Terrifier 2 : improbable succès au box-office pour le film le plus gore de l'année

C'est le film le plus gore, mais aussi le plus improbable de l'année : le quasi-amateur Terrifier 2 est un énorme succès au box-office.

2022 aura été l'année de tous les dangers au box-office pour les gros requins, où seuls deux films ont passé le cap du milliard. Si certaines valeurs sûres ont fait de gros scores attendus (Doctor Strange 2, Black Panther 2, Jurassic World 3, The Batman...), on compte surtout énormément de violentes mauvaises surprises (Morbius, Black Adam, Les Animaux fantastiques 3...). En dehors de l'incroyable performance de Top Gun : Maverick, les bonnes surprises, elles, étaient plutôt du côté de films à échelles plus petites comme Smile ou Sonic 2, voire à chercher dans l'indé Everything Everywhere All at Once.

2022 est si particulière que le film le plus rentable de toute l'année est carrément un film quasi amateur (mais d'auteur) ultra-gore : Terrifier 2, et écrit et réalisé par Damien Leone, suite de Terrifier. Vous n'en avez jamais entendu parler ? C'est normal, pas de panique, on vous explique.

Assieds-toi là, papa Écran Large va prendre soin de toi

DE PROFUNDIS CINEMAE

Si Damien Leone n'en est pas à son premier coup d'essai avec Terrifier 2 et qu'il a pu bénéficier cette fois de l'aide d'une (microscopique) société de production, le cinéaste n'en est pas moins ce qu'on pourrait appeler un amateur, sans connotation péjorative. Réaliser des films n'est en effet pas la pratique professionnelle principale de Damien Leone, et toutes ses œuvres ont été autoproduites et réalisées complètement en dehors des circuits classiques avant de sortir directement en vidéo, parfois sur un nombre très limité de supports.

Son précédent Terrifier avait, par exemple, été tourné avec 35 000 dollars en tout et pour tout, obtenus grâce à un crowdfunding. Malgré des critiques très mitigées, Terrifier a su fédérer une petite base qui a répondu à l'appel d'un second crowdfunding pour Terrifier 2. Miracle ? Pas encore, mais un peu quand même, Damien Leone récolte cette fois 250 000 dollars. Une poussière d'atome même pour un film d'horreur classique. À titre de comparaison cela représente moins de 1,5% du budget de Smile, et même le méga fauché X a été tourné avec 1 million, soit quatre fois plus de moyens. Dans un autre style, même Blood Machines avait été tourné avec 600 000 euros.

Terrifier revient avec son personnage principal : Art the Clown

Mais rien de tout cela n'arrête Damien Leone dans son projet fou. D'ailleurs, là où Smile et X rendent des copies de 1h40-1h50 et où Blood Machines faisait tout juste une heure, son œuvre aura une durée absurde de 2h20. Moins d'argent, mais plus d'images, allez comprendre. Quand on n’a pas de pétrole, on a des idées (noires), sans doute. Mais attendez, il y a mieux. Car une fois un film tourné, il faut le sortir, et devinez qui se porte distributeur de Terrifier 2 ?

Personne, hormis le site spécialisé dans l'horreur Bloody Disgusting qui conduit également une micro-activité de producteur/distributeur sur le côté, là encore en semi-amateur donc. Fin des problèmes ? Toujours pas : il n'y a pas d'argent pour faire la promotion du film, et en plus, d'après Variety, Terrifier 2 n'a pas reçu de censure de la part de la Motion Picture Association.

Sans rating de la part du syndicat et traînant une réputation extrêmement gore, Terrifier 2 se voit refuser l'accès aux principaux circuits de salles, et ne sort dans un premier temps que sur un nombre limité de 886 écrans dans un parc qui peut monter jusqu'à 5500 copies. Et encore : beaucoup de salles n'acceptent de donner au film que trois séances non pas par jour, mais par semaine. Vilain petit canard cradingue de l'underground, planqué honteusement derrière le rideau crasseux que n'osent franchir que les spectateurs obscènes (Mathieu Jaborska que fais-tu là ?), Terrifier 2 est mis au coin le jour même de sa sortie. Et là, comme La Montagne sur Oberyn Martell : paf la pastèque.

Vilaine pastèque

POWER ART-HOUSE

Sans autre forme de promotion qu'une bande-annonce, une petite tournée de festivals et quelques critiques favorables, Terrifier 2 récolte 805 000 dollars dès son premier week-end – 955 000 dollars si on compte le lundi férié suivant. Le film est instantanément remboursé. Loin d'être un boulet, sa réputation extrêmement gore et sa rareté jouent en faveur du film, et chaque séance est complète ou presque.

Mieux encore, cette réputation, loin de se dégonfler, enfle encore suite à cette première exposition au public : des gens vomissent et/ou perdent connaissance. Même les secours sont parfois appelés, soit l'honneur suprême pour un film d'horreur. Dans les semaines qui suivent, Terrifier 2 explose. Alors que 70 écrans déprogramment le film en deuxième semaine, Terrifier 2 fait un meilleur résultat avec 28% de recettes en plus sur son deuxième week-end : 1 million de dollars dans la poche. L'œuvre de Damien Leone est sous le feu des projecteurs, même Stephen King se fend d'un tweet.

TERRIFIER 2: Grossin’ you out old-school.

— Stephen King (@StephenKing) October 20, 2022

"Terrifier 2 : gerbant comme à la bonne époque"

Troisième semaine, c'est l'accélération : Terrifier 2 reste à un niveau de programmation inférieur à la première semaine malgré une augmentation sensible du nombre d'écrans (55 de plus), et pourtant, son troisième week-end s'envole comme une fusée vers la porte de Jupiter : +70% par rapport à une deuxième semaine déjà exceptionnelle. Total des recettes sur ce troisième week-end : 1,75 million de dollars.

Quatrième semaine, la dernière d'octobre 2022 c'est l'apothéose. Pour Halloween, les exploitants se ruent sur Terrifier 2 qui plus que double sa diffusion en passant de 755 écrans à 1550 et grappille encore +8,5% de recettes par rapport à sa phénoménale troisième semaine. 1,9 million de dollars supplémentaires viennent grossir un trésor de guerre déjà faramineux.

Attention ça va couper

Cinquième semaine, c'est la cerise d'hémoglobine sur le gâteau de tripes. Pour la première fois, Terrifier 2 enregistre une perte de fréquentation. La chute est cependant tout à fait correcte avec -40% de recettes, et encore 1,1 million de dollars braqués au box-office. Terrifier 2 retourne ensuite dans les obscures salles et drive-in qui l'ont vu naître, récupère 361 000 dollars de plus en deux semaines avant de s'éteindre à Thanksgiving.

Bilan final : alors qu'il a coûté 250 000 dollars à produire et probablement des clopinettes à distribuer, Terrifier 2 trône sur 11,5 millions de dollars, dont 92,5% (10,6 millions) sur le marché américain seul. Soit 46 fois plus que son budget.

Maman j'ai cramé le box-office

HALT or CATCH FIRE

"Terrifier 2 s'est enflammé d'une manière qui n'arrive jamais pour un film qui ne vient pas d'une major”, dixit un analyste vétéran de Comscore. Tu l'as dit bouffi. Le succès de Terrifier 2 est si ahurissant que c'est le film le plus rentable de tout 2022, majors, minors, indés et amateurs confondus. Et de très loin : même les opérations les plus lucratives de l'année sont à des années-lumière d'un tel ratio de rentabilité, comme Smile (12,6) Top Gun : Maverick (8,7), Jurassic World : Le Monde d'après (6,1) ou même le "phénomène" indé Everything Everywhere All at Once (4,0). Même un standard du genre comme Conjuring premier du nom n'avait récolté que 16 fois son budget.

Évidemment, en valeur absolue, les résultats sont incomparables et Terrifier 2 se retrouve instantanément écrasé par un peu tout le monde, même par X de Ti West (mais pas par le prequel Pearl, du moins pas encore). Mais il faut bien se rappeler qu'on parle d'un splatter semi-amateur, et qu'en tant que tel, rien que se hisser au niveau de films professionnels mêmes venus du fin fond de l'indé est déjà un tour de force indéniable. Cependant, l'honnêteté nous commande également de dire que, au regard de l'histoire du genre horreur, Terrifier 2 n'est pas parti pour marquer les annales.

Petit ange ne vole pas assez haut

Même si Terrifier 2 est une belle anomalie, sa percée n'est pas à la hauteur des légendes du genre. Le Projet Blair Witch reste à des années-lumière devant avec ses 250 millions de dollars au box-office et son ratio budget/recettes infernal de 413,8, tandis que la vache sacrée Paranormal Activity demeure intouchable : 194 millions de dollars au box-office certes, mais un ratio budget/recettes de 431,5. Un record toujours indéboulonnable... bien qu'à prendre avec des pincettes, puisque le budget marketing n'est pas pris en compte (rappelons que contrairement au Projet Blair Witch, Paranormal Activity avait été promu au rouleau compresseur par une major, Paramount).

Plus récemment encore, le microscopique The Wretched avait su créer la sensation en 2019-2020, et avait converti un budget de 66 000 dollars en 4,6 millions de dollars de recettes. C'est beaucoup moins que Terrifier 2 en valeur absolue, mais c'est 70 fois la mise de départ, et donc un ratio bien supérieur. Et même dans les profondeurs de l'histoire, le Halloween de 1978 réalisé par John Carpenter avait rapporté 216 fois son budget initial : 325 000 dollars transformés en 70 millions de dollars au box-office. Notons cependant qu'au petit jeu des conversions, Terrifier 2 passe devant L'Exorciste, qui avait rapporté 428 millions de dollars pour une mise de départ à 12 millions de dollars, soit un ratio budget/recettes de 35,7.

Écran Large, vous êtes si vilains

Mais à tout seigneur tout honneur : il convient de rappeler que tous ses résultats impressionnants ont été, à un moment ou l'autre, poussés par des sociétés de distribution ou initiés par des sociétés de production – certes de plus ou moins grandes tailles – alors que Terrifier 2 s'est débrouillé tout seul. Il faut aussi rappeler que le monde de 2022 n'a rien à voir avec le monde 1979 ou même du début des années 2000, et que l'ère internet et du numérique rend impossible ce type d'exploitations parallèles/bis/Z qui ont fait les succès de Roger Corman, Lucio Fulci et autres Herschell Gordon Lewis.

N'oubliez pas d'emmener vos enfants au cinéma

BLESSED ARE THE SICK

De ce point de vue là, Terrifier 2 réussit très largement son coup, mieux même que The Wretched car il a été bien plus vu. Il n'y a aucune ambiguïté sur le succès de Terrifier 2. Ni sur son authenticité ni sur son ampleur, que les autres 99,99% de films amateurs ou indés enfermés dans des sorties limitées ou des tournées de festivals rêveraient d'avoir. Mais alors, pourquoi Terrifier 2, et pas une autre de ces gouttes d'eau perdues dans l'océan cinématographique ?

Évidemment, la réputation de vomito-minute a suscité la curiosité au point d'en faire l'attraction du moment. Une partie de l'équipe ayant vu Terrifier 2, la rédaction ira même jusqu'à s'avancer en disant que le film n'a absolument pas volé son infecte renommée. Notre critique (Mathieu Jaborska, encore toi ?) en dira plus lors de la sortie française en janvier, mais Terrifier 2 est bien le film le plus dégueulasse de 2022 (mais 2023 chez nous) avec The Sadness, et tient donc toutes ses promesses. Et qui dit promesses tenues, dit spectateurs satisfaits, et dit bouche-à-oreille positif. En son genre, Terrifier 2 est donc un bon film, du moins a-t-il su satisfaire les attentes de son public (bande de dégénérés). Mais il n'y a pas que cela.

Un peu salissante cette mode du date Bone Tomahawk

C'est à n'y rien comprendre, mais octobre 2022 a été complètement déserté : 45,5% de films d'horreur en moins dans les salles de cinéma par rapport à 2019. Soit deux films seulement à se mettre sous la dent au cinéma : Halloween Ends, qui n'a pas fait grand bruit, et Smile, qui a su tirer parti du vide global et de la tiédeur du premier. Mais nul doute que Terrifier 2 a également profité de l'appel d'air et s'est trouvé au meilleur endroit au meilleur moment. Par corollaire, sa radicalité de grindhouse/splatter movie a sûrement attiré un public qui voulait du sang de la chique et du mollard pendant 2h20 excessives, et ne pouvait donc se contenter d'un petit tour de train fantôme pour Halloween.

D'aucuns y voient également une envie du public de se tourner vers des productions plus indépendantes, peut-être moins timorées et plus originales que les productions des majors et leurs ribambelles de suite. Pour nous, c'est un argument trop abstrait et difficilement convaincant. Il y a manifestement un certain enthousiasme autour d'une scène plus underground en 2022 dans le genre de l'horreur, en témoignent X, Pearl, Barbare, et même quelque part Smile, film de major déguisé en production indépendante. D'un autre côté, même si Nope et Halloween Ends ont été de semi-déceptions, cela ne les a pas empêchés d'être rentables et de récolter des centaines de millions de dollars.

De l'Art, ou du cochon, j'écris ton nom

Dernier exemple, le plus parlant de tous : Scream. Un pur produit de studio et un gros succès au box-office, avec 140 millions de dollars de recettes pour un budget de 25 millions de dollars. Tout cela pour dire que le type de production est en réalité un argument pour cinéphile et que le public y prête beaucoup moins attention que ce qu'on s'imagine.

Quelque part tant mieux, car c'est exactement ce qui le rend insaisissable, et donc capable de porter aux nues aussi bien une grosse machine qu'un film maison financé par du crowdfunding comme Terrifier 2... pour peu qu'on lui permette d'avoir accès à égalité à tous les films, mais c'est une autre discussion, aussi passionnante que compliquée. En attendant, Terrifier 2 sera bien accessible en France puisqu'il sortira en salles le 11 janvier 2023. Comptez évidemment sur nous pour vous en reparler.