Suzume, Your Name... pourquoi on aime autant les films de Makoto Shinkai

La Rédaction | 14 avril 2023 - MAJ : 07/07/2023 11:59
La Rédaction | 14 avril 2023 - MAJ : 07/07/2023 11:59

Avec Your Name et SuzumeMakoto Shinkai a confirmé qu'il est l'un des réalisateurs japonais les plus importants de sa génération. Retour sur sa filmographie.

Notre critique de Suzume

C'est désormais un cliché que de voir dans le moindre film d'animation japonaise un éventuel héritier du studio Ghibli et de son génie si particulier. Néanmoins, ce n'est peut-être pas un hasard si Makoto Shinkai est surnommé depuis pas mal d'années maintenant le "nouveau Miyazaki". Au-delà de sa sensibilité à fleur de peau, le réalisateur exploite à son plein potentiel le médium pour y puiser une émotion unique, qui s'attarde avec poésie et lyrisme sur les petits riens du quotidien, ou au contraire sur la majesté envoûtante d'une nature qui nous dépasse.

Depuis le succès mondial de Your Name, Makoto Shinkai est entré dans la cour des grands, et s'est imposé comme une nouvelle référence dans le domaine de la japanimation. Si les puristes ont perçu le talent du bonhomme dès ses premiers courts-métrages (Elle et son chat, The Voices of a Distant Star), sa filmographie se démarque par sa cohérence, ses thèmes égrénés de film en film et la beauté de ses histoires d'amour déchirantes. La sortie de son nouveau bijou, le méga-carton Suzume, est l'occasion parfaite de revenir sur cette carrière passionnante et en pleine expansion.

 

Suzume : photoUn ciel bleu, des rayons de lumière et un potit chat

 

La Tour au-delà des nuages

Sortie : 2004 - Durée : 1h31

 

La Tour au-delà des nuages : photoMakoto Shinkai et les prairies : une histoire d'amour

 

Comme beaucoup de premiers longs-métrages, La Tour au-delà des nuages a des airs de (très beau) brouillon. Le style de Makoto Shinkai s’y impose déjà avec force, quitte à ce que l’assemblage de ses obsessions soit ici un peu moins fluide que dans ses propositions suivantes.

Néanmoins, difficile de bouder son plaisir, surtout que le film se prête à un décorticage en rapport avec les œuvres suivantes du cinéaste. Dans ce Japon uchronique divisée suite à la Seconde Guerre mondiale, Shinkai réveille non seulement les traumatismes collectifs de toute une société, mais aussi la crainte d’une histoire alternative qui renvoie à pas mal des états asiatiques voisins.

Cette scission est bien sûr au cœur d’une histoire d’amour contrariée, marotte essentielle d’un réalisateur qui contraste ici la beauté éthérée de la nature avec des élans de science-fiction froids et symétriques. Au travers de cette immense tour qui s’élève dans les cieux (et qui renferme la clé vers des univers parallèles), Shinkai pollue ses panoramas et la pureté de l'horizon. Le ciel est d'ailleurs un protagoniste à part entière dans La Tour au-delà des nuages, qui envahit les plans et s’imprègne de mystère. Un mystère qui fait de l’aviation l’appel à l’aventure et à l’évasion ultime... bien avant que Miyazaki n’en fasse le cœur émotionnel du Vent se lève.

 

5 Centimètres par seconde

Sortie : 2007 - Durée : 1h03

 

5 centimètres par seconde : photoTears in the snow

 

Véritable palier dans la carrière de Makoto Shinkai, 5 centimètres par seconde a connu un succès torrentiel, ne serait-ce que pour les cascades de larmes qu’il a engendrées chez ses spectateurs. C’est avec cette chronique amoureuse, d’une simplicité désarmante, que l’auteur s’est démarqué comme le nouveau nom à suivre de l’animation japonaise.

Divisée en trois parties, le récit se concentre sur l’amour naissant entre Takaki et Akari, avant que des déménagements ne les séparent. Si le premier segment s’attarde avec tendresse sur la réunion passionnée de ses protagonistes après une tempête de neige, Shinkai désamorce de façon abrupte cette relation, par ses ellipses et par ses inserts toujours aussi sublimes sur les détails de la vie quotidienne.

La poésie de Shinkai, c’est celle de ces plans, où le mouvement de l’animation reflète par une brise, un train en marche ou une fleur de cerisier qui tombe le temps qui passe. Un temps implacable, qui amène le non-dit à séparer les êtres, et à scinder les destins. L’idée peut sembler évidente, mais ce lyrisme est magnifié par le sérieux avec lequel le réalisateur traite cette passion inavouée, qui se transforme en triangle amoureux bouleversant. Les émotions s’expriment par tous les pores des photogrammes, mais ne peuvent se retrouver dans les mots que les personnages pensent, tout en étant incapables de les communiquer à l’être aimé.

 

Voyage vers Agartha

Sortie : 2011 - Durée : 1h56

 

Voyage vers Agartha : photoComme une impression de déjà-vu, mais pas encore vu

Si Your Name peut être considéré comme l'oeuvre matricielle de la filmographie de Makoto Shinkai, Voyage vers Agartha peut être vu comme une sorte de travail préparatoire, notamment dans ses thématiques. Son rythme est un peu longuet et son scénario compte trop de facilités et de raccourcis, mais le film réunit les fils rouges du cinéaste : la jeunesse, la romance, le deuil, le rapport au passé et à la mémoire, la culture japonaise et les dimensions fantastiques.

De même, s'il est forcément moins abouti sur le plan technique (en particulier l'animation des personnages et le character design), le film garde une forte identité visuelle et une direction artistique déjà reconnaissable entre mille. On peut citer les grandes étendues bucoliques où le surnaturel prend place et les plans de cieux éthérés, teintés de bleu et de rose avec des astres lumineux (ce qu'on retrouve ensuite dans Your Name, Suzume et dans une moindre mesure Les Enfants du Temps). 

C'est aussi un des derniers longs-métrages entièrement mélancoliques, avec un final doux-amer, voire contrariant, qui rappelle la sidération de 5 centimètres par seconde et La Tour au-delà des nuages. En revanche, plus qu'aucun autre film qu'il a réalisé, Voyage vers Agartha dégage un souffle combattif et épique, et déroule la mythologie la plus riche, le gros de l'action se déroulant dans le monde fictif et magique d'Agartha. De fait, il s'agit également de son film le plus sombre et violent, en particulier lors d'une scène d'enlèvement nocturne littéralement cauchemardesque. Ainsi, Voyage vers Agartha s'apparente autant à la fin d'une ère qu'au début d'une nouvelle pour l'artiste. 

 

The Garden of Words

Sortie : 2013 - Durée : 45 minutes

 

The Garden of Words : photoLe spleen shinkaien 

Même si on a fait l'impasse sur ses courts métrages, impossible de ne pas s'arrêter sur son moyen métrage The Garden of Words. Au risque de se répéter, Makoto Shinkai est un maître en matière de romance fâchée et d'amour inconsommé. Avec ce récit plus condensé, qu'il a scénarisé et monté, il libère un calme et une poésie subjuguante, faisant de cette oeuvre sa plus contemplative  la poésie traditionnelle japonaise jouant un rôle déterminant dans la relation naissante entre les deux protagonistes. Mais si leur attachement reste platonique et que leur destin diverge, le point final de leur relation n'est jamais que le point de départ de leur propre histoire, toujours dans le but de laisser ses personnages s'accomplir et s'épanouir dans la résilience.

La nature se retrouve quant à elle une fois de plus au centre du cadre, ce qui participe à l'ambiance méditative et perméable. Le récit fait des pauses en se concentrant sur des branches, des feuilles, des gouttes d'eau ou d'autres éléments naturels qui sont parfois au premier plan, pour marquer leur distance de moins en moins évidente. De fait, la pluie est ici un autre motif, moins discret, qui renvoie autant à la solitude et à la mélancolie des personnages qu'à leur lien équivoque et salvateur.

 

Your Name

Sortie : 2016 - Durée : 1h50

 

Your Name : Photo your nameAscension au firmament

 

C'est de loin le film le plus débattu de sa filmographie... et l'une des oeuvres les plus célèbres du cinéma d'animation japonais actuel. Célèbre pour avoir détrôné la plupart des productions Ghibli des cimes du box-office local et avoir dépassé le cap des 382 millions de dollars de recettes au box-office mondial. Célèbre pour avoir su flatter une génération d'adolescents et d'adolescentes et avoir constitué chez eux et elles un véritable phénomène. Célèbre pour être d'ores et déjà une pierre angulaire de la culture populaire contemporaine, au Japon et ailleurs.

Il faut dire qu'il a tout pour plaire avec son histoire d'amour fantastique adolescente, ses décors chatoyants, son animation superbe et sa narration qui mime la simplicité avant de se déployer dans un crescendo sensoriel et sentimental. Tous les ingrédients sont là, mais il fallait bien le génie de Makoto Shinkai pour les transcender complètement, pour s'emparer des thèmes classiques de la maladresse des premiers sentiments, de la découverte de son corps et du corps des autres afin de synthétiser en moins de deux heures un sentiment bien précis.

Your Name a émerveillé le monde entier, selon ses propres règles : celles d'un cinéma vivant et d'une créativité dingue, qui peut encore prendre d'assaut les salles occidentales. Quant à son auteur, il est devenu le créateur le plus en vue de l'industrie qu'il a merveilleusement bien représentée. Les choses ne faisaient que commencer.

 

Les Enfants du temps

Sortie : 2019 - Durée : 1h50

 

Weathering with You : photoJ'veux du soleil

 

Après le ras de marée Your Name, beaucoup des admirateurs récemment ralliés du cinéaste ont été déçus par Weathering with You, connu en France sous le titre archi-générique Les Enfants du temps. Et pour cause : le postulat fantastique rappelle son prédécesseur, mais jamais il ne monte dans les tours à ce point. Plutôt que de recycler le dernier acte hyper-ambitieux de son plus grand succès, Makoto Shinkai préfère se recentrer sur son univers météorologique.

Le film n'en est pas moins sublime. Au sommet de leur art quand il s'agit de mélanger les techniques, les artisans de CoMix composent des panoramas célestes ébouriffants. Et c'est là toute la force du long-métrage, qu'il n'est pas interdit de préférer à Your Name. Il est question de ce qui lie l'immensité du ciel et les mystères de ses caprices aux relations humaines. Un rapport entre l'intime et la grandeur naturelle qui a toujours guidé son oeuvre, mais qui atteint ici son paroxysme, ironiquement dépouillé de tout artifice. Et forcément, c'est déchirant.

 

Suzume

Sortie : 2023 - Durée : 2h02

 

Suzume : photo"J'aimerais devenir la chaise sur laquelle elle s'assoit"

 

Suzume a quelque chose de l’œuvre terminale, ou du moins de la fin d’un cycle pour Makoto Shinkai. Peut-être est-ce dû au risque que prend ici le cinéaste, en condensant toutes ses obsessions dans une narration fantastique ouvertement programmatique, où un duo de personnages se doit de refermer des portes menant vers une dimension dangereuse.

Pourtant, jamais ce parti-pris ne lasse ou ennuie. Au contraire, la dimension épique du long-métrage désarme dans ses premiers instants, d’autant que le réalisateur la contraste assez vite avec un humour étonnant, à base de petit chat et de chaise qui parlent.

Les catastrophes naturelles si ancrées dans la culture japonaise (et dans la filmographie de Shinkai) se personnifient, et laissent voir les zones vides et abandonnées d’un pays meurtri. Grâce à son postulat fantastique, Suzume revisite le passé et les traumatismes par la poésie de la ruine, que ce soit ceux de ses personnages, ou ceux d’une société tout entière. Les portes vers cet ailleurs aussi fascinant qu’inquiétant permettent ainsi au cinéaste de déverser littéralement ses motifs, ses espoirs, ses doutes et ses craintes dans un film d’une densité bouleversante. Sans nul doute l’aboutissement d’une carrière en permanente évolution.

Dossier réalisé par Antoine Desrues, Mathieu Jaborska et Déborah Lechner.

Tout savoir sur Suzume

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commentaires
Marc en RAGE
16/04/2023 à 13:01

@Cidjay

Sur NETFLIX il y a des Animes et des Chef-d'oeuvre AKIRA et PRINCESS MONONOKÉ et la série Cyberpunk Edgerunner. Tout les films du Studio GUILBI ):)

Altaïr Demantia
15/04/2023 à 18:18

@Cidjay

Si les animés-séries mettent en scène des ados c'est parce que c'est d'abord à eux que ces séries s'adressent. Mais il y a des séries seinen, donc pour public adulte/averti, moins nombreuses, mais ça existe. Par exemple "My home hero".

Pour ce qui est des animés-films, il y a de tout, par contre.

Le fait que les héroïnes/héros de Shinkai soient souvent des adolescent ou des jeunes adultes est un parti-pris de sa part - on pourrait dire la même chose de Myazaki - mais ça ne fait pas de ses oeuvres des histoires pour ados, au contraire. Il traite de sujets universels et sur un ton adulte.

Cidjay
14/04/2023 à 17:47

J'en peux plus des Lycéens...
Est-ce qu'on a le droit d'avoir des animés qui ne se centrent pas sur des ados ?
Est-ce qu'on a le droit d'être adulte et d'aimer l'animation et d'avoir des animés avec des personnages plus profonds, plus complexes, plus matures.