Christopher Nolan (Batman begins)

Stéphane Argentin | 17 juin 2006
Stéphane Argentin | 17 juin 2006

À l'occasion de la sortie internationale de Batman begins, l'homme à l'origine du renouveau du justicier chauve-souris, le scénariste – réalisateur Christopher Nolan, était présent à Paris il y a quelques jours. Mardi 14 juin 2005 en fin d'après-midi, une rencontre organisée à la FNAC Saint-Lazare avait lieu en présence du metteur en scène et des deux producteurs du film, Emma Thomas et Charles Roven. Au cours de l'heure qu'ils ont bien voulu accorder à la presse (et au public venu en masse), tous trois ont pu revenir en détails sur le moindre aspect de ce long-métrage très attendu.

 

Christopher Nolan, a-t-il été difficile de convaincre le studio d'accepter cette nouvelle approche très noire, très sombre du personnage de Batman ?

Christopher Nolan : Absolument pas puisque les studios Warner cherchaient précisément à « rafraîchir » la franchise, à lui injecter du sang neuf. C'est une opportunité très rare pour un long-métrage de cette envergure et l'une des raisons pour lesquelles j'ai accepté ce projet. Dès notre première rencontre, je leur ai exposé ce qui me semblait être à mes yeux les deux points clés, à savoir les origines de Batman, pourquoi et comment Bruce Wayne devient-il ce justicier, et le second point, un traitement réaliste de cette « métamorphose ». Quant à la noirceur du film, tout le monde sait que le personnage de Batman est probablement l'un des plus sombres et des plus humains qui soit au sein de l'univers des comics.

 

Emma et Charles, aviez-vous justement des craintes à l'égard des fans du comics ?

Emma Thomas : Il y a toujours une pression plus ou moins grande lorsque l'on s'attaque à un personnage aussi connu et apprécié depuis longtemps. Mais l'approche de Christopher Nolan et David Goyer (le coscénariste du film, NDR) abondait vraiment dans le sens du comics. Bien sûr, il faut comme toujours faire des choix et laisser de nombreux éléments de côté. Il ne reste plus alors qu'à espérer que les fans accepteront ces choix.

 

Christopher, vous étiez fan du comics ?

Christopher Nolan : J'ai toujours été plus intéressé par le cinéma que par les comics. J'ai d'ailleurs essayé de renouer avec les blockbusters des années 70-80 pour ce nouveau Batman, des films tel que le premier Star Wars, Les aventuriers de l'Arche Perdue, Superman ou encore James Bond. Je n'ai découvert Batman que tardivement et c'est, de tous les personnages de comics, celui dont je me sens le plus proche car il n'a aucun super-pouvoir et c'est à mes yeux le plus humains de tous.

 

Batman est l'un des personnages de comics les plus anciens. Il a été créé en 1939 par Bob Kane avant d'être repris par de nombreuses personnes, notamment Frank Miller dans les années 80 ? Y a-t-il une période à laquelle votre Batman se rapproche le plus ?

Christopher Nolan : Avec David Goyer, nous avons relevé les différents éléments récursifs qui revenaient aux travers des six décennies de comics et qui ont servi de pierres fondatrices au script de Batman begins. Nous nous sommes également penchés avec attention sur les comics des années 70 de Denny O'Neil et Neal Adams qui ont été très influencés par les « super-vilains » des James Bond et ont vu apparaître notamment le personnage de Ra's Al Ghul.

 

Pourquoi avoir choisi d'inventer le personnage féminin de Rachel Dawes, interprété à l'écran par Katie Holmes, et non d'utiliser celui de la fille de Ra's Al Ghul, Talia, qui est le grand amour de Batman présent dans le comics ?

Christopher Nolan : Il n'existe pas une histoire unique sur les origines de Batman. Dans les comics, son passé est évoqué au travers de nombreux flash-back que nous avons décidé de conserver et de retranscrire, notamment au cours de la première moitié du film. Afin de connecter tous ces allers-retours narratifs, nous avions besoin d'un personnage qui aurait sensiblement le même âge que Bruce Wayne et qui l'aurait connu depuis sa plus tendre enfance, avant la mort de ses parents. Rachel sert donc à la fois de rappel mémoire de ce qu'il a perdu et de nouveau but à servir. Quant à Talia, qui est en effet un personnage très important dans la mythologie de Batman, nous nous sommes très vite rendu compte que nous manquerions de temps pour le développer correctement. Et au lieu de simplement survoler son personnage dans le seul but de satisfaire les fans, nous avions préféré ne pas l'inclure.

 

Emma et Charles, pourquoi Christian Bale dans le rôle titre ? C'est un choix assez risqué dans la mesure où il n'est pas coutumier de ce genre de blockbuster.

Emma Thomas : Nous avions besoin d'un acteur capable d'interpréter à la fois Batman, un personnage très fort physiquement, et Bruce Wayne, qui est plus fragile psychologiquement. Et parmi les candidats potentiels que nous avons rencontré, Christian Bale correspondait le mieux à ce besoin. Au moment où nous avons fait passé les auditions, Christian était en plein régime pour les besoins du tournage de The machinist. Et juste après ce film, il a réussit à regagner près de 50 kilos en seulement 6 semaines. Christian est quelqu'un qui ne fait pas dans la demi-mesure, une fois qu'il s'est engagé sur quelque chose, il se donne à fond.

Charles Roven : En fait, il était même un peu trop enthousiaste, à tel point qu'il avait repris trop de poids et qu'il a fallu lui demander d'en reperdre avant le début du tournage.

 

Le casting des seconds rôles est également très impressionnant : Michael Caine, Morgan Freeman, Gary Oldman, Liam Neeson, Rutger Hauer… A-t-il été difficile de tous les convaincre de prendre part au film ?

Christopher Nolan : Dès le début du projet, j'ai fait part au studio de mon intention de réunir le meilleur casting possible afin de retrouver la grandeur de celui du Superman de Richard Donner dans lequel vous aviez Marlon Brando, Gene Hackman, Ned Beatty, Glenn Ford… Le but en réunissant un casting au moins aussi prestigieux était d'élargir d'autant l'ampleur du film. Nous avons donc cherché parmi les plus grands acteurs contemporains, y compris pour les plus petits rôles. Pour les convaincre, nous leur avons expliqué le réalisme du traitement pour lequel nous avions opté et qui diffère radicalement des précédents Batman, et je pense que c'est cette approche qui les a séduit.

 

   
 
       

   

Contrairement aux précédents Batman, celui-ci se focalise désormais beaucoup plus sur le personnage de Bruce Wayne et moins sur les méchants. Pourquoi cela et pourquoi le choix de Ra's Al Ghul et de L'Épouvantail parmi toute la galerie de méchants existants au sein de la mythologie de Batman ?

Christopher Nolan : Pour moi, Bruce Wayne est le personnage central et le plus important à traiter, et aucun des précédents films ne l'avait véritablement abordé comme il le mérite. Le choix des méchants, une fois encore, consistait à retrouver l'esprit des plus grands James Bond qui offraient des méchants à la fois intéressants, mémorables et représentant une réelle menace pour le héros, mais sans pour autant lui faire de l'ombre. Je pense d'ailleurs que Ra's Al Ghul, qui est apparu pour la première fois au début des années 70, en a été très fortement influencé. Quant à L'Épouvantail, c'est un adversaire récurrent dans les comics et qui, de plus, emploie la même arme que Batman, à savoir la peur qu'il inspire à ses opposants. Le choix s'est donc porté sur des adversaires qui reflétaient au mieux le même mode opératoire que Batman et non sur des critères purement excentriques et distractifs.



 

  

Le règne par la peur est un thème d'actualité. À chaque nouvelle génération de comics, Batman a toujours reflété son époque. Avez-vous tenté de faire de même ici ?

Christopher Nolan : C'est vrai qu'en observant attentivement le film achevé, on trouve ce thème, très présent dans le monde dans lequel nous vivons en ce moment, qui est d'utiliser la peur comme moyen de contrôle. Mais au stade de l'écriture, David et moi avons essayé de ne pas trop y faire référence. Nous nous sommes focalisés avant tout sur les motivations de Batman, qui sont de combattre le crime et la corruption, et sur son mode opératoire, qui est donc d'insuffler la peur, tout comme ses adversaires, et qui, incidemment, font écho à notre époque.

 

 

On retrouve dans Batman begins certains thèmes de Memento, notamment le deuil et le désir de vengeance. Ce sont des thèmes qui vous attirent ?

Christopher Nolan : Le personnage de Bruce Wayne dans Batman begins et celui de Leonard Shelby dans Memento sont effectivement figés tous les deux dans cet état d'esprit de deuil et de vengeance. Pour ce genre de film, ces deux thèmes sont pour moi des motivations très clairs et très représentatives de la doctrine « La fin justifie les moyens ». Jusqu'où est-on près à aller pour apaiser ses souffrances et assouvir son désir de vengeance ? Ce sont donc là des motivations très humaines mais également très sombres et dont on ne doit pas être forcément très fier.

 

Quelles limites vous étiez vous fixé quant à la noirceur du personnage ?

Christopher Nolan : Aucune pour la simple et bonne raison que Batman n'est pas un justicier comme le Punisher ou encore le Charles Bronson d'Un justicier dans la ville. Ce sont donc l'histoire et le personnage qui imposaient naturellement leurs propres limites.


 

Va-t-on continuez à assister à des traitements aussi respectueux pour les adaptations de comics, comme cela a pu être le cas avec X-Men et Spider-Man, dans lesquels les super-héros sont abordés comme de véritables personnages et non plus comme de simples machines à sous ?

Charles Roven : Les adaptations de comics ne datent pas d'hier puisque le premier Batman de Tim Burton remonte à 1989 et avant cela, vous aviez le Superman de Richard Donner en 1978. Et s'il est vrai qu'on observe depuis quelques années un véritable retour en force de ce genre d'adaptations, il est vrai aussi qu'Hollywood a la très mauvaise habitude de vouloir profiter des bons filons en cherchant sans cesse à produire des succès aux bénéfices encore plus juteux que les précédents, jusqu'au jour où le public finit par se lasser. J'espère donc que cela n'arrivera pas dans le cas des adaptations de comics.

 

 

Batman begins marque-t-il le début d'une nouvelle franchise ? Y a-t-il déjà des suites de prévues ?

Christopher Nolan : J'ai intentionnellement laissé la fin du film ouverte à toutes les possibilités, pas uniquement dans le seul et unique but de faire une suite à tout pris mais parce que j'estime qu'avec de tels blockbusters, il est important d'offrir cette possibilité pour le cas où le public serait demandeur.

 

Vous avez tenu à minimiser l'emploi des effets spéciaux numériques, ce qui est assez inhabituel de nos jours pour un film de cette envergure. Pour quelle raison ?

Christopher Nolan : Le seul élément qui a nécessite un recours systématique au numérique est le monorail qui traverse la ville de Gotham city de part en part. Le numérique était un outil nouveau et très excitant à ses débuts, mais il est devenu si courant et banal que les blockbusters donnent l'impression de rapetisser de jour en jour. Les spectateurs sont désormais habitués à de tels effets et savent parfaitement distinguer la différence entre des images synthétiques et des images réelles. Selon moi, le recours au numérique ne doit servir qu'à compléter des éléments réels – même miniatures – qui ont été préalablement photographiés en vrai.

 

Quelle expérience retirez-vous de ce film en tant que réalisateur ?

Christopher Nolan : Le véritable challenge à mes yeux était la taille du projet. Je n'avais jamais travaillé sur un film de cette ampleur, non seulement au niveau du scénario très dense qui renferme de nombreux personnages à développer, mais aussi en niveau de la production qui s'est étalée sur sept mois dans différentes parties du monde et qui comportait de très nombreuses scènes d'action. En tant que metteur en scène, c'était une nouvelle expérience à laquelle j'ai pris beaucoup de plaisir.

 

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