Cannes 2023 : sexy ou sexiste... on a vu The Idol, la série à scandale de The Weeknd

Antoine Desrues | 23 mai 2023 - MAJ : 13/06/2023 16:04
Antoine Desrues | 23 mai 2023 - MAJ : 13/06/2023 16:04

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2023 du Festival de Cannes. Entre cinéastes confirmés et jeunes talents prometteurs, la centaine de films sélectionnés a de quoi donner le tournis. Après l’ouverture de Maïwenn, Jeanne du Barry, c’est l’heure de revenir sur The Idol. La série HBO de Sam Levinson (Euphoria), portée par Lily-Rose Depp et Abel Tesfaye (aka The Weeknd), a présenté ses deux premiers épisodes sur grand écran. Mais derrière les polémiques sur ses coulisses, que vaut cette entrée en matière ?

 

 

De quoi ça parle ? Un an après le décès de sa mère et une dépression nerveuse, Jocelyn (Lily-Rose Depp) essaie de remonter la pente, et de redevenir la méga-star pop qu’elle est. Mais alors qu’un nouveau single et une tournée sont en préparation, elle se redécouvre aux côtés de Tedros (Abel Tesfaye), un étrange impresario.

C’était comment ? Il faut bien admettre qu’avec The Idol, l’excitation initiale a laissé place à l’appréhension. A la suite de divers articles ayant révélé des coulisses désastreuses, la nouvelle série de Sam Levinson a été pointée du doigt pour ses réécritures, qui auraient servi en premier lieu à une vision plus masculine (ou masculiniste) de sa narration, déjà portée sur des relations toxiques et une certaine culture du viol. Quoi qu’il en soit, le pilote assume dès sa première séquence sa dimension provocatrice, en enfermant dans des toilettes un coordinateur d’intimité. Soit mettre au placard un symbole hautement contemporain du progressisme hollywoodien, qui ne serait ici qu’une façade sujette à la moquerie.

Levinson a beau avoir la subtilité d’une tractopelle, la scène s’amuse de son hypocrisie. A vouloir protéger à tout prix l’image de Jocelyn, la pleine possession de son corps est réduite à un contrat tout aussi objectifiant que ce qu’il combat. Bien sûr, l’idée en elle-même sent le doigt d’honneur un peu facile, surtout lorsque la série a pour souhait de sexualiser au maximum Lily-Rose Depp.

 

 

Mais pendant un moment, où la tension monte autour d’une photo pornographique compromettante, la fabrique écœurante de la célébrité est abordée par The Idol avec une gradation oppressante. Les corps gesticulent, se heurtent, s’engueulent tout en essayant de garder la face. Et il suffit d’une contre-plongée sur l’équipe de la pop-star pour saisir son infantilisation par l’industrie qui la possède.

La dépossession, voire la déshumanisation, prend plusieurs formes et visages, et la série est clairement à son meilleur lorsqu’elle devient un biopic indirect sur la vie de Britney Spears. Lorsqu’il colle réellement à la condition de son héroïne désespérée (notamment lors d’un tournage de clip qui vrille au cauchemar), Levinson touche du doigt la vulgarité d’une culture américaine abjecte, obsédée par la gloire et le fric, et qui digère ses talents comme de vulgaires bouts de viande. Le showrunner d’Euphoria rêve sans doute de faire son propre Showgirls, et le jusqu’au-boutisme de sa mise en scène exhibitionniste s’en approche en de rares instants.

 

The Idol : photoI only call you when it's half past five

 

Le problème, c’est que The Idol est avant tout un véhicule promotionnel pour son autre tête d’affiche, Abel Tesfaye/The Weeknd. Aux côtés de Sam Levinson, le chanteur de Blinding Lights a écrit la trame narrative de la série, et en a fait l’ultime extension de sa persona de toxic lover traumatisé et sensible. Or, de la même manière que Tedros s’immisce petit à petit dans la vie perturbée de Jocelyn, Tesfaye parasite ces premiers épisodes, et impose son point de vue sur la situation.

Et c’est malheureusement là que le bât blesse, et que The Idol se transforme en clip géant grotesque, dont l’insolence se réduit à une succession de scènes de sexe ridicules (glaçons, bandeau sur les yeux... on se dirait dans Cinquante nuances de Grey). Pire, la libération tant espérée de Jocelyn, de son image et de sa sexualité, ne fait que passer d’un male gaze à un autre. Nul doute que Levinson tient ouvertement à cette prison tragique du regard, mais difficile de ne pas voir le réalisateur y prendre un plaisir complaisant à chaque mise en valeur des fesses de sa comédienne.

L’ensemble n’est d’ailleurs pas aidé par ses dialogues souvent faiblards et risibles, et par le sérieux avec lequel il traite son imagerie (à commencer par l’entrée en contre-jour de Tedros dans la villa de Jocelyn, digne d’un Méphistophélès de pacotille).

 

The Idol : Photo , The WeekndHe's blinded by the lights

 

C’est d’autant plus dommage qu’on sent l’envie de The Weeknd de développer via la série une réflexion en lien avec sa propre carrière. Pour l’homme qui a conçu certains des sons les plus précis et catchy de la pop actuelle, sa démarche a toujours été au service d’une mélancolie, d’un désespoir et d’un hédonisme s’exprimant autant par la drogue (Alone Again, Faith) que par le sexe et des kinks abordés explicitement pour le grand public (Take My Breath, entre autres).

Au même titre que Britney Spears ou Madonna, Abel Tesfaye a employé son alter-ego pour tester les limites du système, et faire de la pop “le cheval de Troie ultime”. Ces mots de Tedros portent en eux le projet de The Idol : voir cette vulgarité contrôlée du show business être retournée contre elle-même.

Mais il aurait fallu pour cela ne pas oublier le vrai sujet de la série, à savoir le point de vue de Jocelyn (d’autant que Lily-Rose Depp déploie une énergie magnétique à l’écran). En lieu et place, Sam Levinson cède à la facilité, et rate le coche à force de romantiser le comportement toxique de Tedros, tendance gourou manipulateur. La fin du deuxième épisode a beau sous-entendre une descente aux enfers inévitable, on peine à croire que l’ensemble puisse rattraper ce démarrage maladroit.

Et ça sort quand ? En France, The Idol sera disponible à partir du 5 juin sur Amazon Prime Video, au travers du Pass Warner.

Tout savoir sur The Idol

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commentaires
Roland Taverner
24/05/2023 à 13:14

On va enfin découvrir que Sam Levinson est un pur arnaque. Il était temps.

Cidjay
24/05/2023 à 12:13

Le pognon qui va toujours dans les mêmes poches... (C'est ce qu'on appelle l'économie circulaire façon Hollywood)
Faut croire que c'est mieux de payer des gens qui baignent déjà dans le pognon que de payer des acteurs en devenir.
La série peut être intéressante, mais bon... the Weeknd et Lily Rose Depp... voilà quoi...
J'imagine que leurs situations personnelles donne de la crédibilité à leur personnages.

Le real veut se taper lily rose depp...
23/05/2023 à 21:45

Cqfd...

steve
23/05/2023 à 20:05

Merci pour vos 1ères impressions.
Il y a quelque temps, j'avais expliqué à ma fille que, non, les clips des "pop stars" ( américaines notamment) ne renvoyaient pas un modèle à suivre pour de jeunes femmes avec notamment des postures soft porn en veux tu en voilà (genre Britney Spears, Ariana Grande, Ava Max, Beyoncé etc etc...) et des fessiers exhibés en permanence ce qui ne déplait pas au Mâle non déconstruit que je suis mais qui n'a rien à faire là quand on s'adresse à des ados.
C'est pour ça que la mise en abime sur ce sujet que propose la série m'intéresse ou comment présenter la vulgarité et le racoleur en pseudo réflexe arty. Mais je m'interroge alors; dénonce t'elle ou se complait elle ?, (votre article me met le doute)
A noter qu'Euphoria m'avait gonflé par la représentation de sa jeunesse (forcément droguée, forcément violentée ou violée, c'est bien plus vendeur) présentée comme symbole générationnel. Pas sûr que ce soit le bon showrunner.
Mais, je lui laisse le doute au doute avant de voir ça.