Dark Crystal : le Temps de la résistance Saison 1 - critique Puppet Masterpiece

Simon Riaux | 4 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 4 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

En 1982, Dark Crystal offrait au cinéma une fable unique, reposant sur une technique rarement mise en avant sur grand écran : l’usage de miniatures et marionnettes. En résulta une œuvre à part, conte écologique autant qu’allégorie enchanteresse, appelant au renouveau du cinéma hollywoodien des 80’s, où quantité de jeunes créateurs allaient secouer un système à bout de course, étourdi par l’agonie du Nouvel Hollywood et sous l’emprise de studios peu désireux de laisser les créateurs prendre les rênes.

Presque 40 ans plus tard, Dark Crystal revient sous la forme d’une série de 10 épisodes, se déroulant bien avant le long-métrage, alors que les redoutables Skèksès passent encore aux yeux des créatures de Thra pour des bienfaiteurs, seigneurs protégeant le Crystal dont dépend l’équilibre spirituel et physique du royaume. Mais leur appétit grandissant, les maîtres provoquent une catastrophe entropique, qui va progressivement alerter les habitants originels de ce monde paisible, les poussant à s’unir, puis résister.

Nous en parlions dans notre analyse des trois premiers épisodes, en dépit d’une réussite technique et plastique exemplaire, le show souffrait d’un ventre mou scénaristique regrettable. Qu’en est-il à l’issue de cette première saison ?

 

photo, Dark Crystal : le Temps de la résistance saison 1Un univers chatoyant

 

MYTHO LOGIQUE

Il faut bien trois heures à Louis Leterrier pour nous immerger à nouveau dans l’univers de Thra. Et si le premier acte se montre parfois un peu distendu, trop didactique et pas toujours équilibré en matière d’humour, c’est finalement pour mieux s’approprier les codes de Jim Henson et Frank Oz, avant d’en amplifier les motifs et d’en approfondir les enjeux. Bien sûr, c’est à ces deux créateurs que revient en premier lieu le mérite de cette création, mais on est souvent impressionné par la fidélité et la précision avec laquelle la série Netflix s’inscrit dans leurs pas.

Et dès son 4e épisode, la série s’autorise à dévoiler ses thèmes en profondeur, tout en épousant la grande noirceur, la dureté parfois implacable, de l’œuvre originale. Une fois les différentes races de Thra détaillées, les relations politiques qui unissent ou clivent les factions ainsi que les enjeux politiques de la domination exercée par les Skèksès, l’intrigue se noue puissamment. La bascule aura lieu lors d’une confrontation impitoyable, au cours de laquelle le père d’un de nos trois héros, à l’issue d’une joute à l’épée plutôt spectaculaire, se sacrifie, espérant défaire un ennemi formidable.

 

photoVous retrouverez tous les mythes de Thra

 

En quelques instants, le show dévoile combien il est capable de synchroniser un récit aux nombreux paris, aux ramifications émotionnelles puissantes, au service d’un sens de l’épique et du spectaculaire inversement proportionnel à la modestie des techniques ont il use.

Non content de repenser et détailler la grande œuvre d’Oz et HensonDark Crystal : le Temps de la résistance en surmultiplie la réflexion écologique, en lui adjoignant une réflexion plutôt radicale sur le libéralisme. Les Skèksès sont ici de puissantes élites, gouvernant par le mensonge et la dissimulation, dont les intérêts cannibales demeurent l’unique priorité. Prêts à dévorer toute forme d’altérité pour se satisfaire, ils priorisent leur survie et condensent également le message de la série.

Cette dernière a décidé de leur faire la part belle, et ce sont eux les principaux protagonistes de l’intrigue. Choix difficile, tant leurs mésaventures sont répugnantes (on se croit souvent perdu dans une version enfantine de La Mouche ou une relecture craspec de Frankenstein), et moralement abominables. En effet, le scénario n’épargne rien de leur abjection, ne recule jamais devant leur inexorable chute dans la monstruosité. Finalement, Dark Crystal  nous rappelle avec une certaine lucidité que le spectateur ressemble bien plus à ces princes trop gâtés, choisissant de consumer leur monde plutôt que d’en partager les ressources. L’effet est saisissant, parfois vertigineux.

 

photoDeet, une Gelfling à la destinée terrible

 

FAME OF THRONES

Quand bien même Netflix avait assuré que Dark Crystal  reprendrait les marionnettes du film original et n’userait que très modérément d’effets numériques ou de doublures en CGI, on pouvait redouter une équation tragique. Le risque était grand de voir les personnages animés traditionnellement lors des dialogues, et boostés par ordinateur au moindre mouvement, transformés en super sayens au premier combat venu.

Heureusement, il n’en est rien. Pour l’essentiel, le numérique sert simplement à faciliter certains jeux d’échelles, imbriquer plusieurs décors en un plan unique ou animer certaines créatures dont le nombre ou les proportions sont incompatibles avec les mécaniques à l’œuvre pour animer les principaux protagonistes. On note bien quelques incrustations inabouties, des bébêtes animées trop simplement, à la truelle, ou quelques tentatives de dupliquer artificiellement les mouvements saccadés des marionnettes au rendu malheureux, mais dans l’ensemble, tout cela est d’excellente facture.

 

photo, Dark Crystal : le Temps de la résistance saison 1Trahison et putréfaction

 

Mieux, Louis Leterrier embrasse totalement la charte esthétique de son modèle et s’évertue toujours, non pas de contourner la physique des marionnettes, mais l’assume et la transcende par la mise en scène. Bien moins mobiles qu’un avatar numérique, handicapés par des mouvements parfois raides et nettement moins variés que ceux offerts par d’autres modes d’animation, les héros de Dark Crystal  pourraient n’être que des poupées rigides.

Au lieu de ça, le réalisateur dépasse toutes leurs limites, grâce à la mise en scène. Son découpage est classique, mais parfaitement maîtrisé, qu’il verse dans l’emphase, souligne les sentiments ou iconise ses personnages. Chaque séquence est déroulée avec un sens de l’atmosphère maniaque et une précision redoutable. Ainsi, les passages humoristiques deviennent d’agréables poches de merveilleux, l’exploration de Thra coupe souvent le souffle, et les envolées épiques bouleversent. Les combats contiennent d'ailleurs une forme d'éthique esthétique passionnante, témoignant de la foi absolue du cinéaste dans son récit, dans l'esthétique qu'il empreinte et dans la puissance de son iconographie. Ainsi, lors de l'impeccable climax, on est régulièrement terrassé par la puissance d'une joute, par l'agressivité d'un belligérant, quand il n'est finalement question que de regarder deux marionnettes se toiser.

 

photo Dark CrystalLe scientifique Skèksès, passablement cradingue

 

Alors que les affrontements se multiplient, qu’on se massacre, qu’on se trahit, on pense plus d’une fois à Game of Thrones. Et il est remarquable de constater combien, en travaillant ses personnages au cœur, en donnant à ses héros d’authentiques conflits et en ne leur épargnant aucune épreuve, Leterrier parvient à enterrer sans mal la dernière saison de la série HBO, offrant une des plus singulières réussites d’heroic fantasy vues à l’écran ces dernières années.

Dark Crystal : le Temps de la résistance se termine sur un semblant de cliffhanger, ou plutôt l’annonce d’un évènement matriciel, au cœur de la genèse du film d'Henson et Oz. Certains personnages se voient confrontés à des choix ou des changements fondamentaux, et il semble évident que l’ultime et spectaculaire épisode du show a été écrit pour appeler une continuation. Espérons que Netflix renouvellera sa confiance dans cette entreprise sans filet, dont la réussite s’avère saisissante.

 

affiche

Résumé

Sitôt son premier acte passé, Dark Crystal : le Temps de la résistance se transforme en une fable incroyablement épique, aussi enchanteresse visuellement qu'émotionnellement ravageuse.

Autre avis Alexandre Janowiak
Dark Crystal : Le Temps de la Résistance enrichit à merveille l'univers foisonnant créé par Henson tout en lui restant ultra fidèle sur la forme. Une heroïc fantasy passionnante, sombre, horrifique, complexe, épique et engagée sur l'environnement. Immanquable.
Autre avis Geoffrey Crété
Une voyage sensationnel, puissant et maîtrisé, qui explore avec intelligence l'univers du film sans le dénaturer ou le singer. D'une beauté époustouflante et vertigineuse, et porté par une émotion souvent magnifique : la réussite est flamboyante.
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Lecteurs

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commentaires
Stifun
02/12/2022 à 21:12

C'est incontestablement une des plus belles réussites artistiques de ces 10 dernières années. Ultra fidèle à l'œuvre originale et visuellement éblouissant, Louis Leterrier a réussi un véritable tour de force. Vivement la suite!

Ev0k
13/10/2019 à 14:35

@ Andrew Van
Alors non Aughra n'est pas partie dans l'espace avant la séparation des Urseks,, elle a été témoin de la deuxième grande conjonction à l'origine de la scission des Urseks. Elle a continué à apprendre des UrRu et des Skeksis, a assisté à la fracture du crystal et s'est retirée dans son observatoire. Le site officiel est très bien réalisé avec la timeline, la cosmologie et la mythologie, c'est une ressource essentielle AMHA.

Bubble Ghost
08/09/2019 à 08:52

Okey... C'est cool... Bon... Maintenant, moi, je veux une origine story à Fraggle Rock ! XD


08/09/2019 à 04:37

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui critiquent mal cette première saison de Dark Crystal !
Et j’espère bien que Netflix re signera pour une deuxième saison !
Ce début de saison est un peu mou peut-être pour certains, mais il faut une explication à tout et cette explication est donnée dans les 3 premiers épisodes lentement mais bien faites !
J’ai aimé énormément le film, et cette série ne départi absolument pas du film crée dans les années 80 au contraire il permet de connaître les détails de cette histoire de combat entre les différents protagonistes !
C’est vrai que cela décrit beaucoup notre propre société mais si cela défrise les gens c’et parce Que c’est très vrai
Et les personnages sont plus fidèles que ce que les mauvais critiqueurs en ont fait !
C’est juste qu’ils devraient s’y replonger mais j’en vois beaucoup qui critiquent et qui ne semblent pas connaître le chef d’œuvre de l’époque ! Et cela ce voit dans leurs façons d’ecrire.
Voilà ce que je dis moi !
Alors regardez le film et si vous appréciez toujours pas ou si vous l’avez déjà vu et que vous n'appréciez pas alors n’en dégoûtez pas ceux qui l’ont ou ne l’ont pas encore vu ! Clairement si vous n’avez rien de bien à dire pour les autres taisez-vous, même si ça veux dire que tout le monde à le droit à ces opinions certains devraient tout de même se taire !

Ken
06/09/2019 à 02:40

Au bout du premier épisode j’ai arrêté directe je passe mon tour c’est pas pour moi ce genre de truc. Je n’arrive absolument rien à ressentir tout et fade plat pas d’expression fin bref j’ai trouver sa très bof bof

MaxByMax
06/09/2019 à 01:50

Le premier épisode ne m'a pas convaincu. Mais ensuite je suis entré dans l'histoire comme dans un enchantement meurtri ! Avec dans la tête l'histoire du film, j'étais à la recherche de tout détails et de toutes les réponses à me faire mieux comprendre le film. Cela a marché pour moi. C'est une chance de pouvoir voir des films d'animations sans un dégueuli d'effets spéciaux. Bravo pour ce beau travail ! L'histoire est très bien pensé.

Samuraī PizzaCat
05/09/2019 à 14:22

C'est toi le ventre mou !

Andrew Van
05/09/2019 à 09:09

@Antoine

En effet, la série est bourrée de morales "propagandes" un peu kitchouilles et humanistes.
c'est un clairement un petit défaut de cette série tant c'est morale sont appuyé sans finesse. Sur ce point de vu le film passé mieux avec sa poésie et son symbolisme, dans la série c'est vraiment trop appuyé et man,que de subtilité... un peu pénible.

Mise à part une réalisation sans saveur (hors quelques moments) et un scénario très prévisible et quelque peu simpliste (contrairement au film, tous est expliqué et inexpliqué) probablement en raison du public enfant visé... et les morales bien trop grossières. c'est un très bonne série, qui malgré quelques incohérences avec le film (Si j’ai bien compris, Aughra est partie dans l’espace avant la séparation des UrSkeks ? pourtant elle ne semble pas surprise de rencontrer les deux races et mêmes semble les connaitre. Bref je n’ai pas trouvé ça très clair.), se tiens très bien avec un choix audacieux ne pas bourré les persos en fx en gardant le coté organique des marionnettes.

Un saison 2 pourrai combler les trous scénaristes entre le fin de la série et le début du film, bien qu'on est compris ce qui va se passer.

J'espère qui vont assumer le coté sombre de cette fin car au début du film, les Gelfling sont éradiqués et les Skeksès vainqueurs.

Antoine
04/09/2019 à 22:20

J’ai adoré. Mais personne n’y a vu une propagande pro-Brexit? Regardez une 2ème fois c’est assez drôle. Je vous laisse deviner qui sont les skeksis.

dams50
04/09/2019 à 21:01

ahh, ca fait plaisir de lire des critiques comme ça sur un pari qui n'était pas forcément gagné
hé bien, y a plus qu'à se replonger en enfance, et regarder tout ça

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