Souvent couronné grand chantre de la violence, Takashi Miike en faisait l'exégèse dans l'un de ses chefs-d'œuvre : Ichi the killer.
En 1999, fraichement révélé à la critique et au monde entier grâce au très respecté, quoiqu’accueilli avec méfiance, Audition, Takashi Miike sort Dead or Alive, qui débarque donc par la force des choses sur les écrans occidentaux. Le film en choque certains, en satisfait d'autres et frustre quelques amateurs de cinéma d'exploitation et de polars bourrins. Après une séquence d'introduction sous speed, enchainant meurtres délirants et aspirations de lignes de coke au kilomètre, il accuse selon eux une baisse de rythme. Et ce n'est pas le sensible et émouvant second opus qui les soulagera.
Il leur faudra attendre 2001 pour que Takashi Miike, qui se sera depuis définitivement créé de toutes pièces une réputation de trublion du mauvais goût (Visitor Q n'y sera pas pour rien), leur accorde leur shoot de Yakuza Eiga gore, et bien plus encore. L'immense Ichi the killer ne ralentit jamais pendant plus de deux heures, enchainant les séquences d'anthologie disproportionnées (mais que fait la police ?) avec un tel jusqu'au-boutisme qu'il en dit beaucoup sur son réalisateur et sa vision de la violence.
Drop the Miike
Ichi the killer est peut-être le film le plus symptomatique du paradoxe inhérent à la carrière du cinéaste. Les cinéphiles qui le vénèrent, particulièrement en occident, où sa réputation sulfureuse a inspiré un petit culte, s'accordent souvent à attribuer sa versatilité à son tempérament artistique. Voyant en Takashi Miike un auteur, ils listent ses obsessions, dont Ichi serait la compilation brute.
Et il serait en effet tentant d'en faire un condensé de ses thèmes : l'amour du Yakuza Eiga, une certaine tendance au sadomasochisme (le comédien Susumu Terajima aurait passé de nombreuses heures suspendu à ses crochets lors du tournage de la célèbre scène de torture, 8 selon Tadanobu Asano, 12 selon Miike dans Cinemasie), une passion pour les aiguilles bien pointues, les antihéros bien sales et les relations hommes/femmes bien sordides. Sans oublier bien sûr une esthétique disgracieuse saturée de grain, un montage parfois anarchique et le quartier de Shinjuku, arrondissement de Tokyo et terrain de jeu de prédilection des guerres de gang fictionnelles.
Une séance de chatouilles impressionnante
Pourtant, le réalisateur a débuté sa masterclass au Festival du Film international de Singapour, relayée par The Hollywood Reporter, sur ces mots : "Mon style, c'est de ne pas avoir de style". À Cannes, en 2017, il allait plus loin au micro de FirstShowing : "Je ne choisis pas mes projets. Les projets me choisissent". Au grand dam de la cinéphilie occidentale (et surtout française) le cinéaste, qui a aussi déclaré ne jamais avoir vraiment quitté le V-Cinéma, se veut presque un "anti-auteur", au point d'accepter à peu près tout et n'importe quoi, dans l'ordre : "C'est l'ordre dans lequel je fais mes films, le premier à venir. Premier arrivé, premier servi".
Comme son autre grand succès d'estime, Audition, Ichi the killer est donc bien une adaptation. L'adaptation d'un Seinen en 10 volumes de la fin des années 1990, écrit par Hideo Yamamoto. Le mangaka est connu pour sa discrétion et une oeuvre très, très sombre, dont fait également partie Homunculus, transposé récemment au cinéma par Takashi Shimizu. C'est Sakichi Satô, par ailleurs également acteur (il apparait dans le film), qui s'est chargé du scénario. Takashi Miike, quant à lui, en est resté à sa spécialité : emballer le tout en très peu de temps, un mois de tournage pour être précis.
Le Joker peut aller se rhabiller
Le statut du film vient surtout du manga, lui-même ultra-violent et provocateur. Le sadomasochisme qui plane sur le récit et motive les actions des personnages parait émaner des essais précédents du cinéaste, comme Audition et bien sûr Full Metal Yakuza, alors qu'il est directement tiré de l'oeuvre de Yamamoto. De même que l'omniprésence d'une violence complètement disproportionnée était déjà dans le matériau original, quand bien même on aime en faire une conséquence de la folie de Takashi Miike. Pourtant, le metteur en scène reste responsable du génie du long-métrage : il est le seul à être assez punk pour étaler ce concentré de noirceur sur pellicule.
Yakuza Apocalypse
Lorsqu'il déclarait n'avoir jamais quitté l'école du V-Cinéma (le direct-to-video japonais, à destination des vidéoclubs), le réalisateur avouait surtout continuer à faire du cinéma de niche, alors qu'il était sous les feux des festivals internationaux et de la critique occidentale, bien plus facilement impressionnable que le chineur de bis des années 1990.
Si Ichi the killer est devenu culte, c'est parce qu'il ose déborder de cette niche, et par conséquent complètement bouleverser la vision mainstream du cinéma de genre. C'est simple : c'était du jamais vu. Si bien que lorsque le très respectable The Hollywood Reporter lui a consacré un article, il l'a titré : "In 2001, Takashi Miike Brought Ultra Violence to the Mainstream with ‘Ichi the Killer’" (En 2001, Takashi Miike a invité l'ultra-violence dans le cinéma grand public). Fort du succès d'estime d'Audition, le cinéaste a achevé d'exposer - sans concession - une culture presque clandestine aux yeux de spectateurs européens qui n'en demandaient pas tant.
L'un des gros plans les plus sales jamais tournés
Takashi Miike admettait dans sa masterclass à la BFI qu'Audition et en particulier sa scène finale, avaient pavé la voie au torture-porn américain, qui a triomphé à travers le monde au début des années 2000, sous l'impulsion des suites de Saw et des Hostel. Mais Ichi n'est pas non plus étranger à son succès. Rétrospectivement, ils sont beaucoup à le glisser, un peu hâtivement, dans cette catégorie. En réalité, il fait presque office de transition entre le cinéma extrême japonais, réservé aux initiés (le premier Guinea Pig date de 1985), et la culture populaire horrifique.
Pour rappel, le film raconte le duel à distance entre Ichi et Kakihara, plus barbares encore que les guerres de gang dans lesquelles ils se positionnent, si bien que le récit les éjecte vite de ces affrontements politiques pour se concentrer sur leur confrontation. Progressivement, Takashi Miike et Sakichi Satô délaissent le Yakuza Eiga pour fabriquer un univers de pur chaos, où même les brutes les plus coriaces du genre vomissent leur petit dej'. L'idée est évidemment d'aller plus loin encore que les extrêmes connus du cinéma japonais (le film de Yakuza est par essence réputé violent) et faire de Shinjuku, déjà mis en scène de cette manière dans Les Affranchis de Shinjuku et Dead or Alive, le bastion de la sauvagerie humaine.
En résulte une explosion de nihilisme inédite à l'époque. Après trois minutes de film, une séquence de viol particulièrement brutale vient refuser le concept même de curseur moral et la traque d'Ichi se transforme en manifeste misanthrope. Tous les personnages sont, au choix, de fieffés salopards, des meurtriers psychotiques et libidineux ou des empereurs du sadomasochisme ne vivant que pour la douleur, subie et infligée. Les rares exceptions finissent purement et simplement anéanties.
Violence Voyager
Ainsi, si dans la plupart des films de Takashi Miike, la violence est un moyen plutôt qu'une fin, comme il le reconnait lui-même, Ichi the killer est peut-être l'un des seuls à accepter comme sujet sa propre brutalité. C'est du moins l'analyse de Tom Mes, spécialiste de son cinéma déjà cité dans ces colones. Dans son livre Agitator: The Cinema of Takashi Miike, l'essayiste décrit le long-métrage comme un test de notre propre réaction à la violence.
Pour lui, il développe un point de vue sur le sujet en alternant entre ses usages. D'un côté, il y a la violence décomplexée, délirante, qui rappelle presque les grandes heures du splatter lorsque les pièces sont recouvertes de viscères, de la moquette au plafond, et que les visages sont projetés contre les murs tels de vulgaires frisbees de chair, sans compter la fameuse scène du découpage vertical, volontairement ridiculisée par des effets spéciaux numériques exubérants. De l'autre, il y a la violence malsaine, sexuelle, psychologique et traumatisante, montrée bien moins frontalement, puisque la séquence d'arrachage de tétons ou les viols par exemple, bénéficient d'un montage bien moins généreux.
Tableau de la renaissance made in Takashi Miike
À contrecourant des techniciens qui se vautrent dans l'exploitation la plus putassière, il adapte tout de même sa mise en scène, et - toujours selon Mes - traite différemment les victimes féminines et masculines. À l'époque, beaucoup en ont profité pour ressortir les traditionnelles accusations de misogynie. Pourtant, le film caractérise bien les différents régimes de violences auxquels sont confrontés les deux genres. Chez les hommes, tous plus dangereux les uns que les autres, c'est un divertissement. Chez les femmes, une terrible épée de Damoclès et un instrument d'oppression dévastateur.
Le long-métrage en devient presque misandre sur les bords, notamment à travers le personnage d'Ishi, représentation archétypale de la domination masculine, auquel on a inculqué des fantasmes de viol pour "en faire un homme" et qui massacre ses congénères pour mieux abuser lui-même des femmes. Un pur produit de la société masculine délirante qu'est Shinjuku, supplicié justement par la dualité entre ces deux régimes. Rarement tendre envers la société japonaise, Takashi Miike étrille ici, à la seule force de sa mise en scène, la culture populaire dans son intégralité. C'est la clé de compréhension de son rapport à la violence.
Duel au sommet (littéralement)
À l'époque de la sortie, il confiait à un Guardian obsédé par ses frasques :
"Les gens disent que mes films sont violents. Je ne pense pas. Pour moi, mettre autant de sang dans un film n'est pas vraiment effrayant. Quand je regarde un film hollywoodien normal comme, disons, L'inspecteur Harry, où le héros tue tant de gens, y compris de simples curieux, sans contrepartie, c'est bien plus horrifique pour moi."
Dans Ichi, chaque personnage bâtit son identité, sexuelle et psychique, sur un rapport de domination, du masochiste Kakihara, en roue libre sans les brimades de son patron, au simple serveur, à qui un supérieur intime de se faire Hara-Kiri, en passant par le duo de bourreaux fraternel, engagé dans une compétition morbide. L'héroïsme à l'américaine ou tel qu'il est dépeint dans certains Tokusatsu est bien loin. Affublé d'un costume digne d'un épisode de Super sentai ou même, désormais, d'un blockbuster super-héroïque, Ichi éjacule à la coupe de la fenêtre avant d'ouvrir le crâne de la femme qu'il matait.
Derrière ses airs de Yakuza Eiga dégénéré (ce qu'il est), Ichi the killer déploie un panorama de la violence, gratuite ou coûteuse, et renvoie à la tronche des amateurs de cinéma populaire sa pluralité, afin de fustiger à demi-mot ceux qui ne s'en donnent pas la peine. De quoi fermer les clapets des détracteurs du cinéaste japonais, voyant en lui un psychopathe de la pellicule... grâce à son film le plus nihiliste. Sacré Miike.
La suite est réservée à nos abonnés. Déjà abonné ? Se connecter
bizarre, pas eu de remake US de ce film? histoire d’éviter le jeu un poil grand guignol des acteurs.
Film complètement barré, mais de mémoire moins malsain que le manga d’origine, par contre il souffre de l’habituel rythme en V de miike
que dire de VISIRTOR Q, le film m’a rendu dingue, pour moi c’est le plus glauque de takashi
je suis sorti prendre l’air après ce film..
Takashi Miike est un gestionnaire médiocre.
Il irait tourner 2 heures dans un abattoir industriel,
son film lui couterait bien moins cher et serait autrement plus sordide
@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Kyle Reese :
Il y’a largement de quoi s’éclater avec Miike vu le nombre de film qu’il a sorti.
Essaie Gozu. C’est pas gore mais c’est barré comme… ´fin c’est barré et je n’ai pas de mots pour le décrire sauf : imagine Miike faire sa version de Lost Highway.
Faut vraiment être brassé du bulbe pour faire ce film. Je l’ai vu il y’a une vingtaine d’années et je m’en rappelle encore.
Il y’a des scènes… mais qu’est-ce le phoque (si je puis dire)
Je ne l’ai pas terminé…donc…
moi qui voulait m’intéresser à Takashi Miike, je crois que je vais finalement m’abstenir, les trucs SM ok mais pas avec des trucs dans la chair.
Effrayant,fou ,gratuit,dérangeant. L’un de ses films les plus too much et etranges. Peut etre même le plus dingue,juste avant Imprint, audition, visitor Q.
Ames sensibles s’abstenir.