Terminator, Aliens : Gale Anne Hurd, la reine indissociable du roi James Cameron

Geoffrey Crété | 12 décembre 2022 - MAJ : 12/12/2022 14:09
Geoffrey Crété | 12 décembre 2022 - MAJ : 12/12/2022 14:09

De Roger Corman à The Walking Dead, en passant bien sûr par James Cameron avec Terminator et AliensGale Anne Hurd a une carrière folle. Retour sur cette productrice majeure.

Son nom est méconnu du grand public, et pourtant, sans elle, Terminator, Aliens, le retour, et donc la carrière de James Cameron auraient certainement été très différents. Elle est aussi au générique de films comme ArmageddonTremorsLe Pic de DanteThe RelicHulk et The Punisher, et a collaboré avec des cinéastes comme Brian De Palma, Martin Campbell, Peter Hyams, Ang Lee, Michael Bay, Karyn Kusama, et Frank Darabont. Et son univers ne s'arrête pas au cinéma, puisque sans elle, il n'y aurait pas eu l'univers The Walking Dead en séries.

Son nom est Gale Anne Hurd, et il traîne sur beaucoup de films cultes, ce qui fait d'elle l'une des productrices les plus intéressantes et importantes de ces 40 dernières années. Retour sur cette femme fan d'horreur et science-fiction, à la carrière impressionnante.

 

Photo Gale Anne HurdGale Anne Hurd sur le plateau des zombies

 

CORMAn et woman

Gale Anne Hurd a ça dans le sang. Petite, elle dévorait des comics, Le Sorcier de Terremer, puis les incontournables Philip K. Dick, Isaac Asimov, Ray Bradbury, Roger Zelazny et Robert A. Heinlein. La science-fiction, l'horreur et la fantasy étaient au centre de son imaginaire, mais sans qu'elle ne se permette de rêver. Du moins jusqu'à ce que le hasard (ou destin) mette sur sa route un programme d'échange scolaire, en Angleterre. Là, elle découvre une spécialité audiovisuelle. Là, elle commence à rêver.

En 1978, armée de ce diplôme alors appelé économie et communication, elle va logiquement taper à la porte du grand manitou du cinéma de genre : Roger Corman. Réalisateur et producteur incontournable, spécialisé dans la série B fauchée, il a créé une industrie folle depuis les années 50. Martin Scorsese, Jonathan Demme, Peter Bogdanovich, Curtis Hanson, Ron Howard et même Raoul Ruiz sont tous passés dans sa galaxie, remplie de morts-vivants, aliens et autres crabes géants.

À l'époque, c'est évidemment un univers très masculin. Mais Gale Anne Hurd est accueillie avec la plus grande bienveillance, comme racontée à Interview Magazine en 2017 : "La toute première chose qu'il m'a dite pendant l'entretien d'embauche, c'était 'Quel genre de carrière voulez-vous dans cette industrie ?'. Ce n'était pas la question typique posée à une femme qui vient pour un poste d'assistante d'administration en 1978".

 

photo, Barbara BachTout a presque commencé là, avec les hommes-poissons

 

Elle se retrouve vite à travailler pour New World Pictures sur Le Continent des hommes poissons, Les monstres de la mer, Les Mercenaires de l'espace et L'Incroyable alligator, et apprend tout sur le tas. Car l'usine Corman est une école express : "En tant qu'assistante de Roger Corman, on ne sait jamais ce qu'on va devoir faire. Un jour, je m'occupais du casting, un autre, j'étais en repérages en extérieur, et le jour d'après je regardais le premier montage d'un film pour préparer des notes."

En l'espace de quelques années, Gale Anne Hurd découvre à peu près toutes les facettes du métier : "Roger m'a appris qu'on peut faire à peu près tout, tout ce dont on a besoin, ce sont des câbles et du gros scotch". Son rôle d'assistante glisse immédiatement vers celui de productrice, avec néanmoins de gros défis, particulièrement pour elle.

Elle racontait à Diabolique Magazine en 2016 : "C'était incroyablement difficile - encore plus en tant que femme. Tout le monde nous regardait et nous disait, 'Si tu peux faire autre chose, pourquoi faire ça ? Tu dois être dingue !'. Mais n'oublions pas, travailler avec Roger, avec John Sayles qui écrivait les scénarios, James Horner qui composait les musiques. J'ai travaillé avec tellement de gens incroyablement talentueux, on y mettait toute notre âme, et sans considérer ça comme inférieur aux autres cinémas."

 

photoTypique programme de Roger Corman

 

Parmi ces gens talentueux, un nom très important : Debra Hill, productrice et collaboratrice incontournable de John Carpenter. Après une première collaboration sur Assaut en 1978, le duo écrase tout avec Halloween, la nuit des masques, que Debra Hill a produit et co-écrit. Âgée de quelques années de plus, elle sert de modèle et mentor à Gale Anne Hurd. Particulièrement à une époque où les femmes restent encore très rares dans ce milieu.

C'est donc avec ce gros bagage que Gale Anne Hurd décide de créer sa propre société de production, Pacific Western Productions, en 1982. C'est là que va naître le film qui changera tout : Terminator.

 

photoArnold Schwarzene-c'est-la-guerre

 

TERMINA-RAISON

Si James Cameron est le père de Terminator, Gale Anne Hurd est la mère un peu oubliée. La rencontre était d'autant plus logique que les deux étaient dans la même galaxie : Cameron a commencé sa carrière sur Piranha 2 - – Les tueurs volants, suite du Piranhas de Joe Dante produit par Roger Corman (qui a refusé de financer le deuxième film). James Horner, qui a composé les musiques cultes de Cameron, a lui aussi fait ses premiers pas de musicien chez Corman.

L'histoire de ces poissons tueurs est bien connue. Engagé pour diriger les effets visuels, le novice James Cameron est catapulté réalisateur après que le précédent a été viré par le producteur italien Ovidio G. Assonitis. Qui vire ensuite Cameron, après quelques semaines de tournage. Et c'est dans l'enfer de cette expérience que le cinéaste alors inconnu a un éclair cauchemardesque, lors d'une nuit fiévreuse : il rêve d'un torse métallique, qui se traîne dans les flammes.

À bien des égards, James Cameron est très inspiré par Halloween. Le petit budget malin, l'héroïne inattendue qui surmonte le cauchemar, et finalement la collaboration entre le réalisateur-scénariste John Carpenter et la productrice et co-scénariste Debra Hill. Car la rencontre avec Gale Anne Hurd va tout changer.

 

photoAttention, je crois qu'il y a un producteur derrière toi

 

Cameron racontait à Entertainment Weekly en 2014 : "Gale travaillait pour Roger Corman sur Les Monstres de la mer, et ils faisaient des reshoots de scènes où des ados sont violées par des créatures visqueuses. Elle était jeune et super intelligente. Je lui ai montré sur quoi je travaillais, et elle a trouvé que c'était assez cool". La productrice racontait une version un peu différente, lors d'une interview pour CannesSeries en 2020 : elle a rencontré Cameron alors qu'il s'occupait des vaisseaux miniatures des Mercenaires de l'espace. Elle a immédiatement vu son potentiel, et en a parlé à Roger Corman, qui en a fait le directeur artistique du film (il est alors crédité comme Jim Cameron).

Dans tous les cas, la rencontre a eu lieu. Et elle est primordiale, pour Cameron, et Hurd : "Il m'a raconté ce cauchemar avec l'endosquelette en métal, et toute l'histoire est partie de cette image. On avait 40 pages pour la présenter. Et on gardait en tête que si on voulait vendre le scénario, mais également le réaliser et produire, il fallait que le budget ne soit pas intimidant pour les investisseurs".

Mais les deux rêvent de beaucoup plus, et Terminator est la solution. Il lui vend les droits pour un dollar symbolique (ce qu'il regrettera par la suite, vu la franchise), en échange de l'assurance qu'il sera le réalisateur. Elle apporte des modifications au scénario, et sera créditée comme co-scénariste - même si Cameron affirme qu'elle n'a jamais rien écrit.

 

photo, Linda Hamilton"Un dollar ? Ok, j'achète"

 

Reste maintenant à convaincre le monde que Terminator doit être fait, et avec James Cameron et Gale Anne Hurd. En 2014, elle racontait à Deadline : "99 personnes ont refusé Terminator. Tout ce dont vous avez besoin, c'est que la 100e dise oui". La magie aura lieu chez Orion Pictures, grâce à Barbara Boyle, une connaissance de l'époque Roger Corman. Elle et Hurd défendent passionnément le projet auprès des boss (notamment en présentant ça comme un film sur Terminator pour rassurer, alors que l'héroïne, la vraie, est Sarah Connor). Et vu que Cameron était totalement inconnu, c'est ça qui change la donne.

Mais la success story n'est pas immédiate. Quand Orion découvre le film fini, c'est la panique : leur peur d'avoir soutenu une pure série B à la Roger Corman s'est concrétisée. Cameron est sur la défensive, et Gale Anne Hurd se retrouve à gérer la potentielle bataille. Frances Doel, de chez Orion, expliquait dans EW : "Jim était catégorique sur ce qu'il allait tolérer en termes de notes et critiques. Elle devait faire, et a fait un super travail pour soutenir Jim et être de son côté, tout en gérant avec calme et diplomatie avec Orion".

Une situation d'autant plus difficile qu'Orion ne croit plus du tout en Terminator, et que la sortie s'annonce plus que discrète. Peu importe : ce sera un succès monstrueux avec près de 80 millions au box-office, pour un budget officiel d'environ 6 millions. Pour le réalisateur et la productrice, c'est un rêve qui se concrétise. Avec un tel succès, ils vont pouvoir continuer à faire des films. Et c'est tout ce qui compte alors pour eux.

 

Photo James CameronJames Cameron écrit l'Histoire (avec Gale Anne Hurd)

 

CETTE FOIS, c'est la guerre

L'étincelle entre Gale Anne Hurd et James Cameron est allée bien au-delà du cinéma, comme il le racontait à EW : "Les gens pensent que j'étais un réalisateur basique, qui a été inspiré par une productrice et femme forte, pour écrire une héroïne forte. Mais ce n'est pas ça. Mon respect pour les femmes fortes est ce qui m'a attiré chez Gale. C'est ce qui m'a donné envie de travailler avec elle. Au final, c'est ce qui m'a donné envie de l'épouser. Quand on est partis faire Abyss, on était déjà divorcés, mais on voulait toujours travailler ensemble, parce qu'on savait à quel point notre collaboration créative était forte."

Les deux se marient en octobre 1984, six mois après la sortie de Terminator. Ce succès leur entrouvre des portes, mais le duo devra user de force pour ouvrir un vrai passage, et concrétiser leur deuxième rêve-cauchemar de SF : une suite à Alien, le huitième passager.

Repéré par les producteurs avec le scénario de Terminator, Cameron écrit fin 1983 une première version, en suivant la note d'intention des garants de la future franchise, Walter Hill et David Giler : Ripley et des marines. Le boss de Fox de l'époque n'est pas convaincu, mais quelques mois après, son successeur Lawrence Gordon ravive la flamme. Cameron profite du tournage alors repoussé de Terminator pour continuer à écrire, et ce sera le début d'une petite guerre.

 

Photo Sigourney WeaverNégocier face au studio, en douceur

 

Premier obstacle : James Cameron veut réaliser, ce qui n'enchante pas la Fox, du moins jusqu'à ce que Terminator soit un succès en salles. Deuxième obstacle : personne ne prend Gale Anne Hurd au sérieux, même après Terminator. Non seulement c'est une femme, mais en plus c'est la femme du réalisateur, donc elle sera forcément soumise à sa volonté.

En 2018, pendant le festival Screamfest, elle se souvenait : "Quand la Fox a accepté que Jim réalise Aliens, j'ai dû aller passer un entretien. La première question qu'on m'a posée, c'était : 'Mais comment une petite fille comme toi peut être productrice sur un gros film comme ça ?'. Je n'ai jamais été du genre timide. Tout ce que je pouvais faire, c'était rester assise là, ne pas partir, et répondre : 'Pourquoi ne pas regarder mon parcours ?'. J'ai même continu : 'En fait, encore mieux, je vais demander à des gens avec qui j'ai travaillé, de vous appeler'. Donc quand différentes personnes les ont appelés, en disant que non seulement je pouvais le faire, mais qu'ils seraient chanceux de m'avoir, j'ai décroché le travail. Mais parce que je le méritais."

Mais ce n'est que le début de la bataille. Lorsque le studio tente de baisser le budget d'Aliens, le retour, Hurd et Cameron s'en vont, et ne reviennent que lorsque la Fox accepte. Quand le studio se lance dans un bras de fer pour le salaire de Sigourney Weaver, et annonce que le film pourrait se faire sans elle, ils partent une nouvelle fois. C'est d'ailleurs le cinéaste qui va convaincre l'actrice de revenir, puisqu'au-delà de l'argent, elle avait de sérieux doutes sur la nécessité d'une suite.

 

photoLes deux têtes derrière le film culte Aliens

 

ALI-HAINE

Le tournage sera à l'image de cette lutte. Aliens, le retour est tourné en Angleterre, dans les studios Pinewood, et la productrice se souvient : "Honnêtement, on aurait dit Le Magicien d'Oz. Les gens n'arrêtaient pas de dire : 'Qui est vraiment responsable, qui produit le film pour de vrai en cachette ?'". Le boss de la division anglaise de la Fox doit régulièrement répéter haut et fort qu'il ne tire pas les ficelles derrière Gale Anne Hurd, et réaffirmer en boucle son soutien tellement personne n'y croit sur place. La situation est tellement absurde que plusieurs directeurs de département sur place décident de quitter le film plutôt que de travailler "pour une femme".

Mais elle n'est pas la seule à affronter l'équipe. En plus de l'acteur James Remar, viré et remplacé par Michael Biehn en urgence, Gale Anne Hurd finit par renvoyer le premier assistant-réalisateur Derek Cracknell et le directeur de la photo Dick Bush, constamment en conflit avec James Cameron sur la mise en scène. L'équipe réagit en cessant de travailler, et le réalisateur veut alors rapatrier le tournage aux États-Unis. La productrice calme le jeu lors d'une grande réunion de crise, où Cameron et les techniciens trouvent un terrain d'entente.

 

photoLa vraie queen d'Aliens

 

Pour une grosse production avec un plan de travail déjà très serré, c'est tout sauf idyllique, mais l'histoire se termine bien. Alors que la Fox voulait à l'origine un film de deux heures maximum, la version de 2h17 est finalement validée, après quelques coupes initiales. C'est en partie Gale Anne Hurd qui a d'ailleurs suggéré la meilleure coupe : la longue scène d'exposition avec la famille de Newt sur LV-426, pour servir le suspense et le rythme.

Hurd et Cameron forment un duo que rien ne peut ébranler en public. Cameron expliquait à SciFied.com : "On a une règle. Je ne passe aucun accord en son nom, et elle ne me contredit pas sur le plateau devant l'équipe. C'est la force de notre partenariat. On ne peut pas créer de fossé entre nous. Les gens essaient, mais ils ne peuvent pas." Sigourney Weaver décrivait leur dynamique : "Ils jouent au bon flic-mauvais flic, et souvent c'est lui le mauvais flic. Et elle arrive et essaie de trouver un compromis, et calmer les choses." Avant de conclure : "Je trouve ça fou que ce film existe. C'est entièrement grâce à la persévérance de Gale et Jim."

Et ce cauchemar a payé. Plus 180 millions au box-office mondial, une nomination aux Oscars pour Sigourney Weaver (chose alors incroyable pour un film d'action et SF) : Aliens, le retour est un carton. James Cameron et maintenant Gale Anne Hurd seront forcément pris au sérieux.

 

Photo Sigourney WeaverIdée d'une soirée fun chez Cameron/Hurd

 

SÉRIE B COMME BIDE

Avec la fin des années 80, une page se tourne. Gale Anne Hurd et James Cameron se séparent pendant Abyss, là encore un tournage très compliqué, et un projet qui symbolise parfaitement leur relation. Cameron a écrit le personnage de Lindsey en pensant à sa femme, ils se sont séparés pendant la pré-production, et ils ont officiellement divorcé après le tournage. Sachant que l'histoire tourne précisément autour d'un couple séparé qui va se rabibocher, il y a de quoi avoir un petit vertige.

Pour les deux, la frontière entre pro et perso n'existe pas. Gale Anne Hurd était la première à le dire, à SciFied, pendant la promo d'Aliens : "On est des bourreaux de travail obsessionnels. On ne boit pas, on ne se drogue pas. On n’est pas le genre de gens que vous voulez inviter à une soirée". Qui sera alors surpris de savoir que Hurd sera par la suite mariée à Brian De Palma, puis Jonathan Hensleigh, dont elle produira des films ? Et que Cameron sera l'époux de Kathryn Bigelow (avec qui il collaborera étroitement sur Strange Days), puis des actrices Linda Hamilton et Suzy Amis (Titanic) ?

Malgré les craintes de la productrice, le business hollywoodien se contrefiche du divorce, et elle continue sans problème sa route. Mais le succès en demi-teinte d'Abyss (loin de Terminator et Aliens au box-office) est annonciateur de temps moins glorieux. 

 

Photo TremorsComme un ver dans le sable du mariage

 

Tout en ayant désormais une collaboration privilégiée avec le studio Fox, elle lance en 1988 le label No Frills Film, dédié aux films de genre au sein de sa boîte Pacific Western Productions. Son amour de la série B est toujours là, et prend diverses formes : Futur immédiat, Los Angeles 1991 (un duo de flic, avec un humain et un alien), L'Esprit de Caïn (De Palma qui rejoue encore Hitchcock), Absolom 2022 (un Fortress bis, avec Ray Liotta et Lance Henriksen, alias Bishop dans Aliens), la grosse bête dans le musée de The Relic (un sous-Alien, comble de l'ironie pour la productrice d'Aliens), ou encore l'alien-cyborg de Virus avec Jamie Lee Curtis.

Et il y a bien sûr Tremors, une histoire de gros vers tueurs qui semblait très mal partie, puisque Gale Anne Hurd se souvient que les projections-tests annonçaient un désastre. Pourtant, ce sera un petit succès, qui lancera une franchise avec Tremors 2 - Les dents de la Terre en 1996, jusqu'à Tremors : Shrieker Island en 2020. Même si elle se détache vite de la série, Gale Anne Hurd a participé à un mouvement d'exploitation digne de Roger Corman. Pour boucler la boucle.

Mais la productrice peine à retrouver le succès d'hier. Deux flics à Downtown et Virus sont d'énormes échecs en salles, et ses films passent inaperçus, même lorsqu'elle se paye Val Kilmer et Michael Douglas chassés par des fauves en Afrique dans L'Ombre et la Proie, ou Dennis Quaid et Danny Glover sur la piste d'un serial killer dans La Piste du tueur.

Comment enchaîner après des triomphes extraordinaires comme Terminator et Aliens, le retour ? D'autant que Gale Anne Hurd retrouve James Cameron pour Terminator 2 : Le Jugement dernier, qui sera un immense succès, contribuant à associer encore son nom à celui du cinéaste.

 

photo, Gale Anne HurdGale Anne Hurd, femme parmi les hommes, même dans la SF

 

FAIM DU MONDE

En parallèle, Gale Anne Hurd a justement mis un pied dans les purs territoires hollywoodiens. Les années 90 sont placées sous le signe des films-catastrophes, et la productrice met des billes dans Le Pic de Dante - qui marque ses retrouvailles avec Linda Hamilton, alias Sarah Connor. Dans la foulée, elle co-produit le méga-blockbuster Armageddon, co-écrit par son mari Jonathan Hensleigh.

Son nom est calé entre Michael Bay et Jerry Bruckheimer, soit les deux poids lourds virils du cinéma hollywoodien. Le film est le paroxysme du genre, et rencontre un succès monstrueux - absolument pas associé à la productrice, mais peu importe.

À l'aube du nouveau millénaire, Gale Anne Hurd entre dans un nouveau monde. Pacific Western Productions est renommée Valhalla Motion Pictures, en hommage à la mythologie nordique. Et après des essais amusants dans le teen movie décalé, avec la satire politique Dick, les coulisses de la présidence (Kirsten Dunst et Michelle Williams dans une réinvention du scandale du Watergate) et Top Chronos (le fils d'un scientifique utilise un gadget pour accélérer le temps), elle passe aux choses sérieuses : les gros films, les gros sous.

 

PhotoRonger son os

 

Depuis le début des années 90, Gale Anne Hurd travaille sur une adaptation de Hulk au cinéma, avec Avi Arad. Un projet qui passe entre diverses mains, notamment celles de son mari, Jonathan Hensleigh, engagé comme co-producteur, puis scénariste, et enfin réalisateur. Mais cette version est abandonnée au dernier moment en 1998, et c'est avec l'arrivée d'Ang Lee en 2001 que tout sera enfin lancé. Hulk sort en 2003, alors que le genre super-héroïque a fraîchement été reboosté par X-Men en 2000 et surtout Spider-Man en 2002. Mauvaise pioche : l'homme vert déçoit à tous les niveaux, avec un accueil tiède et un succès modeste (moins de 250 millions au box-office, pour un budget officiel de 140). À côté des mutants et de l'homme-araignée, c'est peu.

2003 est aussi l'année de l'inespéré Terminator 3, lui aussi développé depuis le début des années 90, mais freiné par d'interminables histoires de business après la faillite de Carolco, puis le potentiel rachat des droits par Cameron, Hurd et Schwarzenegger. Finalement, Cameron décide de ne pas être de la partie, et Hurd revend sa part à Mario Kassar et Andrew G. Vajna (fondateurs de Carolco), pour 7-8 millions. Elle demeure productrice exécutive. Bingo : Le Soulèvement des machines est un carton (certes inférieur à Terminator 2), mais le parfum un peu rance de cette suite pensée pour et par l'argent (Schwarzenegger et son cachet de 30 millions, plus une part sur les recettes) se propage vite. 

 

photo, Arnold SchwarzeneggerNégocier pour réanimer un cadavre de franchise

 

BANDE DÉCIMÉE

Toujours avec Avi Arad, Gale Anne Hurd parvient à concrétiser une adaptation de The Punisher en 2004, à l'époque où Marvel était plus en roue libre. Son mari Jonathan Hensleigh n'a pas eu Hulk, mais il aura Frank Castle, pour ses premiers pas comme réalisateur.

Sauf que c'est un petit cauchemar qui commence, avec un budget réduit de moitié, le rachat par Lionsgate de la boîte de production Artisan en pleine production, et des coûts éparpillés à cause d'une coproduction compliquée qui impliquait beaucoup de monde. Résultat : un film au succès très modeste, et vite rangé aux côtés de Daredevil dans le cimetière des mauvaises adaptations.

 

Photo Thomas JanePuni-pas-cher

 

Mais le pire n'est jamais hors de portée. La même année, il y a Aeon Flux. Sur le papier, c'était une bonne idée : une adaptation de la série animée de Peter Chung, avec Charlize Theron (fraîchement oscarisée) en agent secret futuriste, et la réalisatrice Karyn Kusama, révélée par Girlfight. Dans la réalité, c'est une catastrophe et un enfer. Paramount change de direction, et le studio reprend le film en main. Kusama est éjectée en post-production, puis ramenée en urgence pour sauver les meubles, sans marge de manœuvre. Sans surprise, Aeon Flux est un bide.

Gale Anne Hurd cherche une nouvelle franchise, coûte que coûte, et quitte à réanimer des quasi-cadavres. Né dans la douleur (départ de Thomas Jane en cours de route, multiples réécritures, conflits entre la réalisatrice Lexi Alexander et Lionsgate), The Punisher : Zone de guerre est un échec cuisant au box-office. Même son de cloche du côté de L'Incroyable Hulk, où Bruce Banner a changé de visage pour relancer la machine, traduisant la position fragile du projet, entre reboot, remake et suite.

Le film rencontre un petit succès, mais est surtout pris dans un ouragan : la naissance du MCU. Kevin Feige est co-producteur aux côtés d'Avi Arad et Gale Anne Hurd, et pose ici la toute première pierre du futur univers étendu des Avengers, avec Iron Man qui sort la même année - et éclipse Hulk. La suite est bien connue, et plus jamais Gale Anne Hurd ne sera conviée à la grande fête Marvel/Disney. Pas plus qu'Edward Norton, en partie casté par la productrice.

 

photoQuand tu vois Avengers, sans ton nom au générique

 

SÉRIES CHÉRIES

La décennie 2000-2010 est semée d'embûches et échecs dans l'industrie du cinéma ? Gale Anne Hurd sort une nouvelle carte majeure : les séries. Elle y avait mis les pieds pour la première fois en 2002 avec Aventure et Associés, menée par Michael Biehn. Son acteur de Terminator et Aliens y incarne un aventurier donc, qui remplit des contrats en bravant mille dangers avec ses assistants. Et non, l'idée ne vient pas (officiellement) de Sydney Fox, l'aventurière, mais de Gale Anne Hurd, inspirée par un ami aventurier.

Pour elle, la série est précisément une nouvelle aventure, qui la renvoie vers ses débuts, comme elle l'expliquait à l'époque : "Ce qui m'a aidé pour la télévision, c'est le temps que j'ai passé avec Roger Corman, quand on n'avait ni le temps ni l'argent pour finir nos projets. Au lieu de voir ça comme un problème, je l'ai vu comme une chose positive."

 

photoBiehn, le retour

 

Aventure et Associés est un échec, et n'ira pas au-delà d'une saison. Mais en 2010, Gale Anne Hurd trouve la vraie pépite : The Walking Dead. Et ces zombies sonnent comme un retour aux sources pour l'école Corman.

En réalité, Hurd surveillait l'affaire depuis des années, comme raconté à Diabolique : "J'étais fan des comics, sortis en 2003. J'ai vérifié à l'époque et les droits n'étaient pas disponibles. Et vers 2009, j'ai revérifié et ils étaient disponibles, Frank Darabont les avait. Frank et mon mari sont très amis, ils ont tous les deux commencé leur carrière de scénariste sur Les Aventures du jeune Indiana Jones. (...) Je l'ai appelé, j'ai dit 'The Walking Dead', et il m'a répondu, 'Ne prononce pas ces trois mots. On a développé un scénario pour NBC, ils ont décidé de ne pas aller plus loin. On a essayé toutes les chaînes, tout le monde dit non'. J'ai répondu, 'Est-ce que je peux essayer ?'".

À l'époque, AMC cherche justement des programmes horrifiques. La productrice y va, et en quelques mois, l'affaire des zombies est dans le sac. Soit quasiment un miracle, puisque Darabont a passé quatre ans à lutter et finalement perdre espoir. Le réalisateur des Évadés et The Mist expliquait à HitFix : "Je dois remercier Gale pour ça. On était amis depuis des années, et elle a lu le scénario, et m'a dit, 'Waouh, j'aime vraiment ce pilote. Qu'est-ce que tu en fais ?'. Je lui ai dit que j'essayais de le monter depuis des années, et elle m'a proposé de s'associer pour y arriver. Elle m'a dit qu'AMC pouvait être intéressé. Et bam, ils ont immédiatement dit oui. Le crédit lui revient, pour avoir compris comment marier le matériau et l'acheteur."

 

photoFrank Darabont quand il reçoit l'aide de Gale Anne Hurd

 

Le succès est tout aussi immédiat. Le pilote de The Walking Dead enregistre un score alors historique pour AMC, et la série devient vite un phénomène. Gale Anne Hurd a enfin trouvé sa poule aux oeufs d'or, et va y appliquer la recette d'un Roger Corman : l'exploitation. En 2015, il y aura Fear the Walking Dead. En 2020, The Walking Dead : World Beyond. Prochainement, un film centré sur Rick.

La série-mère s'éteindra avec la saison 11, mais les zombies continueront à marcher dans les spin-offs. Peu importe si Frank Darabont a quitté la série dès la deuxième saison, si les audiences se sont écroulées depuis le pic de la saison 5 (de 13-14 millions de spectateurs, à 3-4 millions), et si la qualité a largement baissé pour beaucoup de monde. Peu importe aussi si Darabont, Robert Kirkman, Gale Anne Hurd, Charles Eglee, Glen Mazzara et David Alpert ont tous intenté un procès à AMC pour des histoires de gros sous. Il y a là un filon qui semble sans fin. La preuve : une série centrée sur Daryl et Carol est développée pour prendre le relais, ainsi qu'une anthologie du nom de Tales of the Walking Dead.

 

photoLa marque TWD va très bien

 

LA VIE APRÈS LES MORTS-VIVANTS

La voie des séries est ouverte et Hurd continue. Entre 2016 et 2017, il y a les séries Hunters (des agents du gouvernement qui traquent des ennemis venus d'ailleurs), Falling Water (trois inconnus reliés par un même rêve énigmatique) et Lore (des histoires d'horreur, en animation). En interview, la productrice explique qu'elle passe son temps à jongler entre les plateaux de tournage, et superviser les équipes en lisant les scénarios, regardant le montage des épisodes, et en suivant tout ce qui se passe, partout. "Il y a beaucoup à faire, mais ce que j'aime le plus, c'est être sur le plateau, c'est là que la magie se produit", raconte-t-elle avec Interview Magazine.

Sauf que toutes ces séries sont rapidement annulées. Le règne The Walking Dead n'a pas d'égal, si bien que Gale Anne Hurd n'a quasiment plus rien hormis les zombies dans sa vie de productrice. Depuis Punisher 2, il n'y a eu que le drame Very Good Girls en 2013, le film d'horreur Hell Fest en 2019, et quelques téléfilms.

La flamme de Gale Anne Hurd, 65 ans, est-elle désormais éteinte ? A l'horizon, hormis l'increvable galaxie The Walking Dead, rien de notable. Sauf peut-être une nouvelle adaptation d'Aeon Flux, en série.

 

photoÊtre identifiée avec TWD, et pas Aliens ou Terminator

 

C'est peut-être une bénédiction et une malédiction : avoir collaboré avec James Cameron au début de sa carrière, et s'être condamnée à ne jamais pouvoir aller plus haut.

Quand la productrice a reçu son étoile au Hollywood Walk of Fame en 2012, James Cameron était bien sûr là. "Elle a ouvert en grand les portes et a tracé une voie pour une génération de femmes à Hollywood, pour qu'elles marchent dans ses pas. C'est la Terminator des producteurs." Et le réalisateur d'Avatar peut certainement la remercier. Rebecca Keegan, l'auteure du livre The Futurist : The Life and Films of James Cameron, expliquait à MelMagazine : "Elle croyait complètement en lui, soutenait sa vision, exécutait toutes ces choses absurdes qu'il voulait faire. Il avait ces idées énormes, folles, et il fallait une personne avec lui, qui sache exactement comment les concrétiser. Au début de sa carrière, à ce moment pivot, Gale était cette personne. (...) Elle était brillante pour gérer Cameron - parce que c'est une personne très, très compliquée à gérer."

Depuis que leurs chemins se sont séparés, Gale Anne Hurd a retrouvé le succès (The Walking Dead reste un coup en or niveau business) et l'ambition (mettre Ang Lee sur Hulk et miser sur les super-héros Marvel). Mais jamais dans un mariage parfait, pour recréer un miracle digne d'un Terminator ou d'un Aliens. Mais s'il fallait être la femme de "seulement" quelques films, il y a certainement bien pire. Surtout quand on a à ce point marqué l'industrie, discrètement, mais royalement.

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commentaires
Yaeck
25/03/2023 à 09:36

Superbe article sur les 'petites coulisses' du 'Grand Cinéma'.
Tout ce que j'aime ^^

Saiyuk
12/12/2022 à 19:41

On peux critiquer Cameron sur certaines choses, mais il a su s'entourer de femmes qui étaient de sacrè talents : hurd, Hamilton, Weaver, Bigelow, et Winslet dans une certaine mesure.

Geoffrey Crété - Rédaction
24/05/2021 à 14:43

@Willpinner

Pas la prochaine, mais prochainement, c'est certain !

Willpinner
24/05/2021 à 13:38

Gale Ann Hurd après le très bon article sur Kennedy. Logique et nickel. Debra Hill le prochain coup ?

Eddie Felson
23/05/2021 à 23:51

Excellent. Merci pour cet article.

Kyle Reese
23/05/2021 à 22:05

Gale Anne Hurd a ma plus grande considération. Pas besoin d'explication vu mon pseudo :)
Une sacré productrice qui effectivement a ouvert beaucoup de portes et montré la voie à surement beaucoup de femmes dans ce bizness si convoité, chasse gardé par la gente masculine depuis des décennies. Merci pour ce dossier qui lui rend hommage.
Une autre ex de Cameron, Kathryn Biglow a fait un parcours aussi incroyable dans le domaine de la réalisation en étant devenu la première femme à gagner un Oscar. Il et elles s'étaient bien trouvé,

Meuh!
23/05/2021 à 22:05

Le genre d'article nécessaire qui permet enfin aux gens de comprendre que bien souvent les grands réalisateurs ne serait pas de si grands réalisateurs s'il n'avait pas de bons producteurs avec eux pour les driver.
Les real récoltent toutes les éloges et bien souvent les producteurs ont mauvaise presse.
A tords et a raisons, car même les meilleurs producteurs ont des comptes à rendre aux dirigent des studios.
Mais c'est avant tout un travail d'équipe et on voit bien ce que peut donner un film raté d'un grand réalisateur ... quand il sort de chez Disney ou Warner, quand il est mal produit (et qu'il ya le fameux différent artistique) ou au contraire quand on laisse trop de liberté à un réalisateur en pensant que sa vision du film sera forcement une réussite.
Je pense réellement qu'un bon film dépend autant de son réalisateur que de ces producteurs.
Et quand on voit les grands noms du cinéma courir chez Netflix pour nous sortir des films mi figue mi raisin et entendre derrière que le réalisateur se félicite parce qu'on lui a laissé les pleins pouvoir et que c'est génial de bosser chez Netflix, il y a de quoi rester perplexe.
Coucou Zack, qui pour le coup en a vécu des vertes et des pas mures et c'est confronté aux 2 revers de la médaille entre Warner qui lui saccage son boulo et Netflix qui soit disant lui laisse toute la liberté dont il avait besoin.
Il y a un juste milieu, un équilibre à trouver, sur comment faire ressortir le meilleur d'un réalisateur tout en remplissant le cahier des charges imposés par le studio et ca seul un bon producteur en est capable.


23/05/2021 à 22:00

Bravo pour cet article excellent !!!
Encore... lol

fedor85
23/05/2021 à 20:11

je plussoie, excellent article. Qui nous démonte l'importance du duo producteur/réalisateur. Et a quel point il est difficile de retrouver cette alchimie plus tard.

Geoffrey Crété - Rédaction
23/05/2021 à 20:04

Merci pour vos retours !

Ce genre d'article est largement moins lu que les autres (parfois dans des proportions un peu tristes vu qu'on adorerait partager ça avec un max de gens), mais ça compte beaucoup de voir des retours enthousiastes !

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