The Idol : critique plus gênante que provoc’ sur Amazon

Antoine Desrues | 3 juillet 2023
Antoine Desrues | 3 juillet 2023

The Idol s’est conclue au terme de son cinquième chapitre, alors que les réécritures de Sam Levinson sur le scénario original ont permis d’épurer le récit (à l'origine prévue pour six épisodes au début de sa production). Mais entre les scandales en rafales liés à sa production et sa réception catastrophique, y a-t-il quelque chose à sauver du navire en perdition de HBO mené par le duo The Weeknd-Lily Rose Depp ?

Pour qui Levinson le glas

Depuis la diffusion de ses deux premiers épisodes au Festival de Cannes, on doit bien admettre qu’on était curieux de voir la suite de The Idol. Non pas pour la qualité intrinsèque de la série, mais pour l’intense gêne que ses premières heures sont parvenues à imposer de séquence en séquence. Pourtant, notre avis cannois sur The Idol a précisé que la production de Sam Levinson (Euphoria) et d’Abel Tesfaye (aka The Weeknd) n’est pas l’immonde nanar annoncé par certains avant même sa sortie. Disons juste qu’il y a un fossé de la taille du Grand Canyon entre certaines de ses ambitions narratives et thématiques, et leur exécution à l’écran.

En racontant l’histoire de Jocelyn (Lily-Rose Depp), pop-star sur le déclin qui se retrouve sous l’emprise de Tedros, un étrange gérant de boite de nuit (Tesfaye), The Idol se rêve en grande fresque sur la prédation d’un show business carnassier, comme si la silhouette inquiétante de The Weeknd (et sa fameuse queue de rat) en était l’allégorie terminale. Managers, producteurs, amis, famille... tout le monde cherche à s’approprier Jocelyn, à la modeler à son image comme des Pygmalion cyniques et opportunistes.

 

 

La réification de son corps, appuyée dès la scène d’introduction du pilote par un shooting photo, fait de Lily-Rose Depp une néo-Britney Spears souvent fascinante et investie. La série est d’ailleurs à son meilleur lorsqu’elle joue de l’ambiguïté de son male gaze, à la fois subi et exploité par son héroïne. À moins que cette célébrité bling-bling dans laquelle elle a toujours vécue ne l’ait conditionnée à vivre dans l’objectivisation permanente.

The Idol se veut à double tranchant par les paradoxes qu’elle filme, tout en tombant dans les travers vulgaires qu’elle semble caricaturer. Sa dimension provocatrice et sexy n’est finalement qu’un vernis clipesque complaisant, surtout lorsque la caméra s’attarde pour la millième fois sur les fesses de son actrice principale.

 

The Idol : photoAmerican Idol

 

Less Than Zero

Depuis le départ, la mise en scène oscille maladroitement entre une fascination pour le gourou fantasque qu’incarne Tedros, et un recul logique sur ses comportements toxiques. Au-delà de la vampirisation mégalo du projet par The Weeknd (à la fois producteur et co-auteur de l’histoire), ce coup de projecteur voudrait mettre en exergue à quel point Tedros n’est que la face émergée de l’iceberg. Le jeu outré et exubérant d’Abel Tesfaye servirait presque de diversion face aux autres “méchants” du récit, dont les magouilles discrètes et autres contrats se montrent tout aussi vicieux.

L’épisode final est en cela la quintessence peu finaude de cette démarche, alors que Jocelyn réunit toute son équipe dans son salon pour assurer le futur de sa tournée. Le montage navigue de visage en visage, d’interaction en interaction, et s’amuse de ce chaos organisé où certains complotent d’un bout à l’autre du même canapé.

 

The Idol : photoUn regard bienveillant

 

En toute logique, Levinson et Tesfaye se passionnent avant tout pour la duplicité inhérente à ce panier de crabes, au point où le chanteur pousse dans ses retranchements la persona de The Weeknd et ses tendances autodestructrices (il a annoncé entretemps qu’il quitterait bientôt ce personnage).

Au milieu de ses effets cacophoniques et de sa stylisation facile, le duo réussit néanmoins à composer quelques moments réellement fascinants, noyaux durs des épisodes où la réalisation ralentit le rythme, et prend le temps de s’attarder sur ses situations et sur les changements de ton des personnages. D’un tournage chaotique de clip à une scène de repas tendue, The Idol ausculte l’hypocrisie de tout un système, dont la toxicité s’auto-entretient comme une machine trop bien huilée.

 

The Idol : photoL'occasion de dire quand même que la chanson Take Me Back de The Weeknd déchire sa race

 

Double Fantasy ou Double peine ?

Le problème, c’est qu’une fois passés ses moments plus suspendus, on se rend compte de la vacuité de la série qui tourne diablement en rond malgré sa quantité réduite d’épisodes. Tedros joue toujours les connards machiavéliques, et Jocelyn joue toujours la fausse ingénue traumatisée, le tout au milieu de figures secondaires trop peu esquissées. Le parcours logique de ces protagonistes essaie de surcompenser son évidence par ses provocations – notamment dans ses scènes de soft-porn risible en pleine composition musicale.

The Idol prend alors la forme d’une bravade puérile d’adolescent pseudo-mature et iconoclaste, ce qui prête particulièrement à sourire lorsque le récit opère des raccourcis ridicules dans le but de choquer la ménagère (dont une séance de fessées freudienne à la brosse à cheveux...). C’est d’autant plus navrant qu’une telle approche annihile toute la complexité que la série voudrait se donner. À l’heure de la justice sociale et du post-#MeToo, Sam Levinson a cherché à transformer son Showgirls moderne en véritable caillou dans la chaussure hollywoodienne. Comment juger ou condamner quelqu’un dans un système où tout le monde a quelque chose à se reprocher ?

 

The Idol : photo, The Weeknd, Lily Rose Depp"Dans la valléeeeee ooooh ooooh, de Danaaaa, lalilalaaaaaa"

 

La question a le mérite d’être posée, et The Idol pense trouver ses éléments de réponse par son twist aberrant de fin de saison, qui fait passer Jocelyn de victime à bourreau. Une idée qui boucle la boucle de son pessimisme, mais sans jamais que la mise en scène ne supporte ou amorce ce changement de paradigme. Pour reprendre la pleine possession de ses moyens, l’héroïne n’a d’autre choix que de partager la même toxicité, comme si la libération du féminin ne pouvait exister que par ce prisme vengeur.

On peut y voir une manière pour Levinson de faire un pied de nez à une cancel culture supposément arbitraire, tandis qu’il balaie d’un revers de main un combat qu’il néglige de façon méprisante. Face à la binarité du monde qu’elle voudrait dénoncer, il est quand même paradoxal que la série se contente d’une écriture aussi bête et simpliste.

The Idol est disponible en intégralité depuis le 3 juillet 2023 sur Amazon Prime Video, via le Pass Warner en France

 

 

The Idol : photo

Résumé

Jusqu'au bout, The Idol n'aura cessé de décevoir et d'halluciner. Car derrière son écriture bâclée, ses raccourcis affligeants et son discours pseudo-provocateur sur la vulgarité du show-business, il y avait les germes d'une belle série sur la prédation et ses multiples formes. Mais il aurait fallu pour cela le point de vue approprié...

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Lecteurs

(2.3)

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commentaires
Franoise6992
20/01/2024 à 22:28

Série creuse juste pour mettre en valeur une fille de …. Qui n’existerait sans doute pas si elle n’avait pas ses parents …
Que dire du chanteur de week-end ? Beh rien …. À l’image de la série …

Dai
07/09/2023 à 15:57

Superbe série sur l'inhumanité du show business. Même si la série se termine sur un happy ending, tout sonne vrai et nous montre les coulisses d'un monde sans ame. A voir absolument. Un chef d'oeuvre d'écriture et de mise en scène. Enfin un bel objet au milieu de tout ce contenu audiovisuel tellement fade.

Merej
09/07/2023 à 11:45

Très bien cette petite Lily
Et calmez vous ce n'est qu'une fiction...

Stefun
04/07/2023 à 17:03

Tous les reproches faits à cette série, je les avais déjà trouvés dans euphoria (pourtant il en faut pour me choquer, mais là c'était juste malsain). Du coup ça sera sans moi !

Leduk
04/07/2023 à 07:03

Du scénario aux acteurs, ça puait la malaisance dès le début. Au passage, robindesbois devrait relire 1984.

Terryzir
04/07/2023 à 01:35

Je viens de terminer le 5ème et dernier épisode.
Et bien je suis dans le regret d'avouer que cette mini-série tant décriée est loin d'être aussi "bête et simpliste".
Le twist un peu expéditif de la brosse à cheveux renverse complètement la vapeur, et c'est très bien ainsi. Et malheur à ce couple sulfureux qui n'est que nuance !
EL : "On peut y voir une manière pour Levinson de faire un pied de nez à une cancel culture supposément arbitraire, tandis qu’il balaie d’un revers de main un combat qu’il néglige de façon méprisante."
Le souci principal de votre rédaction (et de tant d'autres qui se prétendent cinéphiles), c'est que vous confondez en permanence l'art et la morale.
Depuis quand une oeuvre d'art est censée faire la leçon ou montrer patte blanche ?
Pas sûr que vous ayez déjà entendu parler du cinéma de Pasolini pour écrire de telle platitudes.
Levinson est un cinéaste, pas un prof de yoga. Comme tout artiste, il a le droit d'adopter un point de vue peu commun, inattendu, voire même impopulaire. Se jouer des codes de la moraline du moment pour mieux l'outrager n'a rien de nouveau.
Je peux comprendre que certains biberonnés à Disney enchaînent les ruptures d'anévrisme, mais pas vous.
Il vous faudra au moins 15 ans pour capter la juste valeur de ce "Showgirls" des années 2020. Moi, il m'a fallu 15 minutes. Bon revisionnage !

Magnitude (le vrai)
03/07/2023 à 21:55

Cette série n'aura été que Malaise TV de bout en bout.

Jocelyn qui arrive à se libérer de l'emprise de Tedros en un épisode et demi, bravo. Et bizarrement, il n'a pas pété les plombs comme les autres fois.

Tout ça pour révéler qu'à la fin, son "taf psychologique" de mac avait bien fonctionné, car Jocelyn le laisse revenir vers elle, mais lui glisse qu'il lui appartient. Les rôles se sont inversés. Super, et ?

Mouais
03/07/2023 à 18:56

Bah justement déjà que pour moi Euphoria est "une bravade puérile d’adolescent pseudo-mature et iconoclaste", avec ses ado de 25 ans au tablettes de chocolat et taille et poitrine barbies ...

Mathilde T
03/07/2023 à 17:35

Cela me paraissait plus intéressant que le (légèrement surestimé selon moi) Euphoria. je tenterai un épisode pour voir.

Midso
03/07/2023 à 17:30

Tellement déçu et pourtant je l’attendais. Ça avait bien commencer avec un trailer qui utilise Planisphère de Justice, des plans sympas et une atmosphère réussi dans les premiers épisodes. A part la réalisation sympathique et une belle photo/bande son. Rien qui va. C’est un pétard mouillé.

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