The Changeling : critique d'une dépression post-parTrump sur Apple TV+

mythes et légendes

Moins populaire que les fantômes, les vampires ou les zombies, les changelings sont des créatures légendaires qui ont tout de même su se faire une place au cinéma, grâce à de très bons films d’horreur comme L’Enfant du Diable (Peter Medak) sorti en 1980 ou Samhain (Kate Dolan) sorti en 2021.

La légende des changelings prend racine dans le folklore européen du Xe siècle, et raconte qu'il arrive que des créatures telles que les fées ou les elfes enlèvent un bébé (ou parfois même une personne adulte) et le remplacent par un double, qui est en réalité un être malfaisant. Une excuse parfaite, jusqu’à une époque pas si lointaine, pour stigmatiser les enfants différents, tenter de s'en débarrasser et rejeter la faute sur autre chose que soi.

Les futurs (mal)heureux parents

Beaucoup de bébés et autres ont malheureusement été tués, au cours des siècles, lors de rituels censés révéler leur nature de changeling et pousser les fées à rendre le vrai bébé (ces rituels incluant souvent du feu). Si elles ne sont jamais précisément racontées dans la série, ce sont bien ces croyances qui servent de point de départ à la nouvelle série d’Apple TV+. Visions, sorcières, malédictions... Tous les ingrédients sont là pour raconter une histoire classique de changeling. À première vue.

Spoiler : c'est pour bientôt (plus qu'ils le pensent)

L'horreur de Trump

Mais le scénario de la série est en réalité plus ambitieux, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours une bonne chose. Dès les deux premiers épisodes, ce qui constituerait habituellement le scénario d’un film d’horreur entier est déjà bouclé : un couple se forme, la jeune femme raconte un voyage au cours duquel elle a rencontré une vieille femme ressemblant étonnamment à une sorcière et qui lui a peut-être jeté un sort.

Puis le bébé arrive, et la jeune mère pète un câble, essaye (mal) d’expliquer à son mari que leur fils n’est pas leur fils, le mari ne la croit pas et tout dégénère. Ces films horrifiques de maternité qui tourne mal sous les yeux d’un père démuni, on connaît bien. D’où la surprise de voir tout ce programme déroulé dès le début de la série.

Un atout de la série : le bébé (ou le changeling ?) est très mignon

Mais si les choses vont, par définition, un peu vite au début, elles restent plutôt efficaces. Les personnages masculins ont juste ce qu’il faut d’inquiétant, avec leur tradition familiale de harceler (soi-disant gentiment) la femme qu’ils convoitent jusqu’à ce qu’elle accepte de leur lâcher un rencard, pour ensuite déplacer la menace sur le personnage féminin. Qu’est-ce que cette mère folle de rage (et peut-être folle tout court) va être capable de faire subir à ce qu’elle refuse de considérer comme son enfant ? La tension tient le spectateur, sans que l’intérêt envers l’histoire elle-même soit manifeste.

Par ailleurs, la série a la bonne idée de se servir du thème du changeling comme d’un prisme pour parler subtilement de l’Amérique trumpiste et des oppressions qui vont avec, mais aussi des rapports de force au sein du couple, et de la situation des mères célibataires. En croisant plusieurs époques, le scénario créé des échos dans l’histoire et l’Histoire, ce qui n’est pas révolutionnaire, mais étoffe joliment la trame.

Un personnage appelé Apollo, qui se surnomme modestement "le dieu Apollon"

Un cliffhanger un peu too much

Mais malgré ses bonnes pistes, une fois que le premier arc est bouclé en vitesse, la série peine grandement à retrouver son souffle. L’histoire se met à patauger dans une revisite de la sorcière, passe plus de temps que de raison dans le passé, multiplie les personnages sans qu’aucun soit particulièrement intéressant ou cohérent. Le suspense suscité par les premiers épisodes ne se maintient pas, et le spectateur, rapidement frustré, s’ennuie.

Pourtant, il subsiste quelques très beaux moments, comme la scène où la mère d’Apollo se revoit jeune au chevet de son ex, alors mourant. Imaginant qu’elle chante une chanson sur scène rien que pour lui, dans une mise en scène pleine de glamour, tandis qu’il l’écoute dans un bain d’eau dorée (alors qu’il est en réalité allongé sur un lit crasseux), ce personnage un peu en dehors du récit trouve un instant de grâce et bénéficie de la plus belle image de la série.

Quand ton bébé ne fait pas ses nuits

Pour autant, les fulgurances de ce type sont rares sur les 8 épisodes, et c’est d’autant plus dommage que la première saison se termine sans aucune forme de résolution. Plutôt que de donner des éléments de réponse pour refermer un tantinet le chapitre, le dernier épisode introduit un type de créature encore complètement différent et qu’on n'imaginait pas voir débarquer ici. Pourquoi pas, mais en l’état, la première saison ne se suffit absolument pas à elle-même, et l’attente d’une deuxième saison risque d’être longue, surtout que celle-ci risque de s’oublier bien vite.

Les trois premiers épisodes de The Changeling sont disponibles sur Apple TV+ depuis le 8 septembre 2023. Un nouvel épisode sera diffusé chaque vendredi jusqu'au 13 octobre 2023.