His Dark Materials - À La Croisée des Mondes : après 4 épisodes, cette nouvelle adaptation pour HBO fait-elle oublier le film de 2007 ?

Après l'adaptation (très) ratée de 2007, His Dark Materials revient en série pour HBO et la BBC. On a vu la moitié de la saison 1, on vous dit tout, sans spoil.

DESSINE-MOI UN DAEMON

Dans une version différente de notre monde, où chaque être humain est accompagné d'un daemon, une manifestation physique de son âme sous la forme d'un animal, l'orpheline et impertinente Lyra (Dafne Keen), ainsi que son daemon Pantalaimon, vivent sous la protection des professeurs du Jordan College d'Oxford, alors que d'étranges enlèvements d'enfants se produisent régulièrement.

Lorsqu'elle sauve son oncle Lord Asriel (James McAvoy) d'une tentative d'assassinat alors qu'il revient d'une expédition dans le Grand Nord avec sous le bras une découverte scientifique capable de mettre à mal la théocratie imposée par le Magisterium et qui pourrait le frapper d'hérésie, elle met malgré elle le doigt sur un immense complot... et sur une vérité qui dépasse l'entendement.

Lyra et Pantalaimon

Si ce filon est aujourd'hui un peu tari, il y eut un temps où les adaptations de romans jeunesse - bons comme mauvais - pleuvaient. Certaines ont donné naissance à d'énormes licences (Twilight, Hunger Games, Harry Potter), d'autres à des produits de taille plus moyenne (Le Labyrinthe, Divergente)... Évidemment il y a eu aussi quelques pots cassés (La Stratégie Ender, Numéro quatre), et s'il y a un échec baveux qui a eu du mal à passer, c'est bien celui de À la croisée des mondes : La Boussole d'or. C'est l'adaptation de la trilogie de Philip Pullman His Dark Materials (traduit en français par À la croisée des mondes d'où le double titre de la série) éditée à la fin des années 90 et très appréciée par le public et la critique, au point d'être considérée aujourd'hui comme un petit classique de la littérature jeunesse et de bénéficier d'un gros capital de sympathie.

Une adaptation considérée comme particulièrement mauvaise en cela qu'elle avait le démérite absolu non seulement d'être très laide, mais en plus de s'essuyer les pieds sur l'univers complexe qu'elle mettait en images pour se contenter de vendre opportunément une aventure devenue simpliste pour morveux, au lieu de faire son travail et de tenter de concilier les lecteurs du matériau originel, qui veulent retrouver la densité des livres, et les nouveaux spectateurs, qui ont besoin de quelques simplifications pour ne pas se perdre.

Le His Dark Materials qu'on ne veut plus jamais voir

PERDS PAS LE NORD

Si on vous raconte tout cela, c'est parce qu'il est évident après les quatre premiers épisodes de la série His Dark Materials : À la croisée des mondes du combo BBC/HBO que la production s'inscrit heureusement dans la démarche totalement inverse et montre immédiatement patte (d'ours) blanche. L'envie de bien faire est visible dès la première seconde du premier épisode, et à quelques exceptions et personnages près, l'adaptation est de bonne qualité en plus d'être très fidèle (même si l'ordre des évènements de la série bazarde complètement celui des livres, mais on n'a pas le droit d'en dire plus).

Ce qui frappera d'entrée de jeu quiconque a lu les livres, c'est la générosité du show, qui ne se contente pas de s'appuyer lourdement sur quelques bribes significatives d'un univers établi pour donner un os à ronger à un public pré-existant. His Dark Materials : À la croisée des mondes s'est vraiment décarcassée pour servir le spectateur, a mis les petits plats dans les grands, sorti l'argenterie des grands soirs et les crus millésimés pour accompagner la dégustation. Clairement, les moyens ont été mis sur la table pour que le travail technique soit bien fait, et il est bien fait : décors, costumes, effets spéciaux, direction artistique, tout a été soigné et pensé en détail pour émerveiller le spectateur.

Allez-y, émerveillez-nous.

Et ça marche. Si on omet quelques fonds vert un peu voyant dans les plans larges, un décor d'appartement dont même le Marriott du coin aurait honte et quelques animations un peu visibles dans les gros plans (notamment sur les daemons), His Dark Materials : À la croisée des mondes est plastiquement léché et techniquement au top. Tout ce qui précède relève vraiment du chipotage, et le couple BBC/HBO est pas loin de provoquer une épidémie de dysmorphophobie génitale chez la concurrence et de se rendre seule responsable du doublement de l'action des agrandisseurs de pénis suédois. L'épisode 4 est particulièrement impressionnant avec ses décors en dur et surtout son redoutable ours en armure.

Ce dernier est d'ailleurs un des éléments les plus parlants quand il s'agit de mettre en avant les réussites incontestables de His Dark Materials : À la croisée des mondes. C'était un des personnages les plus faciles à dévoyer, et on aurait légitimement pu craindre que Iorek Byrnison ne soit transformé en sympathique ours polaire en peluche vivant ou au contraire en grosse masse bourrine digne du Volibear de League of Legends. C'est pourtant un des plus beaux éléments de la série pour le moment, et His Dark Materials : À la croisée des mondes vend brillamment le noble panserbjørne à son public dès sa première réplique grâce à un excellent travail sur sa voix et sur la pesanteur, la puissance que dégage sa silhouette.

Iorek le panserbjørne, et une scène grisante

ON DIT MADAME KEEN

Et quitte à parler de réussites et des personnages, on ne peut pas ne pas se répandre en louanges sur Dafne Keen. C'est seulement son troisième rôle après son interprétation ultra-vénère d'X-23 dans Logan (et celui dans la série The Refugees), où son impertinence, sa hargne, son énergie à fleur de peau forçaient l'admiration. Si toute cette matière est évidemment passée par beaucoup de transformations, tout est bien là, intact.

C'est à la faveur d'un échange avec Ma Costa qu'elle est la plus visible, mais la force émotionnelle qui anime Dafne Keen innerve tout le show, parcouru grâce à elle d'une électricité vivifiante. Il fallait, là aussi, trouver cette actrice à la fois jeune et forte tête pour incarner l'impétueuse Lyra et Dafne Keen fait plus que confirmer ce qu'on pressentait dès l'annonce de son casting dans le rôle : non seulement elle est parfaite pour le rôle, mais elle est le joyau principal de la série.

<3

BJORN, SORS TES PANSER

En se donnant un mal de chien pour être aimée et ne faisant pas languir son spectateur avant de déployer ce qui fait son charme His Dark Materials : À la croisée des mondes se rend immédiatement sympathique. Pourtant, malgré de nombreuses et indéniables victoires, il est tout aussi indéniable qu'en l'état, la sauce a du mal à prendre. Démarrer un nouvel épisode relève plus de l'effort que de l'envie, la faute à une mauvaise gestion des enjeux de l'intrigue et des obstacles narratifs imposés à l'héroïne. Les menaces du Magisterium et des Enfourneurs sont complètement intangibles, et à part froncer les sourcils et s'habiller en noir, la série ne leur donne pas les moyens d'incarner une menace prenante.

Concrètement, et malgré l'arc narratif de Lord Boreal, qui fait ce qu'il peut pour balancer un peu de mystère et tenir le spectateur en haleine, His Dark Materials : À la croisée des mondes ne présente pas encore de cap fort ou d'enjeu crucial - à fortiori on l'imagine si l'on n’a pas lu le livre et que l'on n'a aucune idée des proportions que vont prendre l'histoire. Si bien qu'on se demande parfois ce qu'on nous raconte : il y a beaucoup de péripéties, mais peu d'histoire... et donc peu de scènes vraiment marquantes.

Ça jette un froid

Ce n'est pour l'instant qu'un récit de voyage, dont les diverses épreuves semblent se résoudre d'elles-mêmes au moment où notre héroïne s'y confronte, comme si le récit jouait en mode facile. Si on rajoute une réalisation trop sage (Tom Hooper n'était vraiment pas le choix le plus audacieux) et s'appuyant beaucoup trop sur ses tartines de musique - pourtant très bonnes en soi -, ainsi qu'une atténuation certaine de la violence (surtout psychologique, mais aussi physique), ce n'est pas étonnant que l'on ait du mal à s'impliquer et à ne pas sentir un parfum d'artificialité du souffle épique.

Il faut aussi souligner que si l'intrigue est aussi peu définie et les enjeux aussi brouillons, c'est parce que le seul endroit où His Dark Materials : À la croisée des mondes se vautre pleinement, c'est sur la cruciale Mlle Coulter. Malgré quelques moments réussis - on pense notamment à une scène d'intrusion -, Mlle Coulter est ratée dans les grandes largeurs.

Ohlàlà, gentille ou méchante, vraiment on se demande

Impossible de rentrer dans le détail sans spoiler de nombreuses révélations, on précisera juste que ceux qui ont lu le livre risquent d'être très amers. L'ambiguïté de ses relations avec Lyra et Lord Asriel n'a pas survécu à la transposition, tant s'en faut. On ne saurait trop dire si c'est à cause d'une caractérisation trop brouillonne ou de l'interprétation profondément ennuyeuse de Ruth Wilson, mais on est très loin du compte (même si le pire massacre reste le Lee Scoresby tro-rigolol-maxi-rire de Lin-Manuel Miranda).

Profitez bien de la seule image où il ne fait pas de blague trodrol

C'est cruel, mais au final ces quatre épisodes nous laissent très partagés. Il y a beaucoup de bon et même de très bon à retenir dans la construction de l'univers, mais le récit pêche franchement à cause d'une absence de menace concrète ou de sentiment de danger. À la moitié de la saison, His Dark Materials : À la croisée des mondes a posé de très belles pierres pour son édifice, mais le mortier qui doit cimenter le tout est encore trop frais et l'ensemble n'a pas encore pris, si bien que le récit peut encore s'écrouler tout seul.

La faiblesse des incidents déclencheurs et des antagonistes, l'absence de scène vraiment choc et surtout la mollesse du découpage donnent le sentiment tenace que le récit en est encore à sa phase d'exposition, alors qu'on est à mi-parcours et qu'il y a encore un personnage clé à introduire pour cette saison - voire deux si l'on en croit une ligne de dialogue de l'épisode 2. On continue d'y croire malgré tout, mais on avance avec un mélange d'envie et de crainte. His Dark Materials : À la croisée des mondes réussit beaucoup de choses, et c'est super, mais il faut passer la deuxième maintenant et ne plus avoir peur de renverser le public, sous peine de le lasser rapidement.

3/5

His Dark Materials est diffusée chaque mardi soir sur OCS en France à partir du 5 novembre