"Vous ne gérez pas bien votre business" : Christopher Nolan critique les studios (et le streaming)

Adrien Roche | 9 novembre 2023
Adrien Roche | 9 novembre 2023

Christopher Nolan (Inception, The Dark Knight, Interstellar), adorateur de la pellicule et de la salle de cinéma, a récemment exprimé son point de vue sur les plateformes de streaming.

Malgré l'aura de Christopher Nolan et son poids dans l'industrie cinématographique, il était difficile d'imaginer qu'Oppenheimer atteindrait quasiment le milliard de dollars au box-office (948 millions). Parce que casting de rêve ou non, Nolan ou non, un biopic de trois heures reste un pari un peu fou, que seul le cinéaste le plus populaire de son ère pouvait tenter de rentabiliser (et bien au-delà).

Cette fin d'année est marquée par la sortie de plusieurs films produits par des plateformes. Killers of the Flower Moon et Napoléon, certes sortis au cinéma, sont des produits d'Apple TV+ qui n'a pas lésiné sur le budget. The Killer de David Fincher arrive le 10 novembre directement sur Netflx (et quel dommage).

Mais il est à peu près certain qu'aucun de ces films ne connaitra le succès commercial d'Oppenheimer, et Nolan continuera de compter sur la salle de cinéma : il a récemment critiqué le modèle économique des plateformes, qui a selon lui un lien direct avec la grève des acteurs à Hollywood (qui est enfin finie et c'est une excellente nouvelle).

 

 

Nolan vs le streaming

Dans une interview accordée à Variety, le réalisateur a donné son avis sur l'essor des plateformes et leur modèle, persuadé que l'évolution de l'industrie ne va pas dans le bon sens :

"Une partie de la folie des négociations collectives de cet été est due aux studios qui se sont dit : "Bon, nous ne pouvons pas vous payer parce que nous n’avons pas assez d’argent." Et la réponse à ça est : "Vous n’avez pas assez d’argent parce que vous ne gérez pas correctement votre business. Vous ne recevez pas le même montant d’argent pour votre produit qu’avant." Le passage au streaming a perturbé l’ensemble du secteur et créé des problèmes pour tout le monde."

 

Oppenheimer : photo, Cillian Murphy, Emily Blunt"À partir de maintenant vous sortez vos films en salles d'accord ?"

 

En 2020, en pleine pandémie, la décision de la Warner de sortir simultanément certains films au cinéma et sur HBO Max (Wonder Woman 1984, Dune, The Suicide Squad...) avait fortement irrité plusieurs cinéastes, dont Nolan, même s'il n'était pas concerné.

A l'époque, il avait déclaré : "Certains des plus grands réalisateurs et stars de cinéma de notre industrie sont allés se coucher en pensant qu'ils travaillaient pour le plus grand des studios de cinéma, et se sont réveillés en découvrant qu'ils travaillaient pour le pire service de streaming."

C'est pour ça qu'il a été chez Universal pour Oppenheimer. Mais dans cette même interview, à la question "êtes-vous ouvert à l'idée de retravailler avec la Warner ?", le cinéaste a répondu "oh oui, absolument". Peut-être dès son prochain film ?

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commentaires
Grey Gargoyle
12/11/2023 à 16:05

Hello,
sans verser dans l'idolâtrie, je dois avouer que je suis admiratif de l'intelligence de Christopher Nolan depuis très longtemps et sincèrement content de son succès commercial et critique pour 'Oppenheimer'.
Je n'aime pas le streaming pour une raison complètement différente des professionnels du cinéma.
Lorsqu'on achète un DVD, en réalité on acquiert le droit de voir un film à titre privé et pour une durée illimitée. C'est bien l'acquisition d'un produit culturel immatériel pour lequel on conserve une véritable liberté. Il n'en est pas de même en ce qui concerne un abonnement que celui-ci soit pour Canal+ ou une plateforme de streaming. Les abonnements devraient être un mal nécessaire réservé à l'électricité, le téléphone, l'eau ou le gaz. En dehors de ça, le risque est grand que cela devienne un fil à la patte destructeur de liberté individuelle. C'est d'ailleurs cocasse que ce soit devenu un élément clef de l'économie "post-industrielle" occidentale : tout prestataire de services immatériels va essayer de fidéliser sa clientèle via des contrats d'abonnement. Une autre conséquence est que le client devient une source d'informations analysées en permanence afin de maximiser la marge, c'est à dire de faire penser la balance côté fournisseur. La notion d'"équilibre" entre offre et demande devient particulièrement viciée si le fournisseur passe son temps à espionner la vie de son client pour lui vendre son produit avec la marge la plus fort possible. Or c'est souvent le client lui-même qui a renoncé à protéger ses données personnelles lorsqu'il a signé le contrat d'abonnement.
Je trouve également cocasse qu'on puisse croire que l'IA va "concurrencer" les activités créatives alors qu'elle sert d'abord et avant tout à analyser des données statistiques. Ce sont surtout les activités de services immatériels ne requerrant aucune créativité qui seront menacées par l'IA : administration, traitement de dossiers, rédaction de contrats standards, comptabilité, gestion, etc.
Je tiens à préciser d'ailleurs que sans tomber dans la paranoïa, je ne suis pas non plus naïf. Je sais bien que ma consultation de vos articles et mes réactions à ceux-ci servent aussi à votre actionnaire qui fait du data mining en terme de marketing sur internet. Cependant, je fournis peu d'éléments à grande valeur ajoutée en matière commerciale et donc conserve une grande liberté.
Donc, de mon point de vue, vous n'abusez pas des informations que je vous donne.
En ce qui concerne le visionnage des films en salles pa rapport à la télévision, il y a plusieurs problèmes.
Le premier problème en ce qui me concerne : l'enfer, c'est les autres. Dans mon cas, rien n'est plus agréable que de voir un film seul, dans le noir, sans perturbations sonores ou visuelles, ce qui permet d'avoir ce fameux syndrome pour lequel notre ego disparaît et nous "entrons" dans le film.
Actuellement, en salle, c'est impossible. Entre ceux qui arrivent en retard, qui vont pisser, qui consultent leurs smartphones, les grignoteurs qui passent leur temps à mastiquer un truc tout en grattant dans un sac en plastique ou en papier et les commentateurs qui passent leur temps à décrire le film à leur voisin pendant la séance, je passe mon temps avec les abrutis, pas avec le film lui-même.
Le deuxième problème concerne les scénarios et le sort des scénaristes. Cela ne concerne pas Nolan lui-même qui est un vrai cinéaste, c'est à dire aussi brillant scénariste qu'il est réalisateur. Cependant, force est de constater, en ce qui concerne les longs métrages, que de nombreux scénaristes sont méprisés par la production, la réalisation ou le cast. En conséquence, les meilleurs scénaristes préfèrent depuis les années 90 se tourner vers les séries télévisées dans la mesure où ce secteur peut leur permettre d'évoluer vers la direction d'écriture, la production exécutive et une vraie reconnaissance sociale comme auteur. Cela a pour conséquence que les séries télévisées ont de plus en plus souvent de meilleures trames narratives que la plupart des long métrages. Un bon produit audiovisuel, ça reste une bonne histoire, même de nos jours. Marvel commence à en faire la cruelle expérience. Que le réalisateur soit l'auteur principal d'un film, c'est indéniable mais qu'on oublie qu'un film, c'est d'abord et avant tout un effort collectif, c'est regrettable.
Le troisième problème, plus conjoncturel, est le modèle économique actuellement défaillant des exploitants de salles. À l'origine, une salle de cinéma était rentable par le volume d'entrées qui permettait d'avoir un coût du ticket de cinéma abordable pour la majorité de la population, notamment adulescente. Aujourd'hui, ça n'est plus possible. Les salles doivent être compatibles avec des standards de qualité nécessitant des investissements massifs qui vont se retrouver dans le coût de revient du ticket. Ensuite, la conjoncture inflationniste fait que le prix standard d'un ticket de cinéma peut dépasser la barre symbolique des 10 euros. C'est lié notamment au coût de l'énergie pour faire fonctionner un cinéma. Vous voulez éviter ça ? Et bien... Il reste l'abonnement (voir commentaire ci-avant).
De plus en plus, la tendance conduit l'exploitation de salles vers le grand spectacle à prix d'entrée élevé ou avec abonnement. Il n'est pas surprenant que 2 des grands succès de l'année en salle aux USA soient les retransmissions des spectacles de Taylor Swift et Beyoncé.
L'autre conséquence, c'est que les studios n'auront d'autre choix pour correspondre aux attentes des exploitants de salles que de leur proposer des blockbusters à gros budget pour rentabiliser leur exploitation. Cela a entraîné une prolifération des films à plus de 100m$ cette dernière décennie alors que le risque de plantade est bien réel. En sens inverse, la télévision, streaming ou non, peut se permettre de financer des petits ou moyens budgets parce que leurs objectifs ne sont pas les mêmes. Soit il y a une volonté de remplir une grille de programmes, soit il faut proposer une offre de films la plus large possible.
On pourrait éventuellement imaginer que les direct-to-video seraient une alternative, comme dans les années 80, mais malheureusement, le secteur de l'édition vidéo est le plus vulnérable et le plus déclinant, la majorité des clients s'étant détourné de ce mode de consommation.
Je suis assez pessimiste sur l'évolution de la situation. Dans le pire des cas, il me restera les livres et les bandes dessinées comme divertissement culturel !
Bien cordialement

Birdy l'inquisiteur
11/11/2023 à 15:41

Les studios cherchent à s'adresser à la masse pour amasser un max de pognon.
Mais la masse, c'est un public moins exigeant, sans thune, et feignant, qui se contente donc de la solution de facilité Netflix & Co.
Mais comment en vouloir à ce public ?
Le streaming a aussi ses avantages : les nouvelles générations ont maintenant accès à pas mal de chefs d’œuvre chez eux facilement, et l'accès immédiat au chaud sans virus, c'est quand même plutôt sympa.
Pour les familles c'est évidemment devenu trop cher d'aller à 4 ou 5 au cinoche. En 1 soirée écran plat + pop corn, tu économises 80€ facile.

Mais surtout, l'argument N°1 selon moi : le streaming permet des séries exceptionnelles, avec une magnifique concurrence entre chaque participant. Et ça c'est tout bénéf.

On en revient donc à cette concurrence déloyale avec le cinéma : le streaming propose des films aussi, alors que les films, ça devrait être dans une salle.
Les grands projets, l'ambition des grands cinéastes, le moment magique, on en fait quoi ?

Nolan n'a pas tort, les studios ne doivent pas baisser les bras, ni tricher dans les contrats pour passer sous le manteau des projets fait pour le grand écran. Mais soyons honnête : Scorsese aurait il trouver l'argent de son dernier film sans Netflix ? Cuaron, les frères Coen, pareil.

Le débat est ouvert, et la solution reste entre les mains du public : il ne se déplacera dans une salle que pour un spectacle garanti d'avance haut de gamme. Sinon, il préfèrera rester chez lui et zapper jusqu'à trouver le bon film. Le prix est devenu trop élevé pour se permettre de se tromper.

Morcar
10/11/2023 à 15:24

Le souci du streaming, c'est qu'avec ça ils espéraient capter un nouveau public qui n'allait plus dans les salles, en espérant conserver celui qui allait au cinéma, mais en réalité ils ont juste fini par convaincre certains spectateurs de ne plus se rendre en salles. Encore une fois, ils voulaient le beurre et l'argent du beurre...

ropib
09/11/2023 à 18:59

En même temps baser un modèle économique sur la monétisation de la diffusion dont le coût marginal est quasi nul...
Il faut constater les difficultés sociales, et les insécurités sociales. Mais pour le faire correctement il faut avoir une approche systémique. La distribution d'un fichier de film est quasi gratuite : on ne peut baser une production rentable dessus que si on fait diverger une économie et la réalité matérielle... ce qui est une corruption de système > soit on rétablit la réalité, soit le système casse, mais il n'y aura pas de statu quo ni de rétablissement du monde d'avant. Il faut donc trouver une autre idée. Les plateformes c'est une tentative, sans doute ratée, parce que réfléchie comme si on pouvait couper le robinet numérique juste après la numérisation. Ce n'est pas le cas.
Le streaming c'est pas mal. Une grosse partie de l'industrie du cinéma est complètement pourrie par des prix trop élevés (de place à la base, qui entraîne un contrat impossible à respecter avec le spectateur). Il y a moyen de sauver une toute petite part du cinéma actuel en en faisant à nouveau un moment ritualisé... mais c'est très difficile, et ça veut aussi dire beaucoup de faillites quand-même. Désolé mais faut trouver autre chose, parce que les contingences matérielles existent et qu'elles sont contingentes.

Prisonnier
09/11/2023 à 16:37

Je défends très souvent Nolan, et sans aller jusqu'à dire les mêmes propos que Sigi, je suis quand même de l'avis de ce dernier ^^

Sigi
09/11/2023 à 15:20

La p*te non assise derrière ses propos et ses valeurs a répondu "oh oui, absolument". *