison à l'autre... Merci internet de lui avoir redonner justice.

Ce n'est que le début pour THE DEUCE, mais c'est déjà très prometteur après 2 épisodes.