Le cinéma français en "danger" ? Il y a trop de films et trop d'argent, selon la Cour des comptes

Geoffrey Crété | 21 septembre 2023
Geoffrey Crété | 21 septembre 2023

La Cour des comptes a rappelé à l’ordre le CNC, et pointé du doigt des problèmes de gestion financière : il y aurait trop de films (que personne ne voit) et trop de dépenses d'argent (public).

Ça va faire mal, et ça va donner du grain à moudre à tous les détracteurs du cinéma français - ou plutôt d'une certaine idée du cinéma français. La Cour des comptes, chargée de contrôler les comptes publics, a rappelé à l'ordre le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Un rapport rendu ce mercredi 20 septembre pointe du doigt la gestion financière jugée peu claire, trop compliquée, et finalement pas efficace.

La Cour des comptes a pris autant de pincettes qu'Ecran Large pour parler de Zack Snyder, et reconnu toutes les réussites du CNC, qui continue à défendre le cinéma français et s'adapter aux évolutions du marché. Mais c'est bien un "message de vigilance" qui a été envoyé après une analyse de la période 2011-2022, avec la recommandation d'une "réforme approfondie des aides".

 

Astérix et Obélix : l'Empire du Milieu : photoLe facteur qui débarque au CNC

trop d'argent public pour le cinéma français ?

La Cour des comptes, présidée depuis 2020 par Pierre Moscovici (Ministre de l'Economie et des Finances sous François Hollande, en 2012-2014), y est allée en douceur. Le rapport commence par saluer ce "pilier de la politique française de soutien au cinéma depuis 70 ans", et affiche son soutien à cette particularité française si souvent débattue, qui a permis de maintenir "une part de marché des films français de près de 40 %".

Néanmoins, la Cour des comptes rappelle que tout argent public doit obéir à un contrôle. Et c'est là que le rapport pourrait secouer le cocotier, en évoquant un "surfinancement public à l’échelle de la filière", et une "faible lisibilité des états comptables et financiers". Et d'aller plus loin en parlant de "la situation paradoxale d’un établissement qui voit sa trésorerie et son fonds de roulement déjà élevés progresser sur la période – pour atteindre respectivement 727 millions d’euros et 818 millions d’euros en 2022 –, alors que ses résultats nets de gestion ont été à sept reprises négatifs entre 2011 et 2022".

 

Photo Christian Clavier"Je suis dispo pour un autre Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu"

 

trop de films que personne ne va voir ?

En somme : trop d'argent depensé et pas assez de résultats en salles, et derrière ça, la grande question du nombre de films produits chaque année. Comme Pierre Moscovici l'a rappelé, il y a eu 20% de longs-métrages en plus entre 2011 et 2019, quand dans un même le nombre de films faisant moins de 200 000 entrées en salles a augmenté (58 en 2011, 89 en 2019).

Pierre Moscovici explique donc que "l’efficacité marginale du système d’aides au cinéma semble décroître", et que le CNC dépend bien de l'argent public puisque "sur 821 millions d'euros, 778 millions proviennent de taxes. Le CNC est au quatrième rang des établissements publics qui bénéficient de taxes".

 

La Vie pour de vrai : photo, Dany BoonJe suis dispo pour un nouveau film à 35 millions d'euros"

 

Néamoins, il arrondit les angles comme tout (bon) politicien : "Nous ne disons pas qu’il y a trop de films, ni que la rentabilité doit être le seul critère, puisque le CNC est là pour permettre au cinéma d’échapper à cette logique de l’argent. Mais une rationalisation pour plus d’efficience est souhaitable."

En gros, il ne faut pas faire moins de films, mais moins de films que les gens ne vont pas voir. D'un coup, c'est beaucoup plus clair et moins inquiétant...?

La Cour des comptes estime notamment que seuls 2% des films soutenus par l’avance sur recettes (une aide créée en 1960 pour encourager la création et les premiers films) sont rentabilisés sur leur exploitation en salles. Là, le CNC réplique que la vie d'un film ne s'arrête pas aux cinémas, et que leur rôle va d'ailleurs bien au-delà sur la diffusion et le soutien aux exploitants et aux festivals, par exemple.

 

Apaches : photo, Hugo BeckerPierre Moscovici en sortant de la conférence de presse

une réforme profonde du cinéma français ?

Le message est donc doux, mais clair : il y a un problème, et quelque chose doit changer. La Cour des comptes parle d'une réforme de simplification de tout le système d'aides et d'un contrôle beaucoup plus clair et carré, en mettant notamment en place un "contrat d'objectifs et de performance".

"Au vue de l'importance des ressources publiques affectées au CNC et de sa complexité comptable, la Cour recommande que soit mis en place, sans délai, un cadre de gouvernance approprié, avec la nomination d'un commissaire aux comptes, dont le CNC se dispense jusqu'à présent, et l'installation d'un comité d'audit auprès du conseil d'administration, indispensables pour éclairer tant les administrateurs que la tutelle"

 

Alibi.com 2 : photo, Julien Arruti, Philippe Lacheau, Tarek BoudaliLes nouveaux commissaires aux comptes du CNC

 

Pas incroyable mais vrai : le gouvernement Macron est d'accord. Le ministère de l’Économie et des Finances estime qu'il y a effectivement trop de films et qu'il faut réformer tout ça, quand Élisabeth Borne parle de "corriger les soutiens du CNC dont l’efficacité n’apparaît par probante, pour que la production cinématographique française soit vue par un public aussi large que possible".

 

Anatomie d’une chute : photo, Sandra HüllerAnatomie d'une chute des aides publiques ?

 

De quoi renvoyer directement aux mots de la réalisatrice Justine Triet, Palme d'or pour Anatomie d’une chute, qui parlait en mai dernier d'une "exception culturelle française qu'on doit absolument préserver et chérir. Tous les gens du monde entier nous envient cette non-rentabilité des films. C'est quelque chose de très précieux". Un discours que la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, avait trouvé "ingrat et injuste".

D'ailleurs, le rapport de la Cour des comptes remarque que certains artistes semblent être dans les petits papiers du CNC, qui soutient régulièrement leurs films. Et devinez quel nom de réalisatrice apparaît parmi les exemples ?

Tout savoir sur Anatomie d’une chute

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commentaires
Ghost Leopard (ex-Grey Gargoyle)
18/01/2024 à 15:05

Mars Express est toujours en salle dans les cinémas Pathé et UGC.
Il est reprogrammé pour une semaine de plus.

Cest génial ! Sincèrement, je suis vraiment content pour l'équipe du film et plus généralement pour le cinéma d'animation français ! (^_^)

Marc
25/09/2023 à 19:41

@Grey Gargoyle

Je viens de voir la BA de MARS EXPRESSS le graphisme vraiment surpris l'histoire des influences à BLADE RUNNER un univers Cyberpunk dés qu'il sortira au Ciné je te donnerai mon avis.

Grey Gargoyle
25/09/2023 à 00:53

Au fait, puisqu'on parle de cinéma français, la bande annonce de Mars Express est sortie il y a deux jours.
https://m.youtube.com/watch?v=7iroDVDTPco
J'ai essayé à trois reprises de le voir Annecy, sans succès car les files d'attente pour les séances étaient saturées (heureusement que j'avais un plan B nommé "improvisation" à chaque fois).
Il y a eu également un buzz très positif à Cannes.
Il bénéficie également du soutien de Konbini, Première, Mad Movies et Senscritique.
Pour que les gens se rendent bien compte de quoi on parle, ce film d'animation a été fait pour seulement 6,7 millions d'euros.
En long métrage d'animation, c'est un petit budget.
Pourtant, la qualité technique a été saluée par toute la profession.
Je ne l'ai pas encore vu, donc je ne peux pas juger par moi-même.
Il est évident que cette production n'aurait pas pu voir le jour sans le CNC et France Télévision.
Je croise les doigts pour que ça marche. Cependant, rien n'est sûr.
Même si le film est très apprécié, même si le bouche à oreille fonctionne, malgré tout, le film va sortir sur la deuxième quinzaine de novembre. Aux États-Unis, la règle informelle plus ou moins respectée est de prévoir, par rapport au coût du film, une somme à peu près équivalente pour en assurer le marketing, la promotion, la publicité, la communication. En France, c'est quasiment impossible de suivre la même méthode pour un film d'environ 6 ou 7 millions d'euros. Impossible également de prévoir sur la tranche "ado-adulte" si un film d'animation français va marcher en salles ou pas. Par ailleurs, sur les trois derniers mois de l'année, il faut vraiment avoir de la chance pour obtenir un nombre de copies suffisant et espérer un nombre conséquent de semaines à l'affiche pour ce type de film, sachant que le calendrier des exploitants va être encombré et qu'ils vont privilégier les grosses sorties pour lesquelles les majors américaines ont déjà anticipé leur planning commercial tambour battant.
Voilà pourquoi ce rapport de la CdC me met vraiment en colère.
Mars Express est le type même de projet intéressant qui n'existerait pas si jamais ce rapport était pris au sérieux.
Pour une fois qu'il y a un domaine pour lequel la France est prise au sérieux par les USA et le Japon...
Bien cordialement

Grey Gargoyle
23/09/2023 à 21:06

@C.Kalanda
Merci beaucoup :-)

Je ne me rappelle pas en avoir déjà parlé. C'est peut-être un autre internaute ou ma mémoire qui fait défaut. Mais je suis d'accord avec cette remarque.

En parallèle, un autre gros souci, ce sont les plateformes de streaming et les services internet. S'ils ne sont pas taxés par le CNC, cela crée un désavantage pour les acteurs historiques du secteur. S'ils sont taxés, quelle assiette va servir de base de calcul et quels critères doivent-ils être utilisés en terme de territorialité juridique (site en français ? nationalité des abonnés ? leur adresse géographique ? Le lieu où se trouve l'ordinateur ou le téléviseur ? etc).

Comme vous avez de plus en plus d'abonnés, vous voyez le petit souci que cela entraîne.
Assez curieusement, Netflix semble plutôt "open" sur le sujet, si j'ai bien compris. En fait, d'après ce que j'ai compris, ils ont sauvé des projets audiovisuels francais pendant le Covid pour des raisons qui se comprennent aisément. Ils cherchent à devenir un acteur incontournable.

C.Kalanda
23/09/2023 à 17:24

@grey gargoyle

Merci, très clair comme d’hab. et pour les TST c’est même vous qui je crois rappelait qu’elle est aussi à risque car la conso des grandes chaînes de télé tend de plus en plus à disparaître.

Jean Paul
23/09/2023 à 08:51

Et oui un système qui gaspille de l'argent magique spoliés grâce à des taxes et des lois votées par les copains de ces mêmes gens pour entretenir des pseudos artistes et des pseudos scénaristes et des pseudos acteurs français.
La réalité vous rattrape quand personne je dis bien personne ne va voir vos films.
Et oui messieurs mesdames du grand cinéma français personne ne va voir vos films.

Osheridan
23/09/2023 à 07:42

Il y a une dizaine d'années, j'avais été scandalisé par la découverte des cachets des comédiens français dans les films français qui se rapprochaient des stars de ciné américaine.
Déjà que je n'aimais pas les films français qui sont nuls la très grande majorité du temps, mais cette découverte avait fini d'achever pour moi le reste de fibre patriotique que je conservais encore.
Je ne regarde plus de films français au ciné.
Pas envie de payer pour des nanards, des vaux de ville ou une énième enquête policière dont je me contre fous à l'avance du mobile, de l'assassin et de son inspecteur qui sont tous des caricatures de ce qu'on a déjà 100 fois déjà vu.

Donc non je ne participe plus au financement du train de vie somptuaire de nos 'stars' de cinéma et je compte continuer sur cette voie encore très longtemps.
Tant qu'on ne sera pas capable d'enfin faire des films catastrophes de qualité, je persisterai.
Quand je vois le nombre de mes compatriotes qui critiquent le ciné américain sur chaque film d'action mais nous, on est même pas capable d'en sortir un !
Ça fait des décennies que le genre existe et pourtant en France on s'est cantonné au genre de films que j'ai cité, tout ça par économie de budget et pour sucrer davantage le cachet de nos vedettes nationales.

PatrickJammet
23/09/2023 à 05:38

C'est clair que le dit film à 35M de DaAny Boon'S... C'est la valeur du sequel ou diptyque "Des 3 Mousquetaires". Ah ! Pas besoin de décors patrimoniaux qui en jettent (au moins) pour ce dernier !

Necroko
23/09/2023 à 02:23

c'est intéressant Grey Gargoyle mais ça n'empêche pas les excès et les salaires beaucoup trop élevé du secteur : https://siritz.com/cinescoop/la-remuneration-des-freres-dardenne/ (un film sans intérêt pour faire du ouin ouin et pire sans public (67 896 entrées)). Il y a beaucoup de choses à revoir dans le financement des films Français.

Grey Gargoyle
23/09/2023 à 01:52

@C.Kalanda
Bonsoir,
Je ne suis pas dans la tête de Moscovici mais je pense qu'il parle de la même chose.
La taxe qui est prélevée sur les tickets de cinéma est surnommée la TSA.
https://www.cnc.fr/cinema/etudes-et-rapports/la-taxe-sur-les-entrees-en-salles-de-spectacles-cinematographiques-tsa_211700
Depuis 2007, la TSA rentre directement dans les caisses du CNC.
C'est ce qu'on appelle communément une contribution affectée.
Quand on dit que "le cinéma américain finance le cinéma français", ce n'est pas exactement la réalité.
En fait, c'est le spectateur français qui va voir un film américain qui paye une contribution avec son ticket de cinéma qui est collectée par l'exploitant et reversée par celui-ci au CNC.
Cet argent est ensuite réinjecté par le CNC dans le financement des productions françaises.
https://www.cnc.fr/professionnels/aides-et-financements/cinema/production/soutien-automatique-a-la-production-de-long-metrage_191532
D'où mes commentaires précédents sur le rôle du CNC (collecte de fonds et réinvestissement).
Mais en réalité, si vous creusez, vous allez vous apercevoir que la majorité du budget du CNC ne vient pas de la TSA... Elle vient de la TST, c'est à dire des chaînes de télévision. Et oui, toujours elles...
Celle-ci se calcule à partir des recettes publicitaires.
Très indirectement, par un effet de domino, on pourrait dire que c'est la vente de yaourts Danone ou Yoplait, par exemple, qui est à l'origine des fonds via les marques et les chaînes de télévision.
Bien cordialement

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