Spider-Man : l'alléchant projet abandonné de Roger Corman et Stan Lee

Mathieu Jaborska | 16 décembre 2021
Mathieu Jaborska | 16 décembre 2021

Avant Marvel et No Way Home, Spider-Man a failli être adapté au cinéma par Roger Corman et Stan Lee en personne.

Désormais, l'homme-araignée est une véritable vedette du box-office. Au panthéon du blockbuster après les excellents divertissements de Sam Raimi, au beau milieu d'une ère où les super-héros sont rois, il n'en finit jamais de démontrer sa popularité, surtout depuis que Marvel Studios et son MCU ont posé leurs griffes sur lui. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Il y a quelques décennies, le genre ne disposait pas de son monopole actuel et Peter Parker attendait encore de pouvoir tisser sur grand écran. Il a plusieurs fois failli passer le pas, par exemple grâce à James Cameron, David Fincher, Tobe Hooper ou... Roger Corman.

Le pape de la série B s'est en effet lancé dans un projet d'adaptation dans les années 1980. Et pour se faire, il s'est très bien entouré. Plongée dans un projet à la fois potentiellement très fidèle à l'esprit des comics et représentatif de son époque.

 

Spider-Man : photoSpider-Man avant le numérique et sans argent

 

L'araignée et la fourmi

Au milieu des années 1980, le super-héros est loin de prospérer sur les terres hollywoodiennes. Pourtant, le genre s'est imposé avec prestance à peine quelques années auparavant, lorsque Richard Donner s'est attaqué à Superman en 1978. Superman fut un gigantesque carton (300 millions de dollars de recette sur la foi d'un budget de 55), certes, mais ses suites ont vite démontré les limites économiques de la saga. Superman II (1981) a atteint les 190 millions et Superman III (1983) s'est vautré avec à peine 80 millions récoltés. Ce fut quand même un succès, puisque le budget est descendu à 39 millions, mais la tendance était largement à la baisse.

Même si les pontes d'Hollywood ne savent pas encore à quelle sauce va être mangé l'homme d'acier (spoiler : elle sera radioactive), ils restent donc prudents en 1985. Marvel comics, de son côté, se porte plutôt bien, et l'homme-araignée a déjà trouvé le chemin des petits écrans, américains et japonais. Toutefois, une personnalité très influente de l'industrie, grande amatrice de comic books, aimerait imprimer cet univers sur pellicule. Cette personnalité, c'est Roger Corman.

 

Hurlements : photo, Roger CormanLe caméo de Corman dans Hurlements, réalisé par son protégé Joe Dante

 

Qui est Roger Corman ? Il faudrait bien plus qu'un paragraphe ou qu'un court article pour décrire celui qu'on considère souvent comme un symbole de la série B à l'américaine. Avec le système D et l'économie comme crédo, cet artiste indépendant a réalisé plusieurs dizaines de petits films restés célèbres pour leur inventivité, puis a poursuivi ses activités en tant que producteur et distributeur des années durant, révélant plusieurs des grands cinéastes du Hollywood actuel.

Au début des années 1980, il a déjà profondément marqué le monde du cinéma de son empreinte, avec des centaines de films au compteur, généralement tournés en quelques jours pour une bouchée de pain, à la sueur du front d'artisans motivés (dont James Cameron, qui manquera aussi une occasion de faire un Spider-Man). Corman est un stakhanoviste du 7e art, qui travaille vite et bien, en collaboration avec des studios et des distributeurs.

Lorsqu'il met la main aux alentours de 1985 sur les droits de Spider-Man, déjà exploités aux États-Unis par la Columbia, il compte bien faire honneur au tisseur. À ce moment, cela fait déjà plusieurs années qu'il a plus ou moins laissé tomber la réalisation (à quelques exceptions près), depuis l'échec du Baron Rouge. Comme il l'explique dans son passionnant livre Comment j'ai fait 100 films sans jamais perdre un centime, il est fatigué, surtout après l'épisode de la revente de sa société New World Pictures, qui s'est terminé devant le juge. Contraint de revenir à la distribution, il rechigne à l'exercice.

 

Spider-Man : photo s2Le Spider-Man de la série animée de l'époque

 

Arachnide nucléaire

Ravi de se consacrer à un héros issu d'une culture qu'il apprécie, il fait directement appel au co-créateur du personnage et grande figure de Marvel : Stan Lee. Du moins c'est ce qu'on pourra lire dans un livre intitulé Stan Lee: And the Rise and Fall of the American Comic Book, écrit par Jordan Raphael et Tom Spurgeon et cité par Gizmodo. Toujours selon cette lecture du site, le scénariste planche sur un traitement en vue du développement sous la férule d'Orion Films, traitement à la fois fidèle au matériel original et très en accord avec les interrogations de l'époque.

Étudiant à l'université, Peter Parker est aux prises avec le Dr Octopus et ses sentiments pour Mary Jane Watson. Il se bat dans une grosse séquence contre son ennemi sur un bâtiment des Nations unies. Mais il tente aussi d'empêcher une guerre nucléaire et s'entiche d'une agente du KGB ! L'influence d'un certain conflit est à peine décelable.

 

Alfred Molina : photo, Spider-Man 2Le potentiel cinématographique d'Octopus a très vite été décelé

 

Que s'est-il passé ? Sur les différents sites s'amusant - comme nous - à répertorier les aventures avortées de l'araignée, chacun y va de sa petite théorie. Selon Gizmodo, le traitement de Lee était trop coûteux pour une production Corman. Pour Screenrant et d'autres, les deux hommes se seraient carrément mal entendus, l'un visant un spectacle à grand budget afin de faire oublier le kitsch des séries, l'autre restant coûte que coûte attaché à son système.

Mais la réalité est peut-être plus simple encore. Dans un entretien datant de 1995 (soit avant les versions de Raimi), conduite par MJ Simpson pour SFX et retrouvée sur un blog perdu dans les tréfonds d'internet, le producteur revient succinctement sur cet instant : "Oui, à un moment je possédais les droits pour Spider-Man et j'allais le faire pour Orion, et Orion - à cause de la bureaucratie interne - a laissé les droits expirer. Et j'ai perdu les droits de Spider-Man".

Orion étant une grosse machine encore jeune, à la tête de films comme Amadeus, sorti en 1984, et les droits étant disponibles très peu de temps, la collaboration avec Corman n'a semble-t-il pas été possible. Peut-être est-ce pour le mieux, quand on voit ce qu'a fait la Cannon des mêmes sujets et de Superman quelques années après, ou la kitschissime version Corman des 4 Fantastiques, sortie en 1994. À moins que le talent et la passion du cinéaste n'aient relancé avant l'heure l'intérêt pour les super-héros. Il ne nous reste qu'un doux fantasme d'amoureux de séries B.

Tout savoir sur Spider-Man : No Way Home

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