MediEvil : mode d'emploi d'un mauvais remake

Judith Beauvallet | 13 juin 2023
Judith Beauvallet | 13 juin 2023

En 2019, le jeu vidéo culte et gentiment macabre MediEvil a eu droit à sa version remasterisée, au même titre que d’autres tubes vidéoludiques de sa génération. Vrai coup de neuf ou redite inutile ?

Crash BandicootSpyro the Dragon ou encore Oddworld : l’Odyssée d’Abe sont tous des jeux vidéo emblématiques des années 90 qu'une vague de remakes a frappés dans les années 2010. Le concept terriblement simple de ceux-ci ? Proposer de reproduire exactement les aventures originales, mais avec des graphismes modernes et quelques ajouts ou améliorations par-ci par-là.

Le jeu MediEvil, sorti en 1998 sur PlayStation, est lui aussi tombé sous le coup de cette tradition nostalgique. En 2019, Sony Computer Entertainment sortait un nouveau MediEvil tout beau tout neuf développé par SCE Studio Cambridge.

 

MediEvil : photoJ'en suis fortesque

 

Spyro, Crash, Abe et les autreS

Tout comme dans le MediEvil de 1998, le joueur incarne Sir Daniel Fortesque, un chevalier mort au combat face à une armée de zombies menée par le terrible sorcier Zarok, et dont le squelette se relève dans sa crypte 100 ans après pour enfin gagner son statut de héros. À travers le royaume de Gallowmere, Dan va affronter des ennemis toujours plus monstrueux dans des mondes toujours plus lugubres. À la même époque, Tim Burton est au zénith de sa carrière de réalisateur gothique, et l’univers de MediEvil baigne complètement dans les mêmes inspirations de noirceur colorée mi-effrayante mi-fun.

Le jeu original réussit, au moment de sa sortie, à convaincre les critiques et le public, sans non plus connaître le succès immense d’un Crash Bandicoot ou d’un Rayman. Pourquoi ? Sans doute pour deux raisons principales : l’atmosphère halloweenesque du jeu, sans doute moins susceptible d’attirer tous les publics que les jungles arc-en-ciel de ses rivaux, et une perfection technique moindre (sur laquelle on reviendra plus tard).

 

MediEvil : photoChouette épitaphe

 

Les trois premiers Crash Bandicoot ont ressuscité sur PlayStation 4 sous le nom Crash Bandicoot N. Sane Trilogy (2017), une refonte réussie : si l’atmosphère n’était pas tout à fait aussi charmante que dans la trilogie originale, la fidélité était bluffante, la plupart des défauts gommés, la difficulté suffisamment augmentée pour que même le joueur le plus rodé doive se dépasser (celle qui écrit ses lignes sait de quoi elle parle).

Bref, jamais aussi bien que l’original parce que la nostalgie est plus forte, mais de la sacrée belle ouvrage. Il en allait de même pour la trilogie Spyro, elle aussi refaite chez Activision sous le nom de Spyro Reignited Trilogy (2018). L’espoir qu’un remake de MediEvil soit tout aussi réussi, bien qu’il ne soit pas développé par le même studio, était donc grand. Mais c’est là que les ennuis commencent...

 

MediEvil : photoChâteau fort et forte tête

 

Pertes et fracas

Attention : il ne s’agit pas de bouder son plaisir, loin de là. Cette nouvelle version de MediEvil est un bon jeu, et les aventures de Sir Daniel Fortesque au royaume des zombies et autres créatures maléfiques restent une vraie partie de plaisir à accomplir. Ce qui n’empêche pas que, vu la qualité du matériau de départ, certains choix d’adaptation laissent perplexe et font regretter que le remake n’atteigne pas le niveau d’excellence auquel il aurait pu prétendre.

Dans un premier temps, pour parler d’esthétique, force est de constater qu’une certaine direction a été prise, et pas forcément la plus fidèle à l’atmosphère originale. De nombreux détails et élargissements du paysage permis par la qualité des graphismes sont venus enrichir les décors. Beaucoup d’entre eux sont bienvenus et en accord avec le ton du jeu, comme les yeux lumineux sur certains arbres, la sophistication du design des tombes, des mausolées, de la végétation, etc. En revanche, d’autres ont un impact moins appréciable sur l’univers que le remake prétend faire revivre.

 

MediEvil : photo"Colline du Cimetière" et ses pierres qui roulent

 

L'élargissement de l’horizon, s’il est une amélioration technique, résulte en une disparition totale du noir ambiant qui délimitait auparavant les zones jouables. Les ténèbres sont remplacées par tantôt un ciel violet et nuageux, tantôt une voûte orageuse... Tout cela est très joli, et la volonté de faire du gothique sucré est manifeste, mais l’ensemble est aussi beaucoup moins sombre et original. Il en va de même avec le design des zombies et des ennemis en général : ceux-ci sont tirés vers des apparences plus cartoonesques, avec des traits plus ronds et plus caricaturaux.

Leurs gestes, plus humains, leur ôtent encore un peu d’étrangeté. Dans le cas de Zarok, la nouvelle souplesse de ses expressions et ses couleurs plus réalistes correspondent certes à une plus grande qualité des graphismes, mais celle-ci n’est pas compensée par un parti pris visant à conserver l’atypie du sorcier. Son ancien couvre-chef à la forme exubérante et pointue a été troqué contre deux simples cornes d’aspect tout à fait classique, comme bien des personnages en portent depuis la Maléfique de La Belle au Bois Dormant ou le diable de Legend.

 

MediEvil : photoZarok'n'roll

 

Cris et chuchotements

Logiquement, tout ce qui était traité avec second degré dans le jeu original (c’est-à-dire beaucoup de choses) vire donc ici à la pure comédie ou même au ridicule, tant le ton général est édulcoré. Certes, cette édulcoration est due en grande partie au fait d’avoir lissé et amélioré les graphismes, car beaucoup de jeux PlayStation 1 perdent en singularité dès lors que leurs défauts sont gommés, mais il n’était pas interdit de conserver de l’originalité et de la noirceur pour que ce MediEvil ne renie pas tant que ça sa teneur horrifique.

Car trop de réalisme est parfois néfaste, surtout quand la technique reste malgré tout limitée, et c’est une chose qui se ressent par exemple dans la nouvelle conception du démon vitrail. À vouloir renforcer ses couleurs et détailler ses arêtes en plomb, le démon perd tout effet de transparence, et l’aspect de verre qui casse lorsqu’il est vaincu est finalement beaucoup moins bien rendu qu’avec les quelques triangles colorés qui le composaient dans la première version.

 

MediEvil : photoLe cousin de Jack Skellington

 

Au-delà des visuels, c’est aussi au niveau du sound design que le jeu perd beaucoup en personnalité. La bande-son reprend les magnifiques morceaux macabres que l’on connaissait, et elle s’enrichit par ailleurs beaucoup en sons d’ambiance et en richesse du mixage. Pourtant, beaucoup de bruitages très particuliers qui ponctuaient l’ancien jeu de manière très caractéristique ont totalement disparu.

Adieu le sifflement des âmes qui rejoignaient le calice, le glouglou des fontaines de vie, les exclamations de Dan quand il était touché (ce qui était bien pratique), les beuglements macabres des zombies, les grouinements des diablotins... Tous ces sons qui faisaient la personnalité décalée du jeu et qui imprimaient la mémoire du joueur au-delà des graphismes approximatifs ont disparu. Ce choix est difficilement explicable tant il appauvrit l’univers de Gallowmere, et tant il trahit le désir de nostalgie du joueur (alors que ces remakes n’ont, finalement, pas tellement d’autre objectif).

 

MediEvil : photoLaisse les gondoles à Venise

 

Et que ça saute

Maintenant que ces regrets esthétiques sont exprimés, qu’en est-il de l’aspect purement technique de ce MediEvil ? Heureusement, le remake a quelques progrès à proposer. Au-delà de l’amélioration des graphismes, de la lumière, des mouvements, etc., il faut noter l’ajout très pratique d’une arme secondaire, ce qui permet de jongler entre deux armes grâce à un simple bouton, plutôt que de retourner en changer via le menu chaque fois que le besoin s’en fait sentir.

Cette nouvelle fonctionnalité est très précieuse dans les phases de combat qui nécessitent d’alterner entre plusieurs types d’armes. Cela dit, à une époque où la pluralité des armes interchangeables est devenue une banalité, la fonctionnalité n’est pas suffisamment aboutie, car le fait d’alterner entre seulement deux armes sans retourner en chercher dans le menu reste un choix très maigre et le joueur se sent très souvent limité dans la souplesse de ses actions.

 

MediEvil : photoUn cerveau lent

 

Par ailleurs, il faut globalement reconnaître que la maniabilité de Dan, déjà plutôt compliquée dans le jeu original (surtout en comparaison d’un Crash ou d’un Spyro), n’a été améliorée en rien, donnant l’impression que les nouveaux graphismes ont tout simplement été collés sur le code original, sans que la structure du gameplay lui-même soit revue. Et c’est d’ailleurs plus ou moins le cas. Dès lors, les problèmes de perspective rendant les sauts et les distances très difficiles à jauger sont toujours aussi présents et frustrants.

De la même manière, les angles de caméra n’ont rien gagné en souplesse, et par au moins deux fois dans le jeu, un raccord au noir fait entre deux images pendant un saut est particulièrement perturbant pour la fluidité du jeu. Si ces défauts existaient et étaient très excusables à l’époque de la PS1, ils le sont beaucoup moins dans un remake PS4 : à quoi bon prétendre faire un remake si les problèmes structurels typiques des jeux des années 90 demeurent sans aucune amélioration ?

 

MediEvil : photoLa statue de la mortalité

 

Remakest-ce que c'est ?

En somme, la nouvelle version de MediEvil n’a, de réellement nouveau à proposer, que des graphismes plus modernes et de jolies lumières. Il n’y a rien de réellement désagréable là-dedans et n’importe quel joueur, fan ou pas de l’original, pourra s’amuser devant cette version de 2019. Simplement, il faudra accepter de s’assoir sur la noirceur et la personnalité qui rendaient le premier jeu si addictif.

 

MediEvil : photoAutre ajout : pouvoir renverser tous les calices sur la table du Hall des Héros

 

Contrairement à la N.Sane Trilogy de Crash Bandicoot, il faudra admettre que le jeu se termine très rapidement, aucun niveau de difficulté n’ayant été ajouté. Une réussite si moyenne (le jeu a connu un accueil critique et public assez tiède) explique-t-elle qu’à cette date, un remake de MediEvil 2 n’ait toujours pas vu le jour ? Peut-être. Et peut-être aussi que ça vaut mieux.

Retenons néanmoins que le remake propose, lorsque le joueur fait du zèle et récupère toutes les âmes perdues à la fin du jeu, de jouer à la version originale en débloquant un nouveau mode dans le menu d'accueil. Une occasion de prendre la mesure des améliorations et des manquements du remake ! Nostalgie, quand tu nous tiens...

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commentaires
Maxibestof
13/06/2023 à 21:10

A noter qu'il y avait eu aussi un remake sur PSP, qui changeait pas mal de petite chose.
Il faudrait un article pour comparer les 3 versions !

Melsan
13/06/2023 à 20:39

Un article intéressant ! Je vous rejoins sur le fait qu'il n'apporte pas grand chose à l'univers, malgré ses superbes graphismes (je comprends la déception vis-à-vis du 'brouillard noir' qui masquait le paysage à l'origine) mais il aura peut-être la vertu de faire découvrir la licence à d'autres personnes qui ne le connaissaient pas à l'époque.
D'ailleurs en parlant de Remake de MediEvil, il y en avait eu un autre un peu peu différent sur PSP vers 2005 (?), que j'adore pour ma part et qui m'a fait découvrir la licence : similaire par son histoire avec quelques ajouts intéressants à mon humble avis, certains niveaux ont également été ajoutés (ex: le Panthéon des héros - un genre de Valhalla pour récupérer les armes/flacons), d'autres de l'original ne sont pas présents (ex: le labyrinthe, le lac, la cave aux cristaux – ou alors on ne voit qu'un tout petit bout), la maniabilité est toujours aussi moisie et le gameplay est exactement le même que sur PS1 donc daté mais la VF est truffée d'humour, la BO toujours aussi sublime et l'ambiance générale reste sympathique, ce qui en fait un jeu tout de même agréable et qui je trouve prend plus de risques que ce remake. Maintenant, j'avoue que je ne sais pas s'il a été bien reçu ou pas...

L'autre
13/06/2023 à 13:54

Entièrement d'accord avec cet avis ! Je me suis fait la reflexion aussi que le low poly et autres contraintes techniques de l'époque donnaient pas mal d'ambiance au jeu finalement !
Je suis très très fan du jeu original (moins de sa suite qui reste sympa) et chaque année je me refais une partie vers Halloween sur ma poussièreuse PS1....

Ozymandias
13/06/2023 à 10:51

Merci pour cet article intéressant, ça me rappelle des souvenirs ! Mais je n'ai pas testé le remake par contre.