L'Etrange festival, 20ème édition : Bilan général

Nicolas Thys | 15 septembre 2014
Nicolas Thys | 15 septembre 2014

Après une dizaine de jours de compétition au Forum des images, la vingtième édition de l'Etrange festival de termine. Dans les points positifs, on notera l'ambiance toujours excellente et festive avec des salles qui ne désemplissent pas, confirmant ainsi le succès d'une manifestation devenue incontournable et qui manquerait cruellement si elle n'existait plus. Le développement, ces dernières années, des festivals autour du fantastique ou de l'horreur et l'arrivée du cinéma de genre dans les festivals plus généralistes est le double constat d'un début de reconnaissance critique et d'un engouement public qui tend à dépasser le communautarisme auquel il était encore cantonné voici 20 ans.

 


 

Dans les points négatifs, on regrette surtout l'absence de nuits thématiques qui voyaient se succéder 3 ou 4 films souvent rares sauf pour les collectionneurs de nanars. La vingtième édition aurait en plus été l'occasion de marquer les esprits avec des œuvres encore plus improbables que d'habitude. On a  apprécié l'idée d'inclure parfois un court-métrage en avant-programme mais c'est dommage de ne pas le faire systématiquement et il faudrait également mieux les choisir car la sélection était un peu faible (à l'exception du génial Tango de Zbigniew Rybczyński). Enfin si les rétrospectives étaient riches et impressionnantes avec un panel d'œuvres incroyables qui allait de l'expérimental avec Artavazd Pelechian (Les Saisons et Notre siècle) à Babe 2 en passant par tous les styles et époques possibles et imaginables, avec quelques surprises en 35mm, on sera plus réservé quant à la compétition internationale et aux avant-premières.

Les quelques grands crus ont surtout confirmé les impressions que les plus chanceux avaient eu dès Cannes et, à quelques exception près, peu de choses intéressantes et nouvelles étaient à l'affiche. On préfèrera s'attarder ici sur certains des films qu'on a le plus appréciés tout en signalant quelques manques malheureux qu'on espère rattraper dans les mois à venir. Dans les films que l'on n'a pas encore pu voir, dont on espère beaucoup et qu'il semble important de mentionner : A girl walks home alone at night de Ana Lily Amirpour, film de vampire américain tourné par une réalisatrice iranienne en farsi, Over your dead body, une expérience théâtrico-cinématographico-horrigique de Takeshi Miike, Il est difficile d'être un dieu, dernier film du cinéaste russe Alexeï Guerman, achevé quelques mois avant sa mort et qu'il avait débuté voici 14 ans maintenant et Visitors de Godfrey Redgio qui sur le papier donnait autant envie qu'il faisait peur avec ses 74 plans muets qui sont censés offrir une certaine expérience de la vie.

 


 

Parmi les réussites, on en citera d'abord deux dont Ecranlarge parle depuis le festival de Cannes et vous retrouverez les critiques en cliquant sur les différents titres : Alléluia de Fabrice du Welz dont on attendait le retour depuis Calvaire et It follows, deuxième film de David Robert Mitchell et de loin ce qu'on a pu faire de mieux dans la peur et l'épure.

On appréciera également beaucoup The Tribe de Myroslav Slaboshpytskiy, ce film ukrainien sur la vie d'un internat pour sourds et muets en Ukraine est une véritable expérience cinématographique qu'on n'aura du mal à refaire mais qu'il convient de vivre au moins une fois pour trois raisons. La première réside dans le dispositif : le film est en langage des signes, sans sous-titre, doublage ou traduction. L'angoisse est d'autant plus palpable qu'on entend tous les sons mais qu'on est rarement autant plongé dans un monde où la parole et la musique ont disparu. La deuxième est formelle : pour son premier film, le réalisateur propose une chorégraphie impressionnante de 2h15 composée uniquement de très longs plans et de plans séquences d'une à cinq minutes, rarement fixes, épousant toujours au mieux les acteurs et leurs déplacements et créant un espace très différent de ce qu'on voit habituellement. La troisième est l'extrême violence du film qui, outre trois séquences très dures dont un avortement dans un appartement miteux, joue constamment sur l'attente d'atrocités plus fortes les unes que les autres tout en restant réalistes.

Vient ensuite un film hongrois dont le titre, White god, est une référence directe au White dog de Samuel Fuller. Leur point commun le plus important est la violence des chiens qui n'est que le reflet de la haine des êtres humains pour leurs semblables et pour les animaux, une grande métaphore de la perversion de la société. La séquence d'ouverture dans une capitale complètement vidée de ses habitants est l'une des plus belles jamais vue et elle annonce la tonalité générale qui sera tenue tout au long du film, entre naïveté enfantine, climat aux frontières du fantastique et horreur gore.

 


 

Les deux autres très bons films du festival sont asiatiques et viennent respectivement du Japon et de Corée. Tokyo tribe est le nouveau film de Sono Sion, plus célèbre pour des films assez cérébraux et souvent longs. Celui-ci ne dure que deux heures et est un pur moment fun sans prétention autre que cinématographiques car si le scénario, tiré d'un manga sur des guerres de gangs tokyoïtes, est assez simple, c'est du point de vue formel que l'ensemble tient parfaitement la route. Le film a été pensé comme une comédie musicale hip-hop/rap et même les moins férus du genre pourront succomber. Les acteurs sont avant tout des danseurs et on le voit dans leur façon de bouger, de s'exprimer et de se battre. Les scènes d'action sont souvent intenses, inventives et très bien mises en scènes, à l'image du plan séquence d'ouverture incroyable où l'on suit un personnage à part, espèce de coryphée nippon qui débite un flow continu pour présenter ce qui va se dérouler, déambuler dans des rues en carton-pâte où il se passe 1000 micro-événements et éclairées de manière à ce qu'on ressente et adhère au côté artificiel de l'ensemble. Le deuxième film, The Fives, pouvait laisser augurer le pire vu son pitch et on est étonné que l'ensemble tienne aussi bien la route. Une femme paralysée après avoir vu sa famille massacrée décide de donner ses organes en échange d'une vengeance. Sans être parfait, avec quelques longueurs et un nombre de revirements de situation un peu limite, la mise en scène est aussi classique d'efficace et évite le sentimentalisme outrancier qu'on voit souvent dans les films coréens de même que de nombreux clichés pour se terminer dans un final impressionnant.

On ne pourrait pas conclure sans dire quelques mots sur le long-métrage primé de l'année qui était aussi le film d'ouverture : The Voices de Marjane Satrapi. C'est certainement aujourd'hui le long-métrage le plus intéressant de la réalisatrice iranienne malgré quelques réserves. Avec un Ryan Reynolds parfait dans le rôle d'un psychopathe qui semble s'ignorer, un chat qui parle comme on en a rarement vu et un monde magique et rose bonbon qui colle bien au délire de la cinéaste, le film aurait tout pour plaire. On lui reprochera néanmoins de ne pas aller assez loin dans l'écart et la porosité entre les deux mondes qu'elle décrit : celui où le héros oublie ses médicaments et celui où il se soigne. En outre, ce qu'on voit d'abord un film de metteur en ambiance et de coloriste, un film qui se repose sur une direction artistique forte et finalement bien plus l'œuvre d'une dessinatrice que d'un véritable metteur en scène qui aurait conscience des possibilités offertes par le médium qu'il utilise. Marjane Satrapi commence à se défaire de la BD filmée mais il lui reste encore du chemin à parcourir...

En quelques mots : vivement la 21ème édition.

 


 

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