Festival Même Pas Peur - Jour 4 : cari, sadomasochisme et tampon usagé

Christophe Foltzer | 24 février 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 24 février 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Il est dit que même les meilleures choses ont une fin. Surtout en elles, serait-on tentés de rajouter. Un adage malheureusement on ne peut plus d'actualité alors que le Festival Même Pas Peur s'achève déjà. Bientôt la métropole, bientôt le stress et la grisaille. Raison de plus pour s'offrir un dernier petit rayon de soleil.

Le temps est relatif et il peut, parfois, nous arriver d'avoir l'impression de vivre plusieurs existences dans un moment très court. Un sentiment qui ne nous a pas quitté ces quatre derniers jours, tant la 9ème édition du Festival Même Pas Peur, qui s'est déroulé à Saint-Philippe, au cinéma Henri Madoré, à la Réunion, nous a balancé d'un univers à l'autre sans crier gare. Une expérience de vie riche et complexe, qu'il nous faudra un peu de temps pour digérer mais qui ne pouvait se terminer autrement qu'en apothéose.

 

photo Trail of LightTrail of light

 

Pour sa dernière journée, la programmation avait mis le paquet en nous proposant un grand nombre de courts-métrages, dont une sélection de films d'animation. Nous retiendrons particulièrement le magnifique Trail of Light, court réunionnais de Baptiste Jacquemet, Lucas Tebib, Yahnis Ventura et Fiona Villate. Une expérience sensorielle assez incroyable en ce qu'elle met en relation le micro et le macro dans un ballet parfaitement exécuté qui en appelle à la fois aux Indiens d'Amérique, aux loups et au Big Bang. Un projet de fin d'étude dont la qualité très solide promet un bel avenir à ses jeunes artisans.

Quand on parle de courts-métrages au festival Même Pas Peur, on comprend vite que l'on parle avant tout de bizarre, d'étrange et que chaque film est l'occasion de tester ses limites. Et c'était d'autant plus vrai lors de cette dernière journée, tant la sélection nous a offert des visions cauchemardesques on ne peut plus troublantes et envoûtantes. CItons par exemple le très drôle Serving Joy de Martin Sharpe, où un diner entre voisins guindés se transforme rapidement en comédie acide que n'aurait pas refusé John Waters dans sa période Serial mother. Ou comment le vernis des apparences craque sous la pression sociale, surtout quand un mec habillé en cuir est attaché dans la cave de la maison. Un moment très drôle et inventif, parfaitement rythmé et interprété.

 

photo Serving JoyServing Joy

 

Voyager de Kjersti Helen Rasmussen, quant à lui, se la joue variation sur un thème imposé. Avec son histoire de sonde Voyager qui attire des aliens étranges dans une station de communication perdue dans la neige, on pense évidemment à The Thing de John Carpenter, dont l'influence est heureusement assumée. Si le film ne parvient pas forcément à atteindre son but en termes de scénario ou de personnages, étant peut-être un peu trop ambitieux pour ses 8 petites minutes, il convainc cependant par une mise en scène très solide, des effets spéciaux qui tiennent très bien la route et surtout une ambiance crépusculaire et désolée tout à fait réussie. Même si on aurait aimé qu'il s'affranchisse plus de son influence pour trouver sa propre identité.

 

photo VoyagerVoyager

 

Et puis, il y a Entropia, de Marinah Janello, le type-même du film fou qui a sa place dans la programmation du festival. Tourné dans ce qui nous semble être un 16mm bien désaturé, en 4/3, il perturbe autant qu'il passionne par son parti-pris audacieux et son exécution on ne peut plus radicale. Il y est question d'une vieille femme, entourée d'animaux empaillés, qui souhaite retrouver la jeunesse par un rituel mystique. Si l'on ne vous révèlera rien sur le rituel en question, précisons que le film ne fait pas de cadeau à son spectateur, ne lui cachant rien, jusqu'au malaise, tout en ne se dépareillant jamais d'un certain humour à froid qui renforce l'absurdité de la situation. Doté d'une interprétation phénoménale, bourré d'idées géniales et extrêmes, parfaitement maitrisé sur la forme comme sur le fond, Entropia est un petit bijou purulent qu'on vous conseille absolument.

 

photo EntropiaEntropia

 

Nous abordons à présent la partie la plus délicate de ce compte-rendu en cela qu'il implique directement l'auteur de ces lignes. Aussi, pour le traiter de la meilleure manière, nous allons braver le temps d'un instant, un interdit rédactionnel en passant à la première personne. Lorsque nous préparions, avec Aurélia Mengin, ma venue au Festival, elle m'avait proposé de présenter Fornacis, son premier long-métrage autoproduit, et actuellement sans distributeur en dépit de ses nombreuses sélections dans des festivals étrangers, que j'avais eu la chance de découvrir il y a quelques mois et qui m'avait envoûté, pour rester poli. Un immense honneur tout autant qu'une énorme responsabilité dans la mesure où je devais le présenter sur ses terres, à la Réunion, là où elle a grandi, là où elle se bat depuis 9 ans pour que les spectateurs de l'île puissent découvrir un cinéma différent auquel ils n'ont pas forcément accès.

 

photo Fornacis

 

Difficile de déterminer qui, d'elle ou de moi, était le plus stressé face à ce rendez-vous qui planait sur le festival entier. Impossible de se foirer, impossible de ne pas être à la hauteur de la responsabilité qu'elle m'avait confiée, sans parler de la confiance qui était en jeu. Sans surprise, tout s'est très bien passé. Pas particulièrement parce que j'ai assuré sur scène, ou que je maitrisais parfaitement l'exercice de la présentation (ce serait même plutôt le contraire) mais bel et bien parce que le festival, durant ses trois premiers jours, avait créé toutes les conditions pour que ce moment capital de son existence se passe de la meilleure façon possible. La présentation, tout comme la projection et la discussion avec le public qui a suivi, a constitué l'un des moments les plus forts et les plus intenses du séjour, preuve de l'exceptionnelle qualité de la manifestation, de l'intérêt réel du public pour un cinéma différent des productions classiques et sans âme, preuve aussi et surtout que la passion et la détermination sont des moteurs ultrapuissants et fédérateurs qui permettent de déplacer des montagnes, même et surtout s'il s'agit d'un volcan en éruption qui fascine autant qu'il inquiète. Ce fut personnellement le moment le plus fort du festival et je ne saurai remercier suffisamment Aurélia et son équipe pour l'honneur et la confiance qu'ils m'ont accordé.

 

photo Fornacis

 

Pour se remettre de ces émotions intenses, il fallait un dernier coup d'éclat, histoire de partir sur une note de musique punk à l'image de l'événement. Ce fut donc le How to Talk to Girls at Parties de John Cameron Mitchell qui a eu l'insigne honneur de conclure cette 9ème édition d'un festival qui, plus que jamais, n'a pas à rougir face aux autres, a tout à fait sa place dans le paysage cinématographique mondial et, à notre avis, devrait même être l'un des rendez-vous importants de chaque année. Difficile encore aujourd'hui de croire que c'est sur une petite île au milieu de l'Océan Indien, dans un décor paradisiaque, que le cinéma fantastique, de genre, le cinéma de l'étrange, celui qui pose de vraies questions tout en s'interdisant d'imposer des réponses toutes faites, acquiert ses lettres de noblesse, se célèbre et vit comme il devrait le faire tous les jours. Et c'est pourtant bien ce qui s'est passé.

 

Photo Nicole Kidman

 

Mais arrive déjà le temps du départ, du retour en métropole, de la grisaille dans les coeurs, des métros bondés et du rythme stressant. On ne saurait que trop remercier Aurélia Mengin, Nicolas Luquet et toutes leurs équipes pour la très grande qualité de la manifestation, le maire de Saint-Philippe, Olivier Rivière et ses équipes, pour leur accueil incroyable, les autres invités Vincent Malausa des Cahiers du Cinéma, Daniel Chabannes, patron d'Epicentre Films et Laurent Duroche de Mad Movies pour leur complicité et leur bonne humeur. Et bien entendu, un grand merci à tous les habitants de Saint-Philippe et du sud sauvage pour leur gentillesse, leur disponibilité, leur accueil et leur rhum arrangé. Gageons qu'en ce qui nous concerne, la période qui nous sépare de la prochaine édition ne soit qu'une parenthèse désenchantée qui n'aura finalement que peu d'impact et d'importance. Parce que l'essentiel se trouve bien à 10.000 kilomètres de chez soi. Si loin, si proche comme disait l'autre.

 

photo Même pas peur

 

 

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commentaires
#merciaurelia
24/02/2019 à 21:15

Merci Aurelia

CLL97430
24/02/2019 à 09:59

Merci à Christophe de nous éclairer de ses yeux de journaliste et de sublimer l’espece d’envoûtement ressenti parfois de façon diffuse. On aime, on est pris dans l’ambiance du film , on est secoués, on ne sait pas ce que l’on ressent, c’est confus, on frémit , on est fasciné et quand on lit l’article, on sait alors ce qu’on a vécu. Merci Christophe pour ces moments partagés et cette passion partagée. À bientôt j’espère.
Amitiés. Claire