De tous les remakes horrifiques des années 2000, La Colline a des yeux est un des meilleurs. Surpasse-t-il cependant l'original ?
Fatigués par le manque total d’imagination dont peut faire preuve le Hollywood moderne (et passé), les cinéphiles ont tendance dans leur grande majorité à conspuer le concept même de remake, un agacement légitime. Mais l’industrie et les grands auteurs se sont toujours accommodés du principe qui a enfanté quelques-uns des plus grands chefs-d’œuvre de l’horreur américaine, comme La Mouche ou The Thing.
Le cinéma de genre est particulièrement enclin à ce genre de pratiques, s’auto-cannibalisant perpétuellement et prétextant souvent un rapport à la peur différent d’une époque à une autre. Il faut dire qu’il est parfois bon d’actualiser un peu certaines histoires, reposant sur des problématiques bien de leur temps.
Figure de proue de l’épouvante des années 1980, Wes Craven est par exemple passé plusieurs fois à la casserole, surtout dans les années 2010, avec La Dernière Maison sur la gauche en 2009 et surtout l’indigent Freddy, les griffes de la nuit en 2010. Un pedigree pas reluisant qui nous fait plutôt revenir sur le premier remake de son œuvre, La Colline a des yeux, un film très satisfaisant, et même, de l’avis de certains aventureux, meilleur que l’original…
On n'a pas pioché ces 2 films au hasard
TRAVERSÉE DU DÉSERT
Et pourtant, il fallait faire fort pour surpasser une œuvre étrangement mésestimée par rapport à la carrière de son auteur, mais néanmoins définitive et totalement en accord avec son temps.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Craven ne souhaitait pas dédier sa carrière aux éclaboussures de sang. Son premier essai, La Dernière maison sur la gauche (1972), lance un sous-genre d’exploitation particulièrement problématique (le rape and revenge). Le cinéaste ne désire pas continuer sur cette voie et se lance à corps perdu dans d’autres projets… tous refusés par des producteurs avides avant tout de reproduire le succès trash de ses débuts.
Fauché, il se retrouve donc à chercher des faits divers morbides pour nourrir son imagination et son estomac. En l’occurrence, il s’inspire d’Alexander "Sawney" Bean, condamné pour des faits de cannibalisme et désormais partie intégrante du folklore écossais. Bien que son existence et la nature exacte des faits qui lui sont reprochés soient contestées par quiconque s’intéresse un tant soit peu à l’Histoire, sa résonance culturelle et l’idée d’un clan de cannibales motivent le réalisateur.
Sa principale inspiration est évidente : sorti trois ans auparavant, le définitif Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper lance le règne d’une épouvante beaucoup plus réaliste, décidée à traquer le mal qui réside dans les êtres humains perdus au fin fond des contrées isolées des États-Unis. Au-delà de l’ambiance générale, et même du style de réalisation, nettement moins marquée dans La Colline a des yeux, c’est bien sûr l’aspect politique qui saute aux yeux. Le film ne raconte au fond que la confrontation de deux familles ayant l’américanisme dans le sang, au propre comme au figuré.
« On s'identifie donc aussi bien aux tueurs qu'aux victimes... » disait le maître dans nos colonnes en 2009. Dans ce deuxième film, le parallèle qui est fait entre ces deux détestables cercles familiaux saute aux yeux, en plus de faire écho à la situation militaire de l’époque via la question du nucléaire, question dont s’emparera Aja.
La suite, on la connaît. La Colline a des yeux illustre un peu plus la carrière du futur auteur des Griffes de la nuit et contribue globalement à son statut d’icône.
Dans les années 2000, Craven lui-même, interpellé par le succès des remakes de Massacre à la tronçonneuse et Amityville, commence à réfléchir à une nouvelle version de son classique.
Dans un communiqué de presse original, il explique qu’il s’est lancé dans cette aventure « parce que l’original a été produit avec un budget tellement minuscule, qu’il y avait beaucoup d’aspects de l’histoire que je ne pouvais tout simplement pas me permettre d’explorer. Heureusement, la nouvelle version a un budget bien plus élevé donc nous avons pu vraiment étendre les possibilités de la production et mettre plus de soin et de temps dans le tournage. » Il est intéressant de noter que dès la genèse du projet, ce remake est pensé comme une amélioration du choc de 1977.
Alerte, le cinéaste remarque Alexandre Aja via sa collaboratrice Marianne Maddalena, impressionnée par les deux premiers essais du français : Furyo et surtout Haute tension, modèle de suspense, certes plombé par une fin malvenue, mais indéniablement marquante. Alors âgé d’à peine 27 ans, il s’en va donc accompagné de son fidèle compagnon Grégory Levasseur aux États-Unis, puis au Maroc pour le tournage.
DOUBLE IMPACT
Et alors que le duo Levasseur-Aja ne compte pas tomber dans la formule du remake opportuniste et dépourvu de la moindre identité, il calque la majorité de la première partie de son film sur celui de Wes Craven.
Il faut dire qu’il serait malvenu de ne pas tirer profit d’un carcan scénaristique déjà en béton armé, mettant un évènement traumatisant au centre de l’intrigue. Les premières 45 minutes de l’original sont un modèle de narration horrifique, nous présentant une famille dite "nucléaire" (quelle ironie) américaine, aussi insupportable soit-elle. Bien conscients que l’âme du film - du moins ce qui lui permet de fonctionner avec un budget aussi réduit - réside dans cette sorte de longue démonstration d’ironie dramatique morbide, les deux compères ne prennent pas tant de risques. C’est l’essence même du titre : dans ces scènes, la colline, et par extension le spectateur, a des yeux. Elle anticipe l’attaque séparant parfaitement le récit en deux.
En dépit d’une scène d’introduction aussi inutile que réglementaire (une maladie du cinéma d’horreur américain de l’époque), le remake reprend dans les grandes lignes les premières péripéties. Assumant sans le moindre problème le statut de son œuvre, le duo de frenchies va jusqu’à citer explicitement les dialogues de Craven, à un nom de cocktail prêt. Narrativement, les personnages couvrant tout le spectre du yankee énervant sont une fois de plus représentés, du patriarche ex-flic forgé aux bonnes vieilles valeurs de l’oncle Sam aux chiens, nommés après un Disney. En 2006, le duo se permet même de rajouter une petite référence à l’éternelle scission républicains / démocrates, c’est-à-dire pro ou anti-armes. Bien sûr, le casting est majoritairement rajeuni, mais c’est une règle générale qui connaît peu d’exceptions.
AMOUR CANNIBAL
Mais malgré cette dévotion sincère, on discerne déjà un rapport différent au scénario. Doutant forcément de la pertinence du style de Craven, Aja opte pour une négation totale de l’aspect réaliste du premier long-métrage. Plus incisif, son montage efficace commence dès les premières séquences à mettre au premier plan ce qui était au second plan.
Le danger atomique, toile de fond diluée dans le récit du premier film, devient dès lors au centre des enjeux, au point que le générique est constitué d’explosions de bombes A, un loisir bien américain. Appelant la méfiance sur le papier, ce traitement bourrin des thématiques de l’original se révèle en réalité on ne peut plus logique. En 1977, en pleine guerre froide, les États-Unis ont un rapport apeuré à l’arme nucléaire, sous-jacente, et finalement très conforme au traitement inquiet du Craven. En 2006, ces problématiques, quoique toujours d’actualité, sont moins présentes ou inquiétantes dans la culture américaine.
Aja et sa troupe foncent dans les non-dits, les étalent à l’écran, et c’est justement ça qui les démarque. Car ils ont en réalité bien compris le principal problème du premier film. Après une montée en tension remarquable et ce turning point dévastateur, révélant la fureur du jeu de Michael Berryman, tout se casse un peu la figure, la faute à un climax très en deçà et une gestion de l’espace peu optimal.
Dès la scène du milieu, le futur réalisateur de Piranha 3D se débarrasse des pincettes pour tout miser sur la violence, physique et psychologique. Un aveu de faiblesse qui lui évite d’abord de se planter sur un discours à côté de la plaque, puis de répéter les quelques erreurs de son modèle. Ainsi, le viol de Brenda ne supporte plus la suggestion, d’autant plus qu’il accompagne la révélation de la tronche du Pluto 2.0, tout simplement répugnant.
La suite en est transformée. La course creuse dans un désert aride se métamorphose en déambulation dans un village cauchemardesque, bardé de visions d’horreur marquantes et de débordements gores ahurissants. C’est l’occasion pour Aja de prouver à nouveau son amour pour le trash frontal dans une démonstration technique spectaculaire. Les maquillages, prothèses et designs brillent par leur puissance viscérale, et contribuent à une ambiance poisseuse rarement vue dans un film d’épouvante américain de cette trempe.
Un film plein de mannequins très chauds
En refusant le tout-numérique, le long-métrage fait acte de résistance dans le paysage marketing et s’impose finalement comme un vrai hommage au type de peur véhiculé par les classiques du genre dans les années 1980. De fait, le discours politique s’inscrit plus dans une espèce de jouissance de l’image horrifique, un travestissement des stéréotypes, comme Aja sait si bien les produire. L’américain modéré esclave de son travail se transforme en final man enragé, les faux intérieurs de banlieue remplis de mannequins et de pommes en plastique sont infestés de cannibales bouffeurs de bébés…
Loin de son mentor, véhicule d’un vrai propos, il tire dans le tas et ose se dédier artistiquement au bigger and louder. La musique de tomandandy, aussi subtile qu'une chanson de Calogero perdue dans un drame français, l'atteste avec brio. Résultat : alors que la fin de la version de Craven est clairement la partie la moins mémorable du film, les dernières minutes effrénées du Aja restent comme un des moments les plus sincères, jouissifs et sans concession du cinéma d’horreur mainstream des années 2000 à aujourd’hui. Craven avait l’idée. Aja a eu la générosité.
REJETONS INCESTUEUX
Les deux films ont en commun des suites, pour le coup très différentes l’une de l’autre. La suite du film de 1977 est sortie dix ans plus tard, et prouve à quel point la carrière de Craven a pu être en dent de scie. Du survival tendu et critique, il ne reste qu’un slasher adolescent comme ils pullulaient à cette époque, empli de personnages plus stupides encore que les cannibales consanguins qui les poursuivent. La palme de la scène la plus délirante revenant à cette douche, prise en plein milieu du désert. Peut-être un des plans-poitrine les plus racoleurs de cette période.
Rien à voir avec La Colline a des yeux 2, produit en 2017, l’année suivant la sortie du remake. Ce deuxième opus, réalisé par Martin Weisz, se la joue Aliens, le retour avec son armée de parodies de GI qui déboule dans la mine. Malgré quelques décors à la hauteur, des maquillages sympathiques et une ambiance gore une fois de plus au rendez-vous, elle ne fait pas le poids face à son aîné.
En 2020, le remake d’Aja est peut-être le plus connu des nouvelles générations. Si c’est la preuve qu’il propose quelque chose d’autre (les remakes feignants tombent en général dans l’oubli), c’est également la marque d’un film particulièrement sincère dans son aspect bourrin, une qualité très rare de nos jours...
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@greg
Kevin Williamson? Sean Cunningham dans une moindre mesure également. biensur Jason et en horreur la saga House.
Oui je le trouve meilleur aussi.
Aja est vraiment un bon real.
Craven est quand même un monument, il a créé 2 bogymen, Freddy et Ghostface, qui peut en dire autant ?
Un film grandiose mais le 2 est bidon merci Alex pour tes films piranha et autre crawl il est notre ambassadeur de l horreur au états-unis
La force d’Aja (et qui a choqué aux USA je crois) : les spectateurs ont de l’empathie pour les « monstres ». Il est très fort sur cette partie du film. Rendre humains des « non/plus » humains.
Je me souviens d’un film viscéral, violent, sans concession et marquant. Un très bon remake (mais ne surtout pas voir les suites… Lamentable)
@Nico
Je voulais sister également la dernière maison. Franchement, il y a des œuvres qui, si elles étaient fait maintenant, je veux dire imaginons que feu Craven fasse son film demain, je pense qu’on serait loin des bonnes critiques d’antan. Au pire on aurait un truc à la Corman sur sa fin
@M.X.
Question de point de vue.
Entre les articles abonnés sur des sujets moins « cool » peut-être, et qui sont moins lus (Alejandro Amenabar, Les Diables, xxxHOLiC, Deadwood, Carole and Tuesday, Cédric Klapisch, Policenauts, Tokyo Ghost, Fabrice du Welz, Alex Garland…), et les articles non abonnés et très appréciés (long portrait de Tom Cruise décortiqué via ses films, retour sur la carrière de Robert Zemeckis, Strange Days, ou encore 10 films détruits par les producteurs comme Freaks, Le 13ème Guerrier ou Waterworld), on trouve qu’il y a un équilibre depuis un an.
Pk les articles les plus intéressants sont souvent payants?!!
Sinon, jamais vu l’original, mais j’adore le film d’aja, excellente mise en scène, générique d’intro excellent, bonne musique, bonne tension, bien gore, bon cast, hargneux comme il faut, bref du très bon taf!!
Ceci étant dit, j’aimerais bien qu’aja fasse plus « ses » films à lui, plutôt que de dupliquer ses films de chevet en version « fan-boy », mais quand on sait que ses prochains projets sont soit une suite de crawl , soit une nouvelle version des griffes de la nuit (tiens, encore un craven!), on se dit que c’est pas gagné!
J’aime beaucoup la version d’Aja , et même en replaçant l’original dans son époque , il faut reconnaitre qu’il souffre de beaucoup de lacunes ! . La mise en scène de Craven est loin d’être géniale et surtout ce qui m’a le plus agacé c’est l’interprétation des personnages : tellement surjoué et outrancier que ça frise le grotesque ! . Je préfère me repasser » The thing » version Carpenter qui malgré les années reste à mon avis une pièce maitresse . Réussite absolue ( mise en scène au cordeau , effets spéciaux toujours aussi saisissants malgré les années ! ) . Ce film reste incontournable !
Pareil pour moi la réponse est oui, et malgré tout le respect dû à Wes Craven, ses premiers films souffrent beaucoup du temps qui passe malheureusement, comme la dernière maison sur la gauche par ex.
Je ne peux pas lire l article, mais ma réponse est définitivement oui.
Le film de Craven m’a gonflé, ennuyé. Je regarde souvent les films en me remettant dans le contexte d’époque. Oui comme autant en emporte le vent.. Mais ce film, je n’ai jamais pu le revoir. Alors que le remake est limite plus proche du chef d’œuvre de Hopper sur Texas Chainsaw, notamment quant à l absence de musique et tout ce jouant sur l’atmosphère et le bruitage.
Pour moi, ça reste un des summum de l’angoisse toute époque confondue