Venise 2009 : Jour 3 [mise à jour]

Laurent Pécha | 4 septembre 2009
Laurent Pécha | 4 septembre 2009

L'état de grâce ne pouvait pas éternellement durer.

 

Jeudi soir, très, très tard.

Après avoir rencontré le duo Balaguero-Plaza et leur dire tout le bien que je pensais de leur Rec 2 en anglais pour cause de partage d'interview avec une charmante consoeur autrichienne (je rends service mais c'est vous qui allait en pâtir, chers lecteurs, car maintenant y a du sous-titres à faire), avec au passage la triste nouvelle de la journée (Rec 3, ce sera sans eux, malgré mes hurlements de tristesse), j'ai vu le premier film très moyen de la sélection. Au bien sûr, on est encore loin des purges de l'an dernier (qui ont presque dégoûté Jean-No de revenir sur la lagune) mais Prince of tears du chinois Yonfan ne restera pas dans ma mémoire. Basé sur une histoire vraie et inspiré de l'enfance du cinéaste, le film offre un indigent pudding de mélo à la chinoise. Sous couvert de montrer les ravages de la chasse anti-communiste dans le Taiwan des années 50 sur une famille entière, Yonfan en fait des tonnes. Si l'innocence et le naturel des jeunes filles passent encore bien, le triangle amoureux (le femme, son mari et le frère de ce dernier) est traité avec un manque de finesse fatal. Malgré des plans exagérément beaux (là aussi, c'est appuyé), Prince of tears sonne faux et n'arrive jamais à lier petite et grande Histoire comme il le voudrait si bien.

Une fin de soirée difficile qui me fait zapper la première projection de Lourdes avec Sylvie Testud. Le rendez-vous est pris pour demain à moins que les premiers avis éventuellement négatifs me donnent envie d'aller tester de la plage à la place. Bonne nouvelle, je me couches plus tôt que d'habitude (2h) et serai en forme pour le Bad Lieutenant d'Abel Ferrara.

Rendez-vous dans quelques heures pour le verdict. Si quelqu'un arrive à suivre la chronologie de ses chroniques vénitiennes, qu'il en soit remercier ici tant l'auteur de ces lignes a même du mal à suivre.

 

Vendredi 4 septembre : 11h

Ca y est, j'ai vu Bad Lieutenant de Werner Herzog avec Nicolas Cage dans le rôle titre. Et alors ? Ca a le mérite d'être déroutant. Je vous préviens tout de suite : à part le nom du film et le fait que le dit lieutenant est accroc aux drogues, les ressemblances avec le film de Ferrara n'ont pas lieu d'être. Petit joueur le Cage comparé au Keitel. A tel point qu'on se demande parfois s'il mérite vraiment son titre de « bad ». Bon d'accord, il se fait branler par une meuf devant le copain de cette dernière, il menace une vieille avec son magnum et il abuse gentiment de toutes les drogues qu'il peut trouver, mais tout ceci est fait sur le ton d'un humour décalé, propre d'ailleurs à la carrière du comédien. Bad lieutenant, film phagocyté par Cage ? Pas sûr puisque le Herzog a aussi un humour spécial et les deux semblent s'être trouvés. De là d'accoucher d'un film aussi mémorable que celui de Ferrara ? La réponse est non, trois fois non mais au rayon des films décalés et barrés, qui vivent leur propre vie sans se soucier de ce que peuvent penser ses spectateurs, Bad Lieutenant 2009 a sa petite place.

 

 

 

Pour me remettre de ce que je viens de voir, j'ai la grande idée d'aller suivre la conférence de presse de Valhalla rising, histoire de voir si Nicolas Winding Refn va apporter de l'eau à mon moulin et me permettre de comprendre ce que j'ai vu hier. Peine perdue, le bonhomme est aussi complexe et hermétique que son récit. On apprend tout juste qu'il fait des films violents pour s'exorciser et apparaître normal face à ses enfants. Et qu'il fait ses films à chaque fois comme si c'était le dernier. Un bien étrange personnage que ce Nicolas que je vais tenter d'aller interviewer aujourd'hui. Quant à Mads Mikkelsen, j'ai enfin entendu sa voix à Venise mais le comédien était de toute évidence encore dans son personnage de One Eye : 50 mots prononcés. Visiblement, il a souffert du tournage confirmant d'ailleurs qu'il ne passera pas de si tôt des vacances en Ecosse. Dur la vie d'un acteur !

Celle d'un journaliste est nettement plus terre à terre : il est où mon sandwich, il est 12h 30, j'ai faim !

 

18 h

Je me suis fait lourder de Lourdes, quatrième film de la compétition. Après avoir déjà renoncé à le voir hier soir pour cause de projection très tardive, mon petit doigt me dit que le film risque bien d'être au palmarès, histoire de me mettre les nerfs le dernier jour. Enfin, il y a une bonne raison pour cette omission : je suis allé interviewer Nicolas Winding Refn pour comprendre son Valhalla rising et comme je lui ai dit, pour faire de ma critique déjà publiée ici, un work in progress.

Un moment fort agréable avec un cinéaste d'une rare intelligence et qui m'a confirmé que ne pas comprendre son film n'est pas horrible, l'important est le voyage vécu durant la projection. Mission accomplie, Nicolas, je pense encore à ton film et oui, je vais monter ma note comme tu me l'as si gentillement suggérer. Et deux pour le prix d'un puisque One Eye alias Mads Mikkelsen s'est joint à nous durant l'interview. Un grand moment de n'importe quoi que j'ai filmé (on verra si c'est présentable à Paris) où la discussion est partie sur qui est le meilleur joueur de foot du monde (Mads étant un fan de foot, et la réponse n'a pas tardé : Mikael Laudrup, ah ces danois, encore plus chauvins que nous) mais aussi sur qui remportait un combat entre le Conan de l'époque et One Eye. Réponse de Mads : " Conan est un guerrier. One Eye est un dieu. Je lui casserai la tête. Sûrement pas derrière mais je l'abats." Enfin la bonne nouvelle pour vous, chers lecteurs, c'est que Valhalla rising va sortir en...mars 2010. Allez encore quelques mois à attendre et d'ic là, j'aurai peut être fait les ajouts à la critique. 

 

 

 

En partant, je boucle des interviews avec Claire Denis et Christophe Lambert  pour lundi (chouette, je vais pouvoir lui poser les questions qui manquaient à mon interview carrière, lire ici pour les retardataires) et je file à l'évènement de cette soirée : un film surprise. Une habitude ici à la Mostra sauf que cette année, les organisateurs ont décidé de garder le secret jusqu'au bout et je quitte donc la salle de presse pour faire la queue pour un film dont j'ignore tout. A tout à l'heure pour le nom et l'avis. 



21h

C'était décidément la journée Herzog à la Mostra puisque le film surprise n'était autre que My son, my son, what have ye done ? Deux films en compétition du même réalisateur, Venise n'avait jamais vu ça de récente mémoire. En producteur exécutif de cette histoire singulière, on retrouve le nom de David Lynch et l'ombre du cinéaste plane plus que de raison dans un récit au bord de l'étrange et de la folie. Basé sur une histoire vraie, le film nous embarque dans une prise d'otages bien particulière : Brad Macallam (Michael Shannon dans une performance presque aussi folle que celle de Bug) vient de tuer sauvagement sa mère et l'inspecteur de police interprété par Willem Dafoe va tenter de lui faire entendre raison. Pour cela, il aura besoin de l'aide de la petite amie de Brad (Chloë Sevigny) et de leur metteur en scène de théâtre (Udo Kier). A travers des flashbacks, ces deux-là vont raconter la lente dépression de Brad pour tenter d'expliquer comment il a pu commettre l'irréparable.

 

 

 

C'est dans ces retours en arrière que le film part dans des zones troubles qui rappellent l'univers lynchien. Mais il y a aussi l'horreur de la situation qui refait surface lorsqu'on revient dans les rues de San Diego et pour Herzog, de réaliser son premier film horrifique réaliste. On assiste impuissant à la dépression d'un homme ordinaire qui sans aucune raison particulière mis à part la frustration de ne pas pouvoir être le comédien amateur qu'il voudrait être, va doucement péter les plombs. En nous faisant rentrer dans l'intimité de ce personnage, ni plus sympathique ou antipathique qu'un autre, sans porter aucun jugement, Herzog trouve une vraie justesse de ton. A 67 ans, le cinéaste, plus enclin à faire dans le vrai-faux documentaire ces derniers temps, semble avoir trouvé un nouveau souffle. Bonne nouvelle car on l'aime le Werner !

 

Fin d'une journée longue. Demain, 5 films au programme dont le nouveau Patrice Chéreau, Tetsuo, the bullet man, le nouveau épisode de la saga de Tsukamato, le Michael Moore, Lourdes (si, si, je le verrai) et La Horde, histoire de voir si le Thomas Messias n'a pas eu tout faux. Bonne nuit ! 

 

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