Passion : Interview Brian De Palma

La Rédaction | 12 février 2013
La Rédaction | 12 février 2013

Les rapports difficiles qu'entretient Brian De Palma avec la presse, ne datent pas d'hier. Le cinéaste est connu pour être méfiant et ne se livre que très rarement. Notre correspondant, Martin Samper, peut nous le confirmer, lui qui a rencontré le réalisateur au dernier festival de Venise, en septembre 2012. Venu parler à un petit groupe de journalistes de Passion, retour à un genre, le thriller, qui fit sa légende, le cinéaste était en mode minimaliste. En résulte une interview concise où chaque mot compte, et peut être encore plus ceux qui ne sont pas prononcés.

 

 

Qu'est-ce qui vous a intéressé dans le film d'Alain Corneau, Crime d'amour, que vous avez adapté ?

Les personnages, l'histoire entre ces deux femmes est incroyable et le mystère aussi. Je pensais aussi que je pouvais faire mieux.

Vous transformez l'un des personnages en femme. Pourquoi ?

Parce que c'est un film sur les femmes  pour les femmes !

Qu'entendez-vous par « C'est un film POUR les femmes » ?

C'est un film dans un monde de femmes, de relations entre femmes. J'étais intéressé par la réaction des femmes. 

Vous utilisez de nouveau beaucoup d'astuces visuelles ou thèmes que vous avez exploités par le passé. Comme le split screen, le double, la douche. Pourquoi ?

Je ne crois pas que faire travailler un acteur sous la douche soit forcement ma signature. C'est juste que les acteurs aiment bien être propres. Ils sont très bien sous l'eau, que voulez-vous que je vous dise ?

 

 

C'est un film où vous jouez avec les codes du cinéma. C'était votre intention ?

Bien sûr, j'adore. C'est au spectateur de connaître les codes du thriller et moi je dois jouer avec lui.

Le film a un aspect un peu rétro. Pourquoi ?

Rétro ? Et bien, je suis Brian de Palma, je vois les films d'une certaine façon. Je veux montrer les choses pour que les gens voient que c'est un film de De Palma ! Tout simplement parce que je suis LUI.

Pourquoi faire appel à José Luis Alcaine, le chef opérateur d'Almodóvar ?

Parce que j'ai vu pas mal de films de Pedro et il filme magnifiquement les femmes ! Et comme je vous ai déjà dit, c'est un film sur les femmes... Beaucoup de chefs opérateurs filment de la même façon les hommes que les femmes. Filmer une femme doit être particulier, je trouve qu'on a perdu la beauté au cinéma et dès que j'ai la possibilité de le faire, je le fais !

Comment s'est passé le tournage en Allemagne ?

Je suis très content d'avoir travaillé là-bas, avec une grande partie de financement allemand. Nous avions commencé à chercher à Londres et finalement nous avons trouvé mieux à Berlin, notamment pour les extérieurs.

 

 

 

Pourquoi avoir choisi Noomi Rapace ? Qu'aviez-vous vu d'elle auparavant ?

J'ai vu tous ses films, même certains de ses films suédois inconnus. Les deux actrices jouent de façon complètement différente par rapport à l'original, même si plusieurs dialogues sont presque les mêmes. 

Vous utilisez la confusion rêve/réalité. Pourquoi ?

Beaucoup de films fonctionnent là-dessus. Où s'arrête la réalité  et où commence le rêve ? Certaines scènes sont tournées et montées de telle façon qu'on ne sait pas tout de suite si c'est un rêve ou la réalité.

De quelle manière avez-vous utilisé l'érotisme ?

Les actrices n'avaient pas peur d'être  déshabillées.  Je pensais que c'était le mieux. Encore une fois, je me répète, mais je considère que c'est un film sur les femmes pour les femmes. Par exemple, l'utilisation et l'importance des chaussures. Pour les femmes, c'est très important. C'est vraiment une obsession pour la plupart. Pour la scène où ils font l'amour, j'ai donné la caméra aux acteurs et je leur ai dit : « Faites l'amour et tournez vous-mêmes » ! Nous avons fermé les portes et nous pouvions seulement les entendre. 

 

 

Le film original se passait dans le milieu de la nourriture. Le votre dans le monde de la communication et la publicité. Pourquoi changer ?

J'ai pensé que c'était plus intéressant et plus actuel. Quand vous marchez dans la rue, tout le monde regarde son portable. C'est incroyable ! La présence incessante de publicité et de communication autour de nous est une des choses qui a le plus changé en dix ans.

Que pensez-vous de l'héritage que vous allez laisser ?

Je ne réponds jamais à ce genre de questions. Tous les metteurs en scène ont des choses récurrentes dans leur filmographie, c'est parce que c'est ce que nous sommes. Consciemment ou non, nous sommes nos films. C'est ce qui nous intéresse.

Ça vous fait plaisir si on vous dit que ce film est une oeuvre typique de Brian de Palma ?

J'ai travaillé sur beaucoup de genres différents. Ce sont les journalistes et les critiques qui les regroupent. Je n'essaye pas à chaque nouveau projet de faire un film « typique » de De Palma. Quelle part de De Palma il y a dans Mission : Impossible, dans Les Incorruptibles ? Il n'y a pas des jumeaux dans tous mes films... 

 

 

D'où vient l'idée de la scène du ballet ?

D'abord parce que j'adore ce ballet ! [spoiler] Ensuite parce que ce qui fait marcher le film, c'est que le spectateur est sûr que Noomi est présente au ballet. Et vous ne soupçonnez rien. C'est pour ça que la fin marche si bien.

Quelle était l'idée pour la musique et votre collaboration avec Pino Donaggio ?

J'avais des idées très spécifiques sur certaines parties du film.  On a beaucoup parlé avec Pino. Il a écrit des musiques impressionnantes pour moi et je lui fais aussi beaucoup confiance.

Lors des dernières années, vous avez fait plus de films en Europe. Pourquoi ?

Parce qu'en Europe, la variété de décors extérieurs est hallucinante.

Avez-vous plus de mal à financer vos films à cause de la crise ?

Non, ça a toujours été difficile. C'est ça, le business du cinéma, c'est un risque. Si vous voulez que votre argent soit sain et sauf, ne faites pas du cinéma. Il y a beaucoup d'argent en jeu et ce n'est pas nouveau.

En dehors du financement, qu'est-ce qui est le plus difficile dans le fait de faire des films ?

Oh, vous savez, avec mon âge aujourd'hui, un jour où on se lève avec le soleil qui brille est déjà un bon jour. On est heureux d'être encore en vie. Et aussi d'avoir la force physique de pouvoir encore travailler et tourner. 

 

 

Vous avez alterné des films avec de gros et petits budgets...

Quand je regarde ma carrière en arrière, je suis assez content. J'ai fait toute sorte de films, certains plus commerciaux, d'autres plus indépendants. J'ai travaillé à Hollywood, j'ai tourné des films qui ont été des gros succès. J'ai fait des films avec des budgets énormes, comme Mission : Impossible. Le problème de l'argent, c'est que cela implique beaucoup de réunions pour se justifier. 

Vous aimeriez faire des films où vous vous sentez plus libre ?

Oui, c'est vrai. Plus il y a d'argent en jeu, plus il faut donner des explications à plein de gens. Il y a tellement de réunions avec les financiers... A chaque fois, les gens essayent de rabaisser les budgets, mais faire un film coûte cher. A chaque fois, on me dit « vous devriez le faire pour moins cher » mais la plupart du temps, ce n'est pas possible. J'aimerais pouvoir financer mes propres films, comme le fait parfois Steven Soderbergh.

Vous avez fait beaucoup de remakes dans votre carrière. Pourquoi raconter de nouveau les mêmes histoires ?

Pourquoi continue t-on à faire des adaptations de Shakespeare alors ? Quand un scénario a une structure intéressante, pourquoi ne pas l'utiliser ? En plus, les époques changent. Donc, ce n'est jamais le même film.  Mais je vous rappelle encore une fois que j'ai aussi fait plein de films originaux.

Regardez-vous aussi beaucoup de films pour votre plaisir ?

J'aimerais en voir plus et être comme vous les journalistes à voir des films dans les festivals. Bien sûr que ça m'intéresse, j'aime savoir ce qui se fait, comme vous d'ailleurs. J'aimerais bien aussi aller dans des festivals européens pour voir des films qui ne sont pas distribués aux Etats-Unis. 

Que pensez-vous du remake de Carrie ?

J'aime beaucoup ce qu'a fait Kimberly Peirce auparavant. Je l'avais rencontré quand Boys don't cry était sorti. Quand ils lui ont proposé l'adaptation, elle m'a appelé, on a parlé de l'adaptation, du casting. Je suis confiant du résultat qui sera, sans doute, très différent de mon film.

 

Propos recueillis par Martin Samper

 

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