L'Etrange Festival 2012 - Partie 5

Aude Boutillon | 18 septembre 2012
Aude Boutillon | 18 septembre 2012

Elle se profile ; on la redoute. Rien n'y fait, son imminence se fait toujours plus pressante... jusqu'à se concrétiser dans un cafard généralisé. Elle ; la fin de festival. On dévore alors de la pelloche au kilomètre pour retarder tant que possible l'échéance du retour à la vraie vie, et se mettre de la pépite sous la dent tant que faire se peut. Pari rempli.

 


 

Les derniers jours se sont notamment caractérisés par un massif rattrapage dans la case compèt', à commencer par A fantastic fear of everything, coréalisation de deux personnages issus de la sphère musicale, à savoir Chris Hopewell, réalisateurs de clips de Radiohead et The Offsprings, épaulé par Crispian Mills, voix du groupe Kula Shaker, venu présenter son rejeton dans son attirail du parfait dandy. A fantastic fear of everything bénéficie d'abord de l'indubitable capital sympathie de Simon Pegg, ici écrivain paranoïaque à l'obsession prononcée pour les tueurs en série de l'Angleterre victorienne, dont la névrose serait manifestement liée à un traumatisme infantile survenu dans un Lavomatic. Si la première partie du film, enfermée dans la demeure, et par extension dans la psyché franchement dérangée de Jack, brille par sa mise en scène nerveuse et précise, la seconde se montre malheureusement bien plus convenue, à fortiori au regard d'une intrigue grossière, qui se repose grandement sur son humour percutant, voire hilarant par fulgurances (le « regard meurtrier » est un classique instantané), ponctué de clins d'œil malins. Sitôt vu, sitôt apprécié, sitôt oublié.

 

 

Au rayon des présentations mémorables, nous retiendrons celle de Resolution, qui bénéficiait d'une rumeur plus que favorable depuis sa projection en territoire neuchâtelois. Les trublions Justin Benson et Aaron Moorhead  étaient ainsi armés de leur plus belle nonchalance pour une présentation, en français s'il-vous-plait, qu'il aurait été criminel d'affubler d'une traduction. Le duo renvoie de fait inévitablement au tandem portant le film, dont la complicité pimente des échanges pour le moins caustiques, voire franchement attendrissants. L'un est un junkie sans nulle intention de se voir tirer de son bourbier ; l'autre est déterminé à lui sauver la mise. Ne peut résulter de la confrontation qu'une séquestration amicale et supervisée, le temps pour le premier de se purger de substances plus ou moins légales. L'arrivée impromptue de documents laissant à penser que les deux compères sont surveillés risque toutefois de perturber le cours des opérations. Budget restreint oblige, le minimalisme est de rigueur, sans jamais handicaper la narration, bigrement maligne, et qu'il nous est impossible de creuser sans trop en dévoiler. Le récit prend quoi qu'il en soit un sacré coup de fouet dans son dernier quart d'heure, à l'occasion d'une séquence glaçante, avant de se conclure dans la frustration la plus totale totale. Réflexion ouverte ? Fumisterie ? Ultime facétie ?   

 

 

Pour clore notre exploration de la compétition Nouveau Genre, nous avions porté notre dévolu sur l'anime After School Midnighters. Dans le plus grand souci d'honnêteté professionnelle, nous le confesserons platement : en ce dernier jour de projections, la team Ecran Large ne pouvait plus se résoudre qu'à reposer ses paupières à tour de rôle. After School Midnighters avait pourtant de quoi nous maintenir éveillés, Orange Mécanique - style : de son intrigue rocambolesque à ses héroïnes toutes en décibels, l'exercice relevait ici davantage du trip sous LSD que de l'animation tendre et poétique dont nos sages confrères se berçaient devant Ernest et Célestine. Eminemment foutraque, After School Midnighters se fera ainsi une joie de confronter fantômes farceurs, fillettes supposément kawaii, esprit vengeur prisonnier du petit-coin, OVNI et lapins revanchards au sein d'une trame conjuguant obtention de médailles (dans un esprit très vidéoludique), voyages dans le temps et combat contre le mal. Bon. Si le surplus d'informations, le rythme effréné et la tendance à l'hystérie frôlent l'indigestion, le voyage n'en reste pas moins méchamment déjanté. Le gros bémol incombe, pas de bol, aux trois héroïnes imbitables, dont l'animation démontre un sérieux décalage avec la 3D réussie des deux personnages ayant bénéficié d'une technique de motion capture.

 

 

Le point d'orgue de la journée, pour votre émissaire parfois groupie sur les bords, reposait dans la découverte très attendue de Down Terrace, premier film de Ben Wheatley, enfin distribué par Wild Side, après le passage remarqué du bonhomme lors de l'édition précédente du festival. L'occasion de nous entretenir une nouvelle fois avec le dernier venu dans la troupe des agitateurs britanniques, pour les besoins d'une interview prochainement en ligne. La découverte de Down Terrace donne ainsi tout son sens aux œuvres lui faisant suite, car partageant des thèmes communs (famille, mensonge et trahison), profondément enracinés dans le récit, ainsi qu'un ton instantanément identifiable. Dans Down Terrace, les héros en sont une fois de plus tout le contraire ; un père et son fils, fraîchement sortis de cabane, rentrent au bercail, peuplé de criminels plus ou moins apparentés à la famille, avec la ferme intention d'en découdre avec quiconque aura causé leur incarcération. Le polar, qui aurait pu régner en maître, cède progressivement la place à un humour carnassier (désormais coutumier du cinéaste), abordé sous un angle presque documentaire, recentrant de fait le récit, sans esbroufe, sur une poignée de protagonistes d'un naturel désarmant. Il faut dire que la plupart ne sont pas même comédiens, et que les liens unissant les personnages sont parfois, à l'image du patriarche et de son malfrat de fiston, les mêmes que ceux que partagent leurs interprètes.

 

 

L'Etrange Festival s'illustre également par des programmations inattendues. Improbables. Surréaliste. En témoigne la projection des Trois Supermen Turcs aux Jeux Olympiques, rareté présentée à l'issue d'une délicieuse petite mise en scène de Frédéric Temps et Jan Kounen, coupable du choix du film. Oui, coupable, le mot est lâché. Après avoir martyrisé les rétines des plus courageux avec Blood Freak, le cinéaste se proposait enfin de faire découvrir à une salle archi-pleine un film, de sa propre confession, vu une dizaine de fois, et jamais compris (car non sous-titré). L'idée était donc révolutionnaire : faire traduire en direct les dialogues, forcément indispensables, des Trois Supermen, en les assortissant de commentaires tout aussi primordiaux. Après moult mises en garde, le résultat s'avéra par conséquent aussi douloureux qu'hilarant, grâce à une animation bien sentie, qui sera parvenue à adoucir des séquences interminables et, pour citer Resolution,  véritables « punishers of the eyes ».

Si la bravoure nous a fait défaut pour assister à la nuit British (dont les films seront notamment repris dans les sélections du festival de Sitges, n'ayez crainte), nous avons tout de même assisté à la projection de God save the films, documentaire de David Périssère proposant un état des lieux du cinéma de genre anglais. Les interventions de Christopher Smith, Edgard Wright et autres Neil Marshall y sont relativement plaisantes, à défaut d'apporter une réelle plus-value informative à quiconque dispose déjà d'un minimum de savoir en la matière.

 

 

La (redoutée) dernière journée du festival aura enfin offert l'occasion de revoir, dans le cadre de la théma Motorpsycho, le Driver de Walter Hill, référence assumée (et difficilement contestable) du film de Nicolas Winding Refn. Glacial, percutant, épuré, jusque dans son générique, The Driver se fend d'un chauffeur mutique et magnétique, et d'une bande-son minimaliste, essentiellement constituée par les crissements de pneus nerveux de courses-poursuites aussi haletantes que soigneusement chorégraphiées.

L'élégance du western urbain ne caractérisera toutefois pas le film de clôture qu'était Dredd, bientôt chroniqué. Si le choix d'une action enfermée au sein d'un gigantesque immeuble de béton renvoie inévitablement au récent (et marquant) The Raid, les partis-pris graphiques se montrent parfois audacieux (à défaut d'être époustouflants), et le tandem de tête convaincant, à l'image d'une Lena Headey aussi exaltante que tristement sous-exploitée.

 


 

Un mot, enfin, du palmarès, qui inaugurait cette année l'entrée d'un prix du public : un même film se sera vu couronné des deux récompenses, à notre grande surprise, qui voyions volontiers un Citadel (ou un Insensibles, hurle Laurent Pécha) prendre sa place. Le norvégien Headhunters, par ailleurs film d'ouverture, aura ainsi ravi tous les suffrages, l'occasion de vous rappeler tout le bien que nous en avions pensé.

L'Etrange Festival fêtait en 2012 sa majorité ; rendez-vous en septembre prochain pour goûter de toute la décadence et de l'lmpertinence attendues au tournant.

 

Merci à Xavier Fayet

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.