Kim Chapiron (Sheitan)

Vincent Julé | 30 août 2007
Vincent Julé | 30 août 2007

À l'origine, cette rencontre devait être un peu plus sportive. Saignante même. Laurent et Didier se délectaient déjà de me voir capituler sous les coups d'un Kim Chapiron, aidé pour l'occasion par Vincent Cassel. Il faut dire qu'en plus d'avoir commis une critique incendiaire de Sheitan, je m'étais tiré une jolie balle dans le pied en faisant de Kim, le petit-fils de Picasso. Apprentis journaleux, vous voilà prévenus, ne jamais prendre une information du Net pour acquise, entrecoupez-la de deux ou trois autres sources, au risque de perdre toute crédibilité et de voir cette boulette utilisée comme une arme redoutable. Toujours est-il que le bras de fer verbal tant attendu, et voulu par certains, s'est transformé en grosse discussion, où tous les points de vue sont exposés. À vous, maintenant, de vous faire le vôtre.

 

Je n'ai pas aimé le film pour plusieurs raisons, mais entre autres pour l'image de la femme qu'il renvoie. J'ai moins été gêné par le coup de la caméra à hauteur de la culotte de Roxanne Mesquida ou la branlette de chien que par des choses plus insidieuses comme le rêve de Bart ou encore le fait que les filles se laissent faire ou bien refusent une première fois pour mieux accepter la seconde d'après. C'est d'autant plus douteux que que le site Internet de Kourtrajmé affiche en toute impunité une section estampillée « La Cave », avec toute la triste symbolique que l'endroit porte. Qu'est-ce que tu en penses ?
Mais, c'est malheureusement vrai ! C'est la réalité ! Et j'avais pas envie de faire un film sur les Bisounours. La femme est bien évidemment traitée depuis la nuit des temps de manière assez salace et les enfants pareils. Je suis né dans une famille de femmes, et ce sont elles qui ont le pouvoir. De ma grand-mère qui était une leadeuse politique pendant la guerre du Vietnam à ma mère qui contrôlait toute ma famille. J'ai aussi deux sœurs, une cinquantaine de cousines…


Tu prends ta revanche ?
Non pas du tout. J'ai moi-même énormément de féminité en moi. C'est peut-être pour cela aussi que je sens toutes ces tensions autour de la femme. Je comprends cette vision de la femme, tout simplement parce que je la sacralise complètement. Mon film est ainsi un instantané, c'est un cliché que j'ai pris d'une réalité. Et je n'ai pas eu du tout envie de peindre un portrait idyllique de la femme.

 

Ce n'est pas ça que je veux dire. Le problème est que tu n'installes même pas un début de distanciation. Et je pense qu'au final, il y a un vrai danger, presque une irresponsabilité. Car le comportement des garçons a beau être une réalité, il est élevé ici au rang de fantasme.
Le comportement des garçons est bien plus sympa dans Sheitan que dans la réalité.

 

Oui, mais en ce concerne les femmes et leur représentation, il y a comme un problème. Nous sommes au cinéma, et ton film est un spectacle.
Non ! Le divertissement, chacun le prend comme il veut. Je suis super content que tu aies une réaction aussi sincère et aussi poussée. Parce que mon film, il a été fait pour se battre contre la pire des réactions, qui est l'indifférence. Moi, les trois quarts des films que je mate, je les ai oubliés en sortant de la salle de cinéma. Tu n'as même pas aimé ou pas, tu n'as juste… rien. Sheitan a été fait pour que les gens ne soient pas « rien ».


Oui, mais lorsque sur le site de Kourtrajmé, on retrouve les courts un peu trash, un peu cul, en cliquant sur « La Cave », on peut commencer à se poser des questions. Tu présentes Sheitan ou Kourtrajmé comme un instantané, mais après dix ans, ce n'est plus un instantané, c'est de la complaisance. Je suis d'accord qu'il s'agit d'une réalité, mais à force, tu sais que ces comportements sont élevés au rang de modèle, même inconsciemment.
Tu as entièrement raison, mais le truc, c'est que chaque moment de ta vie, chaque moment de ta carrière correspond à un état d'esprit, tu vois. Sheitan m'a appris énormément de choses, ça m'a déjà permis de faire presque un tour du monde, 34 pays. Je suis allé en Russie, où le film a été un succès incroyable. Au Japon, en Grèce, au Maroc, là je pars en Australie, je fais le Mexique, Canada, et ça m'ouvre… tu vois ce que je veux dire. Un artiste fait des choses pour que ce soit vu et pour s'ouvrir au monde. Moi, je suis là pour rencontrer des gens, pour entendre plein de points de vue différents. Si tu regardes les œuvres que les artistes font à différents moments de leur vie et bien, ça change, ça évolue. Et moi, dans Sheitan, les jeunes sont des crevards qui pensent qu'à niquer, la quête du plaisir instantané. C'est le portrait d'une jeunesse dont le seul et unique but est le plaisir instantané… Pourquoi les mecs ? Parce que j'en suis un et je parle d'une génération que j'ai côtoyée. Et j'ai constaté que nous, on pense qu'au moment présent. On en a rien à foutre du futur, on en a rien à foutre de son prochain, on pense qu'à niquer et se faire plaisir dans la minute qui suit. C'est une réalité. Et c'est ça que j'ai voulu montrer à travers Sheitan. C'est tout.

Avec tout les excès que ça peut avoir…
Exactement. C'est parce que c'est comme ça.

Et tu n'as pas peur que certains jeunes, de banlieue ou pas, ne s'approprient cette culture et cette violence, du moins comment elles sont montrées et exacerbées dans Sheitan, et ne l'élèvent au rang de principe de vie. Tu ne trouves pas que ça peut être dangereux ?
Non.


Certaines réactions sur les forums Internet font pourtant peur, très peur.
Ouais, mais sur les forums, c'est des nerds. C'est des psychopathes.

Internet maintenant, ce n'est pas que les nerds.
Sur les forums, c'est des nerds. Moi, j'en ai rencontré quelques-uns tu vois… pour qu'un mec laisse 1000 messages sur un topic, c'est un psychopathe. Et ces gens-là, je me suis rendu compte qu'il valait mieux pas trop se disputer avec eux. Parce que c'est des vrais tarés. Ça me fait plaisir parce que c'est les réactions que je veux susciter mais bon, on vit tellement dans une société… il y a tellement d'images, tellement d'informations que tout et tout le monde est super individualiste. Le fait que tu t'intéresses, que tu parles, qu'il y ait des échanges, c'est déjà un truc de dingue. C'est déjà génial.

Excuse-moi, mais tu m'as l'air différent, plus ouvert que ne le laissent supposer tes films. Tu n'as jamais voulu à un moment donné transmettre ce message ?
Non, parce que je n'ai pas l'arrogance de dire quoi faire ou quoi que ce soit. Pour l'instant je suis… J'apprends, j'ai la chance d'apprendre. En faisant un métier que j'aime. En faisant pleins de courts métrages qui ont été super vus en faisant un film qui se vend dans 34 pays, c'est une chance incroyable. J'en suis complètement conscient mais c'est un trajet, j'ai vu des choses et c'est après que tu te rends compte que ton film il représente réellement des choses. On verra bien le prochain. Le prochain dans le genre pas marrant….

Pour revenir à toi et à Kourtrajmé, il y en a certains qui disent que vous vous êtes appropriés la culture banlieue, alors que vous n'y avez jamais mis les pieds, et qu'en fait vous n'êtes que des « fils de ». C'est peut-être le moment de remettre les compteurs à zéro. Tu es le fils de Kiki Picasso, et après ?
Non, le fils de Pablo… (Rires) Ce sont pour moi des attaques assez petites. Mon père est un artiste punk des années 70, c'est le premier mec qui a utilisé la palette graphique des ordinateurs. C'est quelqu'un qui a toujours soif de nouveauté et s'il m'a inculqué quelque chose, c'est bien ça. Les gens qui attaquent de côté-là, je leur dis « mais vous êtes fous », mon père s'est fait jeter de chez lui à 15 ans… il a toujours été seul comme un chien. Tout ce qu'il a, il ne le doit qu'à lui. C'est l'artiste que je respecte le plus au monde.

Comment alors as-tu été attiré par cette culture de la banlieue ? Tu l'as vécue, tu es tombé dedans ?
Cette culture vient de ma mère qui a vécu à Montfermeil. J'ai de la famille là-bas, et d'ailleurs le héros de Sheitan, Ladj, vient de la cité des Bosquets. Là où il y a eu les émeutes. J'étais avec lui à la Maison des Jeunes quand j'avais 8 ans. C'est mon enfance, tu vois. Mais pour dire vrai, tout ça, ce sont des faux débats, parce qu'on ne justifie pas une œuvre par rapport à l'endroit où t'as grandi. Je sais pas… George Lucas n'a jamais vécu avec les extra-terrestres.

Ok, mais ton film, c'est pas de la science-fiction.

Mais, c'est de la fiction tout ça. Exactement comme quand tu me dis que c'est le cliché d'une réalité. Un artiste est quelqu'un qui rêve, qui se laisse inspirer. Certaines critiques sont dures, je trouve, car un artiste est à la base quelqu'un de généreux, alors quand en retour, les gens l'agressent, c'est toujours un peu déstabilisant.



C'est moins l'auteur que son oeœuvre qu'on critique…

Ouais, mais sinon, pour en revenir à ce que tu disais, ces histoires de « fils de », moi et Romain Gavras, c'est pareil, on ne peut pas être plus fier de nos pères.

Tu peux tout de même comprendre que certaines personnes vont se demander pourquoi des mecs, qu'elles croient péter de thunes, viennent leur parler des banlieues.
Oui, mais tous les gens qui parlent des choses viennent des milieux bourgeois. Le mec du ghetto, il a bien trop de soucis. Ladj est un vrai mec du ghetto, ils sont 68 dans sa famille, il a eu la même éducation que moi, l'éducation de la famille, et Kourtrajmé c'est une vraie famille. Et tu verras que tous les mecs qui attaquent sur le fait que l'on est des « fils de » ou pas, ils vont s'essouffler. La dynamique du groupe et l'énergie, voilà ce qui reste.

Enfin, quelques mots sur Scum, ton prochain film. Parce que, franchement, j'aime beaucoup Alan Clake (Réalisateur culte de films et téléfilms comme Elephant, Christine) et je t'attends donc au tournant. Comment es-tu tombé dessus ? C'est toi qui as lancé le projet ?
Non, à vrai dire, c'est une commande de Universal Pictures, Focus Features et Partisan, ceux qui ont fait tous les Gondry. Ils sont venus vers moi pour me demander de faire une réadaptation de Scum aux Etats-Unis.

Ils avaient déjà un scénario sous le bras ou bien…
Non, non, je suis en train d'écrire la réadaptation.

 

Et tu as déjà un casting ? Tu es en repérage ?
Non, tout se passera quand je serais là-bas, dans quelques semaines. C'est merveilleux, le tournage est prévu pour l'année prochaine.

 

Propos recueillis par Vincent Julé.
Merci à Lucile Bellan pour la retranscription.
Photos en haut de page de Côme Bardon.
Kourtrajmé : site officiel

Pour accéder au dossier Sheitan - la Totale, cliquez sur la photo ci-dessous :

 

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commentaires
Pseudo
27/03/2018 à 11:53

Vraiment bof l'interview, et ça pour deux raisons.

Tout d'abord, la journaliste ne fait aucune différence entre la fiction et la réalité. Sheitan est un film qui porte un discours hyperbolique sur les stéréotypes affiliées à la banlieue et à la campagne. Il relève ainsi les rapports de domination (entre homme et femme notamment) que l'on retrouve dans les cités. Je pense que son discours sert plutôt à représenter une réalité mais aussi à déconstruire les clichés qui en découle.

Ensuite, il y a un vrai manque de considération envers Kim Chapiron. L'entretien sert plus à le délégitimer qu'à essayer de comprendre les thèmes qu'il a abordé dans ce long-métrage.