Festival de Clermont-Ferrand 2014 : Dix jours sur le court
Pendant deux semaines les festivals semblent se croiser. En plus de la Berlinale qui s'apprête à commencer, ceux d'Angoulème pour la BD, de Gérardmer dans le registre fantastique et le Raya y punto film festival à Reykavik pour l'animation expérimentale se terminent. Pendant ce temps débute le festival qui va nous intéresser et qui se tient à Clermont-Ferrand jusqu'au 8 février. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, il s'agit pourtant du premier festival de cinéma en France en terme d'affluence publique (Cannes étant d'abord réservé aux professionnels). Consacré uniquement au film court dans toute sa diversité, c'est aussi le plus important festival de courts-métrages au monde et il dispose d'un gros marché du film. Et il n'y a qu'à voir les 1370 places de la salle principale se remplir et afficher complet tous les jours pour s'en rendre compte ! (on a d'ailleurs raté deux séances pour cause d'afflux massif)
La compétition officielle se découpe en trois parties : une sélection internationale avec 14 programmes (Jury : Denis Côté, Ursula Meier, Lucia Puenzo, Jens Assur et Narjiss Nejjar), une nationale qui en compte 12 (Jury : Patricia Mazuy, Samir Guesmi, Samuel Collardey et Marie Modiano) et une appelée "Labo" (Jury : Bill Morrison, Sergio Oksman et Kurt Wagner), souvent plus expérimentale et audacieuse dans la forme, qui en compte 5, soit 164 films de 3 à 57 minutes. Mais l'officielle ne représente qu'un petit morceau de la sélection générale qui est complétée cette année par une programmation autour de la "fuite", un focus sur l'Afrique, une rétrospective sur le court aux Etats-Unis avec la Tisch School of the arts en invitée d'honneur, plusieurs programmes autour de la musique, de la 3D, du centenaire de la guerre 14-18 ou à destination des enfants. Enfin, les partenaire ont aussi leur carte blanche : l'Auvergne propose une série de films faits dans la région, Canal + montrera des courts de Sandrine Veysset (Y aura t-il de la neige à Noel ?), la SNCF une sélection de polars, Nikon quelques uns des films marquants du concours qu'il organise, etc.
Impossible de tout voir. Nous nous sommes pour le moment concentré sur la sélection Labo qui semblait la plus intéressante et permettait de voir autant de fictions que d'animations, de documentaires que de films expérimentaux, soit un large panel de films en provenance de s quatre coins du monde. Et alors que Simon couvrait Gérardmer, le fantastique et l'horreur n'étaient pas en reste ici. On a eu droit à La part de l'ombre, le nouveau film du belge Olivier Smolders qui est l'un des plus dérangeants possibles avec une biographie fictive d'Oskar Benedek, un photographe hongrois dépressif qui aurait disparu assez jeune en 1944 pendant une guerre qui l'aura vu prendre des photos d'enfants sur lesquels des nazis faisaient des expériences. Le film est parsemé de clichés sombres et attirants, violents et repoussants. La forme est d'une rare sobriété, le film est découpé en parties et s'enfonce dans une atmosphère macabre à mesure qu'il progresse.
Autour de minuit, producteur et distributeur dont on
avait apprécié le projet long consacré à Alpha l'année passée lors de cartoon
movie, présente plusieurs courts-métrages. Le plus intéressant pour le
moment reste Sangre de unicornio, un dessin animé qui alterne le mignon
tout rose et l'horreur absurde avec une histoire autour de la fin d'un
monde et d'oursons en peluche borgnes et à moitié obèse qui
partent chasser la licorne. D'un plan à l'autre, le film passe du beau
au moche, de l'épure au remplissage de l'écran par un rouge sanguinolent
: les clichés sont transcendés jusqu'au délire total. On a moins aimé
Habana d'Edouard Salier à l'univers noir et apocalyptique mais pompeux
et esthétisant. Quand on cherche à suivre un individu qui s'adresse à la
caméra comme si on était dans un documentaire sur La Havane dans
quelques dizaines d'années, accumuler les ralentis et mouvements
audacieux au milieu de flics qui tabassent la population et d'enfants
soumis au trafic d'organes, c'est carrément indécent. En plus, le film
est loin d'être fin avec ses bestioles ridicules qu'il aurait mieux fait
de suggérer et des effets spéciaux emphatiques et répétitifs dont le
noir et blanc cherche à masquer les coutures et cadrés comme si son seul
objectif était de montrer au spectateur toutes ses prouesses. Faut-il
rappeler qu'il s'agit d'un film et non d'une bande démo...
Matthias Müller et Christoph Girardet, deux allemand habitués du found footage réalisent avec Cut
une nouvelle oeuvre cinéphile qui aura fait réagir plus
d'un spectateur. Pendant quelques minutes, ils jouent sur la coupure en alignant et associant des
plans ou morceaux de plans de classiques du cinéma et de la télévision
du Narcisse noir à Mad men. Le film est une expérience visuelle issue d'une réflexion
passionnante sur le "cut", la découpe tant dans le montage entre les
images que dans l'image et autour du son. Le résultat est un brin angoissant et
intéressant. Dans le registre SF réaliste, Panorama de
Francisco Ferrera montre une Lois désespérée à la recherche d'un Superman qui joue les hommes invisibles. Le film, admirablement mis en
scène et subtil, joue sur l'absence du super héros et plus généralement sur le thème de
la disparition et s'engouffre dans la description d'un monde
en proie à l'abandon et à la morosité. On a aussi eu droit à un David
Lynch canadien : We're not there d'Aaron Mirkin sur les
habitants d'une petite ville qui semblent fascinés par une route qu'ils
attendent et qui n'arrive pas. Très symbolique et métaphorique, le court est à la fois
dans le dépouillement et dans l'excès et le cinéaste pourrait être
prometteur s'il ne convoquait pas autant d'éléments pré-existants.
Côté humour noir ou décalé on signalera trois courts animés venus du Royaume-Uni. Le premier, I love you so hard de l'anglais Ross Butter est un dessin volontairement mal animé où un psychopathe amoureux terrorise sa bien aimée en lui disant tout ce qu'il voudrait lui faire et on n'aimerait pas être à sa place. L'ensemble est grotesque et épuré, depuis les décors quasi absent par moment au design des personnages qui semblent tout droit sorti de l'esprit torturé du protagoniste. La 2D et son crayonné instable parviennent à retranscrire la folie furieuse du film. A l'opposé du style des grands studios d'animation hollywoodiens, de leur détails microscopiques et de leur remplissage systématique de l'image jusqu'à saturation, on a In the air is Christopher Gray de Felix Massie déjà vu à Annecy. Des corps réduits à quelques formes géométriques, des extérieurs ramenés à quelques accessoires et des couleurs pour distinguer les personnages, les gris étant là pour la figuration. Aidé de quelques clichés bien placés et d'un peu d'horreur aussi grossière que fine, le film offre un nouvel aperçu du courant minimaliste qui règne dans l'animation numérique et fait, parfois, des merveilles. Le dernier, Marilyn Miller de Michael Please, fait une fois de plus preuve d'une grande simplicité dans sa forme en allant chercher un noir et blanc très contrasté. Une femme aux patronymes dévastateurs et grossièrement modelée dans une forme de mousse, cherche à s'élever et à créer quelque chose de beau : elle sculptera de la manière la plus fine possible des dizaines de personnages dans la matière dont elle est elle-même constituée jusqu'à une crise de folie. Parabole de l'art contemporain, parfois aussi stupide qu'éphémère, le cinéaste prend le risque et réussit à jouer sur plusieurs étages en faisant de ses protagonistes des répliques simplifiées d'un monde miniature et en s'attaquant à un monde en proposant un miroir double.
Rendez-vous prochainement pour la suite... un peu plus joyeuse ? En attendant voilà le trailer de :In the air is Christopher Gray de Felix massie