Satoshi Kon, l'illusionniste : critique hommage au réalisateur de Paprika et Perfect Blue sur OCS

Déborah Lechner | 5 août 2021 - MAJ : 08/08/2021 20:01
Déborah Lechner | 5 août 2021 - MAJ : 08/08/2021 20:01

Comme on le disait déjà dans nos dossiers sur Millennium Actress (ici) et Tokyo Godfathers (), la mort prématurée de Satoshi Kon a privé le 7e art d'un génie créatif unique qui n'avait pas encore eu d'hommage à résonnance internationale. C'est pourquoi on attendait avec impatience le documentaire Satoshi Kon, l'illusionniste, commandé par des producteurs japonais à l'occasion des 10 ans de la mort du cinéaste japonais, écrit et réalisé par Pascal-Alex Vincent (Donne-moi la main). 

MILLENNIUM aRTIST

Satoshi Kon, l'illusionniste s'ouvre sur une scène de Paprika qui fait elle-même dans l'auto-citation, nous suggérant d'emblée que le documentaire de Pascal-Alex Vincent sera autant un hommage assumé au cinéaste japonais, qu'une étude de sa personnalité à travers son oeuvre. Pensé pour être accessible à un public moins familier de son art, le film décortique donc de façon chronologique et presque pédagogique ses travaux majeurs, de ses débuts de mangaka à son dernier projet inachevé, Dreaming Machine et sa promesse d'une nouvelle ère créative pour le maître, en passant par ses autres chefs-d'oeuvre : Perfect Blue, Millennium ActressTokyo Godfathers, Paranoïa Agent et Paprika, qui servent de chapitrage. 

 

photo, Satoshi KonSatoshi Kon

 

Après une introduction plus déconstruite et exaltée par la musique électronique de Théo Chapira, le récit se déroule donc de façon plus académique et posée, avec par moments des images figées sur fond noir et une voix-off sans fond sonore. De manière plus référencée, le montage de Clément Selitzki emprunte toutefois le style caractéristique du cinéaste en faisant coexister notre réalité et son univers fictionnel, avec de beaux plans d'habillage filmés au Japon et des extraits tirés de sa filmographie qui se relaient à l'écran grâce à d'habiles transitions. 

La mise en scène et certains plans jouent quant à eux sur la superposition des deux dimensions, reprenant ainsi une des principales inclinations de l'artiste présentée dans le documentaire. C'est donc en bonne et due forme que cet hommage s'attarde aussi sur l'influence qu'a eue Satoshi Kon sur d'autres noms reconnus du cinéma international. 

 

photoConfusion visuelle 

 

Ses productions à contre-courant ont en effet dépassé les limites de l'animation (ou plutôt prouvé qu'elle n'en a pas) en relevant plusieurs défis, à commencer par proposer des histoires aussi matures, profondes et labyrinthiques que certains chefs-d'œuvre en live action (le cinéma de David Lynch ou Dario Argento étant cité) ou d'adapter Paprika, le roman réputé inadaptable de l'écrivain Yasutaka Tsutsui. Ses films n'ayant eu ni le rayonnement ni les recettes des films d'Hayao Miyazaki ou des autres longs-métrages du studio Ghibli, le documentaire souhaite clairement lui apporter la reconnaissance de l'industrie dont il n'a jamais bénéficiée de son vivant.

En plus d'anciens collaborateurs et spécialistes de l'animation japonaise, le documentaire entremêle ainsi plusieurs interviews à des fins purement élogieuses. Le Japonais Mamoru Hosoda (La traversée du temps), les Français Jérémy Clapin (J'ai perdu mon corps) et Marc Caro (La Cité des enfants perdus), ainsi que les Américains Darren Aronofsky (Requiem for a Dream) et Rodney Rothman (Spider-Man : New Generation) sont donc invités en qualité d'admirateurs, ce qui n'en fait pas vraiment les intervenants les plus pertinents.

 

photo, Darren AronofskyDarren Aronofsky, qui nous rappelle le génie de Kon

 

L'ILLUSIONNISTE

Une filmographie aussi complexe que celle de Satoshi Kon ne pouvait refléter qu'une personnalité tout aussi complexe et tourmentée, contrairement à ce que laisse penser l'affiche qui le représente avec un visage apaisé. Le documentaire n'essaie pas de pénétrer cette dimension insaisissable de l'artiste, mais plutôt de mettre en lumière les paradoxes qui entouraient cet homme discret et timide, mais parfaitement conscient de son talent (ce qui le rendait radical, voire tyrannique, durant la conception de ses films, mais pas forcément imbu de sa personne). 

Les adjectifs pour le décrire se contredisent ainsi, certains de ses proches collaborateurs le qualifiant de personne “exécrable” ou “détestable”, quand d'autres le trouvaient à l'inverse “respectueux” et “bienveillant”, bien que tout le monde accorde son diapason pour reconnaître la puissance de son esprit et de la singularité de sa création. Même si le documentaire a dilué les critiques à son encontre, il complète son portrait du génie visionnaire et humaniste avec celui d'un artiste perfectionniste et solitaire, qu'on pouvait adorer, haïr ou un peu des deux. 

 

photo, Mamoru OshiiMamoru Oshii, autre grand nom du cinéma d'animation japonais

 

Les passages concernant Mamoru Oshii (Ghost in the Shell) et sa difficile collaboration avec lui sur le titre Seraphim auraient ainsi mérité d'être un peu plus approfondis, tout comme sa brouille avec Katsuhiro Ōtomo (Akira), qui a eu une influence décisive sur lui, mais n'a pas souhaité participer au documentaire par rancoeur (tout comme le compositeur Susumu Hirasawa). Avec seulement 1h22 au compteur, il est aussi dommage que le documentaire ait dû écourter les problématiques liées à l'industrie et aux conditions de travail de ses employés, principalement amenées par l'animatrice Aya Suzuki (dont les interventions font partie des plus pertinentes), surtout quand ces questions restent d'actualité dans le milieu concerné.

Le sujet d'étude étant très dense, plusieurs points sont à peine abordés ou carrément passés sous silence, par exemple son scénario sur le segment Magnetic Rose de Memories, auquel a participé Katsuhiro Otomo ou le fait qu'il existe une version montée et animée de 26 minutes de Dreaming Machine, inexploitable en raison d'une querelle juridique. On peut malgré tout saluer le très bon travail de l'équipe, qui a évidemment été compliqué par la pandémie et le tournage qui nécessitait de poser les caméras dans différents pays.

Après sa présentation à Cannes dans la sélection Cannes Classics, Satoshi Kon, l'illusionniste est disponible sur OCS depuis le 4 août 2021. Le documentaire est également distribué dans quelques salles par Carlotta Films.

  

Affiche officielle

Résumé

À défaut d'être une analyse pointue des travaux de Satoshi Kon ou une biographie très complète de sa vie, le documentaire de Pascal-Alex Vincent est une bonne approche de son oeuvre et de sa personnalité, qui lui donne la visibilité qu'il a toujours méritée auprès d'un public moins initié sans tomber dans l'hagiographie.

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commentaires
JR
05/08/2021 à 20:33

(on parle plus de plans de coupe, ou d'illustration. L'habillage c'est les génériques, incrustation texte, infog etc)

l'indien zarbi
05/08/2021 à 14:49

Paprika, quel film.
Un artiste a l'œuvre incroyable.

ttopaloff
05/08/2021 à 12:12

Perfect blue, ce chef d'oeuvre indémodable

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