John Cameron Mitchell (Shortbus)

Vincent Julé | 6 novembre 2006
Vincent Julé | 6 novembre 2006

Il vaut toujours mieux garder la tête froide avant une interview, histoire de ne pas céder au stress ou de se mettre tout seul la pression. Mais même après avoir écumé les bars et hôtels parisiens, deauvillois ou cannois, pour recueillir la bonne parole des faiseurs, confidentiels ou starifiés, du 7ème art, il y en a toujours un pour tout remettre en cause. Même si c'est le plus sage, le plus gentil, le plus généreux, le plus fatigué aussi. C'est donc les mains moites, la boule dans la gorge et un pincement au cœur, que nous sommes allés partager notre amour de Shortbus avec son réalisateur John Cameron Mitchell. Et s'il nous était difficile de trouver les mots, lui par contre…

Après les auditions via Internet, des petites annonces dans les journaux ou simplement des connaissances, je crois que vous aviez plus de 40 personnes en tout ?
40 personnes pour le callback. Et neuf définitifs.

J'imagine que certaines personnes ont quitté l'aventure. Pourquoi ?
Oui, certains sont partis, à mon avis, parce qu'ils n'avaient jamais travaillé en groupe. Ce sont des artistes dans la vie, et ils n'arrivaient pas toujours à faire la distinction entre eux-mêmes et les personnages. Ils prenaient des parties d'eux-mêmes et les exagéraient pour le rôle, mais n'arrivaient pas à être le personnage. Vous savez, il faut avoir de l'objectivité quand on joue un rôle. De plus, certains n'avaient jamais joué avant, et voulaient pouvoir continuer à travailler sur leurs projets propres. Au final, c'est mieux comme ça. J'ai aussi du retirer certains personnages de l'histoire, parce que ça devenait trop long.


Paul Dawson, PJ DeBoy et vous êtes des amis proches depuis 10 ans.
Je les ai connus à New York alors qu'ils étaient dans des relations séparés. Pas très longtemps avant les auditions, ils se sont mis ensemble. Et je me suis dit : « hum… intéressant… », parce que je les connaissais et je savais qu'ils étaient de bons acteurs. Je pensais que cela pouvait être très bien pour le film. Mais ils ont quand même fait les auditions, parce que c'était important pour moi de voir tout le monde. De voir ce qu'on avait.

Comment fonctionnait le « workshop » ? Tous les jours ? Toutes les semaines ?
C'était un peu chaotique pendant deux ans et demi. Le premier a duré cinq semaines, tous les jours, avec peut-être un jour de congé. On a fait des improvisations, du sport et regarder des films. Tous ensemble. Manger, boire et faire la fête. Ensuite, j'ai travaillé sur le scénario et on s'est retrouvé cinq ou six mois plus tard. Mais ce n'était jamais ensemble, puisqu'ils ne pouvaient pas venir tous au même moment. C'est devenu très irrégulier après ça.

La première fois que j'ai entendu parler du « workshop », dans mon esprit c'était toute l'équipe, tout le temps, jour et nuit.
Seulement la première fois. Et puis ce n'était jamais nuit et jour. On rentrait tous chez nous pour dormir.


Et c'était vous, les acteurs et une caméra à la main ?
Il y avait bien quelqu'un avec une caméra, à peu près tous les jours. Par contre, on n'a pas fait beaucoup de photos de tournage. Pendant les répétitions des scènes sexuelles, on coupait tout, parce que ça rendait les gens nerveux.

À propos de la représentation du sexe, le film est la preuve que la sexualité peut être montrée de façon positive au cinéma. Mais un ami s'est judicieusement demandé : pourquoi ne montre t-il pas une sodomie ?
On ne peut pas tout montrer. En fait, on en montre, c'est juste qu'on ne zoome pas dessus. Par exemple, ça arrive à la fin pour James. J'ai volontairement voulu rendre le sexe moins exposé sur la fin du film. Et puis, il n'y a pas de teasing dans le film. On n'allume personne. J'avais envie que le sexe devienne au fur et à mesure plus relax, car on passe par tellement de choses avant, surtout dans les premières scènes. C'est comme quand on couche avec quelqu'un pour la première fois, c'est un peu comme un choc. Et la seconde fois, c'est autre chose. On peut aimer plus ou s'ennuyer un peu. J'ai aussi volontairement voulu que le sexe homosexuel arrive après, parce que je sais que certains hommes hétéros sont un peu nerveux avec ça. Je sais qu'ils ont des problèmes et qu'ils pensent : « Je suis ce que je vois » (« I am what I watch »). Ce que les femmes font beaucoup moins. Elles pensent plus : « Je suis ce que tu vois » (« I am what you watch »). Parfois, pour une femme, être vu est une forme de pouvoir. Alors que les hommes pensent plus : si je regarde des gays faire l'amour, je suis sûrement gay.


C'est pour cela qu'il a beaucoup d'humour dans les scènes gay ?
Il y a de l'humour dans beaucoup de scènes. Pas seulement dans les scènes gay. Dans la scène du début avec Sofia, le sexe est un peu ridicule.

Pour dédramatiser le sexe auprès du public ?
Oui, il y a beaucoup d'humour dans la première partie du film. Après la tentative de suicide, les personnages vont droit au but, ils ont passé le point de non-retour. C'est aussi à ce moment que le sexe disparaît. A ce moment que les visages prennent toute leur importance. Comme juste avant le black-out final. Avant, la caméra vient de plus loin, observe et se promène dans la pièce. À la fin, vous êtes avec les personnages. Après les projections, les spectateurs disent souvent qu'ils ont oublié le sexe. C'est exactement ce que je voulais obtenir. Comme à la fin d'une relation. Le sexe est la dernière chose à laquelle on pense à la fin d'une relation intense et profonde… peut-être pas la dernière mais pas la première non plus. Je voulais donc que le film soit comme une relation, et non comme une « one night stand ». Ce n'est pas sur le sexe, mais plutôt sur de quoi le sexe est fait. Et le sexe, c'est des connexions, c'est sentir quelqu'un avec son corps, c'est un langage.

Comme la musique ?
Exactement.


Saviez vous que le film a failli être interdit aux moins de 18 ans en France ?
J'ai été surpris en arrivant ici d'apprendre que ce soit juste interdit aux moins de 16 ans. Parce que ça ne se passe pas comme ça ailleurs. Le film est interdit partout aux moins de 18 ans.

À l'avant-première parisienne, un spectateur a pris la parole après le film pour vous dire qu'il vous aimait, que vous représentiez tellement pour lui. Après seulement deux films, c'est une réaction fascinante. Comment l'expliquez-vous, cette connexion entre vous et le public, une partie du moins ?
Je ne sais pas. Je pense que c'est parce que je fais des films à mon âge (43 ans). Les jeunes réalisateurs qui sortent des écoles sont vraiment excités par la technique, mais ils ne savent pas encore ce qu'ils aiment. Ils ne savent pas quoi dire. Il y a de l'enthousiasme, de l'excitation et de l'innovation... Parfois, il y a ainsi plus de forme que de contenu. J'étais un acteur et un écrivain pendant des années avant de faire des films, et c'est intéressant parce que je ne savais rien à propos de la technique mais je savais quels films j'aimais. Donc, j'ai questionné des connaisseurs, des professionnels à propos de ces films. Comment ils ont fait ça ? Comment ils ont travaillé ? Avec les acteurs ? J'ai fait un tas de recherches avant de réaliser mon premier film. Une différence notable donc par rapport aux jeunes. Car on devient vite une sorte de geek lorsqu'on veut tout savoir sur la technique et la caméra. Moi, je n'en connais pas vraiment un rayon. Je vais voir le directeur de la photo ou le chef opérateur, leur dit ce que j'aime et leur laisse le champ libre. Je laisse aussi leur liberté aux acteurs. Ma devise est : essayez de me surprendre, pouvez-vous me surprendre. Je ne pourrais jamais tout faire tout seul, c'est trop de travail. Et c'est peut-être quelque chose qu'on apprend quand on est un peu plus vieux… comme moi.


C'est une question, et une leçon, de confiance…
Il faut surtout apprendre qu'un film, ce n'est pas toute la vie ! Si quelque chose ne va pas, il faut se dire que c'est seulement un film. Pour la nouvelle génération de réalisateurs, c'est une question de vie ou de mort. Aussi parce qu'il y a beaucoup de pression. Pourtant, il faut se laisser un champ d'expérimentation, d'essai avec la caméra ou avec les acteurs. Car même si on veut que tout soit parfait, on ne sait jamais ce qui marche vraiment.

Un autre ami a résumé Shortbus en ces quelques mots : « c'est juste une poignée de gens qui veulent revenir dans les années 70 ». Qu'en pensez vous ?
Est-ce que cette personne se souvient des années 70 ? Quel âge a-t-elle ? Parce que j'ai vécu les années 70, du moins quand j'étais au lycée. Mais je n'avais pas encore expérimenté tout ce… C'est seulement dans les années 80 que j'ai découvert tout ce truc. Toute cette musique, ces endroits, ces gens... Et cette personne aussi sûrement. Ces gens que je montre dans mon film, ces acteurs, performers, artistes… Je vis avec eux tous les jours. Je montre donc un peu comment je vis au quotidien. Et je suis heureux comme ça.

Que pensez-vous du travail sur la sexualité de réalisateurs comme Larry Clark ou Michael Winterbottom ?
C'est très intéressant. J'admire ces réalisateurs Mais il me semble qu'ils rapprochent toujours le sexe à quelque chose de négatif, des viols, des drames… Cela ressemble-t-il à ce qu'ils vivent dans la vie ? Je n'espère pas. C'est plus complexe que ça. Et j'aime voir le bon coté des choses. Même si mes personnages ont des problèmes, parfois profonds, ils ont toujours l'espoir de trouver une solution. Ils cherchent à rester connecté, ils cherchent une vie plus équilibrée. C'est le genre de personne avec qui je veux être. J'ai assez expérimenté de drames et de tristesse. Dans ma vie, j'ai eu des addictions en tous genres. Et j'admets qu'elles sont une partie intégrante de la vie, mais pas toute la vie. Je ne suis pas intéressé par un film sur les addictions. J'ai vécu cette expérience et maintenant je suis clean.


De nombreux réalisateurs font des films sur des choses qu'ils ne comprennent pas entièrement. Peut-être essaient-ils aussi de faire un travail sur eux-mêmes. Sur leurs sentiments compliqués vis-à-vis du sexe, de l'amour et de la mort. Et j'admire ça… s‘ils le font avec imagination et honnêteté. Mais pour certains d'entre eux, peut-être que leur traitement du sexe est aussi le signe qu'ils se sentent déjà coupable de l'explorer. Je ne sais pas. Je suis sûr que Catherine Breillat a eu un tas de drames personnels dans sa vie. Et ce qu'elle fait est très dur. Je crois qu'elle honnête. Je pense que À ma sœur ! est un film incroyable, étonnant. Une sorte de film parfait. C'est tellement profond… et j'admire les gens qui se débattent avec des sentiments aussi profonds. Parce que sur le sexe, certains ne restent qu'à la surface des choses.

Votre prochain film sera un film pour enfants.
On verra, parce que nous n'avons pas encore de financements.

C'est à propos de contes de fée, n‘est-ce pas ?
Ce sera sur l'absence de contes, ou plus précisément les « bedtime stories ». Il y aura des enfants et des adultes, et une bonne moitié du métrage sera en animation. C'est assez cher et je ne sais pas encore où trouver l'argent pour le faire.

Avez-vous d'autres projets ?
Oui, j'ai un autre scénario. C'est un film qui devrait s'appeler Oskur Fishman. C‘est aussi une sorte de conte de fée, mais pour les adultes cette fois, un peu comme Edward aux mains d'argent. Et cela devrait être plus facile à financer.

Vous êtes très attaché à New York, mais que pensez-vous de Paris ?
J'aime Paris, bien que je ne connaisse pas très bien. Je suis venu une fois par an pendant un moment, quand j'étais petit, parce que mes parents vivaient en Allemagne. Et puis j'ai dû venir lorsque j'étais au lycée. Mais malheureusement, je ne connais vraiment pas très bien, je ne connais pas beaucoup de monde non plus ici.

Propos recueillis par Vincent Julé et Lucile Bellan.
Merci à Lucile pour la retranscription et la traduction.
Autoportrait par John Cameron Mitchell.

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