Ashutosh Gowariker (Swades)

Patrick Antona | 24 juin 2005
Patrick Antona | 24 juin 2005

Ashutosh Gowariker, le Bollywood nouvelle vague
Venu présenté à Paris son dernier succès, Swades, Ashutosh Gowariker, réalisateur indien ayant été révélé mondialement par son précédent film, Lagaan, a accordé une interview passionnante et passionnée à Écran Large. De la performance de Shahrukh Khan, (il a obtenu le Filmfare Award en tant que meilleur acteur) à son état des lieux de l'Inde moderne, en passant par son idée de la comédie musicale jusqu'à l'évocation de Astérix en Corse et de Star wars, tous les sujets sont bons à être débattus pour celui qui est devenu incontestablement un des réalisateurs les plus en vue dans le nouveau cinéma de Bollywood.

Est-ce que le succès international de Lagaan a changé votre manière de faire du cinéma ?
Pas tellement. Avoir réussi à toucher le public mondial avec Lagaan est indéniablement un plus. Mais ce succès, je le vois plus comme une étape pour passer à d'autres films. Grâce à Lagaan, j'ai pu mener à bien Swades, qui me tient particulièrement à cœur. Et le succès de Swades (NDLR : sorti en Inde en décembre 2004 avec triomphe), permet de me préparer pour le suivant.

Votre manière de tourner est loin des canons habituels du cinéma de Bollywood, évitant le kitch de rigueur, enfin tel que nous le connaissons en Occident.
Effectivement , pour moi les scènes musicales ne sont que des extensions de l'histoire que je raconte, et en rien des numéros collés çà et là pour faire joli. Un film musical doit être fait avec cohérence. Et les chansons sont comme des extensions des dialogues, les rendant indispensables au récit, ce qui fait la spécificité d'un musical. Je suis d'ailleurs un grand fan des Parapluies de Cherbourg, où tous les dialogues sont chantés. À contrario, je ne considère pas Moulin Rouge comme une vraie comédie musicale.

Le sujet politique traité dans Swades est assez brûlant avec la critique des castes et l'évocation des intouchables. Cela vous a-t-il valu des critiques aiguës en Inde ?
Franchement non. Vous savez les castes existent depuis des siècles dans mon pays, et elles ont été malgré tout un grand facteur de progrès. Si de nos jours, dans les villes, la notion de caste a pratiquement disparu, elle est restée très présente dans les campagnes. Ce que j'ai essayé de démontrer dans Swades, c'est que le fait de fédérer toutes les castes, et non pas de casser l'ordre établi, sera le véritable moteur de l'évolution de l'Inde. Et l'éducation et l'électricité sont des outils utilisés dans mon film pour guider les gens vers des lendemains meilleurs. Swades doit être pris comme le déclencheur d'une réflexion sur le fait que seul l'union fera changer les choses.

C'est ce qui fait souvent la force du cinéma. Pour en venir à la direction d'acteurs, j'ai lu que vous avez été comédien par le passé. Cette expérience vous a été utile pour diriger une star comme Shah Rukh Khan ?
J'ai été acteur pendant 10 ans, et j'ai débuté d'ailleurs avec Shah Rukh Khan et Aamir Khan (Lagaan) et j'ai noué des liens très forts avec eux. Et c'est vrai que souvent je me mets à la place de l'acteur pour essayer de comprendre son approche d'un rôle. Pour le casting, je cherche toujours à savoir d'où vient un acteur afin d'appréhender si il va convenir pour un rôle ou non.

Connaissez-vous le secret de la formidable énergie de Shah Rukh Khan (près de 25 films en 5 ans !)
En Inde, il y a de très bons acteurs, mais il est vrai que pour un premier rôle, ce qui est important, c'est le charisme que dégage la personne. En France, vous aviez Jean-Paul Belmondo qui disposait d'un tel charisme. Et en Asie, il y avait Bruce Lee. Et pour Swades, il m'était indispensable d'avoir le charisme de Shah Rukh à disposition, avec son statut de méga star, face à des personnages plus « concrets ». Et il a été très bon dans son rôle à contre-emploi.

Parlons femmes, en France on ne s'est pas encore relevé des actrices indiennes telles que Aishwarya Rai (Devdas) ou Rani Mukherjee (Kuch Kuch Hota Hai) que vous nous révélez la sublime Gayatri Joshi. Est-ce que l'Inde est une source inépuisable de beautés pour le cinéma ?
(Rires) Quand je fais le casting, je ne regarde pas uniquement la beauté de l'actrice. Pour Swades, je recherchais une actrice qui donne l'impression d'avoir vécu dans une grande ville et qui était retournée vivre à la campagne. Et Gayatri rentrait parfaitement dans ce moule, pouvant mêler modernité et élégance avec le respect de la tradition. J'ai dû auditionner pendant 4 mois avant de la trouver (NDLR : on le plaint !), et c'est pendant une réception qu'elle m'a été présentée. C'était évident qu'elle était le personnage de Gita. Et je suis content que vous la trouviez aussi belle que Aishwarya Rai.

Est-il possible de voir bientôt, dans un film de Bollywood, deux stars faire un vrai baiser de cinéma ?
Je pense que cela sera vraiment possible, les choses changent, les acteurs commencent à devenir plus expressifs dans leurs manières de montrer les sentiments et le grand public se sent plus préparé à ce genre d'évènement (NDLR: écoutez à ce sujet le commentaire audio du réalisateur de Devdas). Par exemple, le fait qu'il y ait des « héroïnes » dans le cinéma indien ne date que des années 50.

Et puis cela participe grandement à l'exotisme des films de Bollywood, aux yeux du spectateur occidental ?
Oui, c'est comme un personnage qui approche une cigarette de ses lèvres mais qui ne l'allume pas. C'est une forme de sophistication.

J'ai lu que votre premier film était un remake de Body Double (Pehla Nasha en 1993). Etes-vous un fan de Brian de Palma ou est-ce qu'un jeune réalisateur indien débutant doit faire du cinéma « à l'occidentale » pour être reconnu ?
Je suis un grand fan de De Palma, mais concernant mes débuts, je suis, en fait, tombé par hasard dans la réalisation. Plutôt déçu des rôles que l'on me donnait, j'ai commencé à regarder le travail des metteurs en scène. Du coup, le jour où j'ai eu l'opportunité de faire mon premier film, j'ai choisi un thème déjà utilisé (Vertigo, Body Double) pour faire mes premières armes. Mais si je devais refaire un premier film, je chosirai un scénario original.

Quels sont vos metteurs en scène non indiens préférés ?
David Lean, Steven Spielberg, François Truffaut, et Akira Kurosawa. J'aime les réalisateurs qui font des films « bigger than life » pour le grand public. Un réalisateur comme George Lucas qui pour l'élaboration de Star wars s'est inspiré à fond de David Lean (l'utilisation d'Alec Guiness, le désert de Lawrence d'Arabie) et d'Akira Kurosawa (le costume de Dark Vador renvoyant à ceux des samouraïs, la trame de La Forteresse cachée pour Un nouvel espoir). C'est une évidence !

Personnellement, j'ai vu dans Swades des éléments qui me font penser aux classiques du cinéma soviétique tel que La Ligne générale de Eisenstein ou La Terre de Dovjenko. Ces films vous ont-ils inspiré ?
Pas exactement. En fait c'est plutôt l'ambiance générale qui y est commune. Lorsque l'Inde est devenue indépendante en 1947, de telles références étaient évidentes car faire du cinéma était, comme pour les russes de cette époque, une forme de patriotisme, de montrer qu'il y a avait tout un monde et une société à construire. Maintenant, les problèmes que nous pensions avoir éradiqués comme les tensions religieuses, le danger de guerre ou les inégalités sociales, nous reviennent à la face. Bien sûr, il y a le monde économique global et toutes ses grandes avancées technologiques mais je prends cela comme étant un leurre. Alors peut être est-il temps de faire un cinéma qui se rapproche des problèmes des gens et qui soit respectueux des valeurs de ce qui a inspiré notre République à ses débuts.

Dans le DVD de Lagaan, on peut découvrir en bonus une scène coupée qui est une véritable sous-intrigue à elle toute seule. Pensez-vous la réintégrer dans une version director's cut à venir ?
Non, car je pense que ce que le metteur en scène a montré sur un écran pour le plus grand nombre, c'est sa « director's cut », c'est cette impression première qui doit rester. Et en tant que spectateur, cela ne m'intéresse pas de revenir quatre ans après pour voir le même film agrémenté de nouvelles scènes çà et là. La manière dont les américains sortent des « director's cut » à la pelle est plus du ressort du commerce que d'une véritable réflexion sur le cinéma.

Une question concernant le public indien me tarabuste : que trouve-t-il d'exotique à voir filmer des scènes d'amour sur les monts du Tyrol, plutôt réservés à Heidi et ses animaux ?
C'est un mystère pour moi aussi ! En fait, c'est une idée que des publicitaires ont eu dans les années 80, et tout le monde a suivi. Mais cela n'est pas à mon goût. Franchement, je préfère des villes comme Londres, New York et bien sûr Paris (ce n'est que ma seconde visite ici) comme cadre pour des scènes romantiques que les cimes autrichiennes.

Proposez aux réalisateurs indiens de venir chez moi en Corse, vous trouverez des lieux encore plus propices pour les scènes d'amour !
Vous venez de Corse ! Mais je suis un grand fan d'Astérix, et Astérix en Corse est un de mes préférés. Pour être franc, c'est la lecture d'Astérix qui m'a donné en partie l'idée de départ de Lagaan, un petit village entouré par des forces occupantes.

Incroyable ! Qu'en est-il de la diffusion des films français en Inde ?
Elle est très faible. Le cinéma américain y occupe une place prédominante et ne laisse pas de place aux autres cinémas. Prenez par exemple une comédie bien française comme Boudu. Elle n'a aucune chance d'intéresser le public indien. Par contre, si il y a un remake américain avec De Niro à la place de Jugnot (NDR : gasp !), le public se ruera dans les salles. C'est comme ça !

De quoi parlera Jodha-Akbar votre prochain film avec Hrithik Roshan (prévu pour 2006) ?
Ce sera un grand drame historique, se passant au 16e siècle, un gros budget avec décors, costumes et grande figuration. C'est l'histoire vraie de l'empereur moghol Akbar et d'une princesse hindoue, Jodhabhai, unis dans un mariage arrangé pour les besoins de la politique, et qui ont fini par tomber amoureux l'un de l'autre.

C'est un sujet superbe. Qui jouera Jodhabhai ?
En fait je n'ai pas encore fait mon choix pour l'instant. Qui verriez-vous pour ce rôle, Aishwarya Rai (Rires) ?

Ah non, on l'a trop vu maintenant. Personnellement, je verrai bien Madhuri Dixit ou Rani Mukherjee. Il est temps que leur grand talent (et leur beauté) soient enfin connus du public français.
Ok, j'en prends note et j'avertirai Écran Large quand j'aurai terminé mon casting.

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