Belle, Poupelle, Mondocane... le cinéma du futur des Utopiales 2021

Mathieu Jaborska | 9 novembre 2021 - MAJ : 09/11/2021 15:03
Mathieu Jaborska | 9 novembre 2021 - MAJ : 09/11/2021 15:03

Il en fallait du courage pour organiser un évènement tel que les Utopiales en ces temps troublés. Un an après une annulation de dernière minute tragique, le festival international de science-fiction a ressuscité et a ravi ses fidèles, qui ont pu se régaler - entre autres - des dernières réalisations de Takashi Miike et Mamoru Hosoda. 

Si nous avons déjà participé à quelques festivals de cinéma post-confinement, la bonne tenue d'un tel évènement n'augure que du bon pour les amateurs de curiosités filmiques, littéraires et ludiques. Car la Cité des Congrès de Nantes ressemble à un véritable vaisseau spatial (donc probablement à un sacré casse-tête d'organisation) et lorsqu'elle est entièrement dédiée à la science-fiction dans tous ses états, elle propose autant de séances de dédicaces que de conférences et de sessions de jeu de rôle. Petit retour sur la sélection cinématographique, comme toujours assez diversifiée.

 

photo, Nicolas CageIl est partout

 

Short Circuit

Particularité des Utopiales : les séances de courts-métrages sont souvent celles qui attirent le plus de monde. C'est compréhensible : chaque session propose son lot d'univers à explorer, d'idées à discuter et de technologies fantasmées. Et qu'importe si l'un des films est mal-aimable, il en reste une flopée. L'art du court-métrage de SF est subtil et complexe. La tentation de tout miser sur le high concept et de se la jouer satire technologique sans relief est grande. Ils sont plusieurs à être encore tombés dans le panneau. Mais globalement, la sélection fut fort rafraichissante.

D'abord parce que l'actualité a forcément altéré la production artistique, a fortiori dans le genre de l'anticipation, à plus forte raison encore dans l'industrie du court. Plusieurs films pandémiques se sont donc invités dans la sélection, dont le prix Canal+ de cette année, Zealandia, micro-poursuite frontalière au sujet assez osé (la gestion de la pandémie de la Nouvelle-Zélande a peu été critiquée par chez nous) et aux péripéties sympathiques, mais oubliables. Moins oubliables que le pourtant très rigolo Survivers, mais plus que la pastille d'animation satirico-complotisto-absurde La Increible vacuna del Dr. Dickinson

 

photoSur la plage, je recherche des sensations

 

Les festivaliers et le jury ont, quant à eux, récompensé The Following Year et Please Hold. Le premier aurait tout de la fausse bonne idée si son aspect tragique et sa fin amère ne parvenaient pas à toucher nos coeurs de pierre. Le second est l'exemple type du concept de science-fiction "qui dénonce", à savoir ici le système carcéral américain. La narration est efficace, le huis clos plutôt bien géré, mais ces 19 minutes ne brillent pas par leur subtilité.

Toutefois, comme souvent, c'est du côté de l'animation que les choses se sont jouées, et ici, que les claques se sont prises. Impossible de ne pas évoquer deux courts aussi impressionnants qu'expérimentaux. Opéra n'a pas besoin de plus de publicité puisqu'il est nommé aux Oscars, mais quelle proposition unique ! Ils sont rares les courts à exiger une expérience en salles. Et la réalisation de Erick Oh impose même un autre rapport au grand écran, qui se transforme en véritable tableau animé, montrant une civilisation prospérer et faillir dans des proportions proprement mystiques. Traquez la diffusion de cette pépite.

Au contraire, Swallow the Universe peut se regarder directement en ligne (il est disponible gratuitement sur Arte.fr), bien que l'écran de cinéma lui fasse honneur. Amoureux du grotesque japonais, voire de l'ero guro, ne loupez surtout pas ce voyage esthétique aussi non sensique que fascinant, qui déroule littéralement son univers grâce à un mélange savant de 3D et de 2D. Les spectateurs des Utopiales en sont sortis interloqués, parfois révoltés. Mais une chose est sûre : ils s'en souviendront.

 

photoÇa t'arracherait la tronche de le regarder ?

 

la victoire d'un avenir radieux

Pour ce qui est de la sélection de longs-métrages, certains gros morceaux étaient au programme. Nous avons déjà évoqué The Great Yokai War – Guardians, la dernière production japonaise mégafoutraque signée Takashi Miike, ainsi que la rencontre attendue entre Nicolas Cage et Sono Sion, le très décevant Prisoners of the Ghostland. Deux objets pas franchement désagréables, assez délirants pour faire passer un bon moment, mais finalement très anecdotiques, voire même assez insignifiants aux vues de leurs auteurs.

Était également à l'affiche Mondocane, qui avait fait sensation à Berlin et à Venise avant de se frayer un chemin jusque Nantes. Il ne faut pas se fier à son titre : il n'a pas grand-chose à voir avec les documentaires voyeuristes des années 1960. C'est plutôt un film criminel social aux allures pré-apocalyptiques. Une idée qui serait intéressante (et qui est d'ailleurs plutôt bien concrétisée narrativement), s'il n'était pas de ceux pour qui le futur est jaune pisse. Ainsi, l'angle futuriste est finalement l'épine dans son pied. Le comble, dans un festival axé autour de la science-fiction.

 

photo, Alessandro BorghiAvec un Alessandro Borghi impressionnant

 

De son côté, Belle n'a pas déçu, loin de là. Mamoru Hosoda poursuit les expérimentations de Summer Wars, un peu bancales à la fin de Miraï, ma petite sœur. Il alterne encore entre 2D attachante et un univers virtuel 3D qui en vient presque à toucher du doigt la folie visuelle de Paprika (coïncidence ou pas, Satoshi Kon était largement à l'honneur pendant cette édition), procédé plus pertinent que jamais puisqu'il traite ainsi des mondes numériques et des identités qu'ils nous permettent d'adopter, sans jamais - et là est la subtilité - fustiger trop durement la technologie.

Chez Hosoda, le virtuel peut permettre l'affirmation de soi, bien qu'il soit parfois investi par des personnalités peu scrupuleuses. Et l'idée d'utiliser une relecture très libre du mythe de la Belle et la Bête (sans la séquestration pour une fois) prend vite tout sens, d'autant que le réalisateur ne cède jamais à la facilité d'une narration particulièrement structurée. Ceux qui y cherchent une grande morale Disney devront se contenter de réfléchir un peu à ce qu'ils viennent de contempler, pas exempt de défauts (le dernier acte), mais d'une grande clairvoyance à propos des nouveaux usages. C'est très rare, et par définition de la belle science-fiction. Quelques jours à peine après le dévoilement du Meta de Mark Zuckerberg, la séance avait quelque chose de prophétique.

 

photoUn véritable festival

 

secrets du futur

Toutefois, cette année, le prix du public était plus discret. Beyond the infinite two minutes sort un peu de nulle part, et compte bien prendre d'assaut les festivals du monde entier, comme Ne Coupez pas ! avant lui. Il semble d'ailleurs fait de la même étoffe : un tournage amateur au téléphone portable, un (faux) plan-séquence en quasi-huis clos et un concept poussé dans ses derniers retranchements pour arracher un rire collectif à la salle... Tout y est. Et le résultat, s'il n'est jamais aussi drôle que son prédécesseur, fonctionne plutôt bien. Il ne lésine pas sur les paradoxes temporels savoureux et fait preuve d'un tel jusqu'au-boutisme que sa genèse a dû tenir du cauchemar logistique ultime. Rien que pour ça, chapeau.

Deux films d'animation moins célèbres ont également attiré notre attention. Nous avions déjà savouré The Spine of Night à L'Étrange festival et son univers de dark fantasy est toujours aussi agréable à parcourir. Si l'animation en rebutera certains, les références du film, évidentes, n'entachent pas une narration vouée à divertir en continu. De même que Poupelle ne convaincra pas tout le monde, la faute à une 3D omniprésente parfois un peu étrange, bien qu'il assume un univers steampunk extrêmement attachant, surtout quand il lorgne sur le jeu vidéo. Un parti pris esthétique bienvenue dans un film pour enfants.

 

photoUn duo qui fonctionne

 

Enfin, comme chaque année, la programmation documentaire a été à la hauteur. Outre Satoshi Kon, l'Illusionniste, traité dans nos colonnes, on pouvait découvrir Out of the Box, documentaire consacré à l'artiste Laurent Durieux, autrefois à l'honneur dans les allées du festival. Grâce à sa construction et à ses choix esthétiques, le film nous plonge dans le travail de l'affichiste et nous raconte son processus de création de la commande au produit fini, sans oublier de le laisser tergiverser sur sa carrière émaillée de rencontres prestigieuses.

Autre découverte : le très long (2h de documentaire, c'est peu commun) Spaceship Earth, récit ahurissant de l'histoire de Biosphère 2. L'expérience consistait à faire vivre une poignée de personnes en autarcie en plein désert, a priori pour simuler la colonisation et les voyages spatiaux. Ce fut un échec retentissant. Plutôt que de se moquer du sort des infortunés ou de chercher des coupables, le film préfère au contraire décrire chacune des particularités du fiasco, de l'idéal de ses créateurs à son traitement médiatique. Et il finit donc in fine par détailler les raisons de l'incompatibilité entre la science et l'utopie, entre l'étude empirique et le spectacle grand public, particulièrement d'actualité aujourd'hui.

Une oeuvre parfaite pour résumer un festival qui, s'il ne manque pas de traiter des rejetons les plus bêtes et méchants de la science-fiction, ne succombe jamais à la facilité.

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commentaires
MystereK
09/11/2021 à 17:06

Belle est un film magnifique qui a subjugué toute la famille. J'ai fais la surprise a mes filles de 12 ans qui sont restée bouche bée du début à la fin en réussissant à s'accrocher aux saut entre le monde réél et U. Vendu comme une comédie musicale, il n'y a que deux vrais numéros musicaux qui font pleinement partie de l'histoire. Une envolée de couleur et des personnages bien travaillé. Je conseille à fond.