Scream 3 : rencontre avec Wes Craven

Laurent Pécha | 13 avril 2009 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Laurent Pécha | 13 avril 2009 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Une interview vintage réalisée à l'époque de la promotion de Scream 3 en France. L'occasion de se rendre compte qu'il y a plus de 10 ans, le père Wes Craven avait bien plus à dire qu'aujourd'hui. Paradoxe, son Scream 4 est meilleur que son prédecesseur. Allez comprendre !

 

photoSe faire ghoster, mode d'emploi

 

Après Freddy sort de la nuit, vous utilisez à nouveau l'idée du film dans le film. Qu'est-ce qui vous plaît dans cette idée ?
Etant donné la position du cinéma dans notre culture, je trouve qu'il est intéressant de regarder les films presque de la façon dont Platon regardait la vie et la réalité à travers les ombres projetées sur les murs de la caverne dans La République si vous vous souvenez de vos cours de philosophie. C'est une façon intéressante de regarder la vie, mais ce n'est pas la vérité, cela semble l'être mais ça ne l'est pas : on voit les artifices et les décors du film, un peu comme avec le personnage de Neve Campbell. C'est un double regard.

Cela fait plus de 20 ans que grâce à vous, nous faisons des cauchemars et nous vous en sommes reconnaissants. Quel est le ou les cauchemars qui vous hante(nt) depuis votre enfance ?
Faire un film et que personne n'aille le voir ! (rires) Vous savez, je ne fais pas tellement de cauchemars ; je pense que mes cauchemars ne me hantent pas car je vide ma tête en les mettant à l'écran.

Lorsque vous réalisez un film, vous identifiez-vous plus à la victime ou au tueur ?
Et bien, je pense qu'il vous faut vous identifier aux deux. En tant que réalisateur, vous devez entrer dans la tête et dans les corps de tous vos personnages. Alors je crois que ce qui fait peur aux gens dans mes films, c'est que je créé des tueurs que vous apprenez à connaître, dont je vous donne beaucoup de détails et tout cela contribue à les rendre réels. De ce fait, par cette influence, les gens s'imaginent que j'ai de telles pensées... Je vois la totalité de ces personnages (bon ou mauvais) comme un seul personnage. On s'identifie donc aussi bien aux tueurs qu'aux victimes...

 

photo, Neve CampbellNeve Campbell

 

Pourquoi y a-t-il de moins en moins de violence dans les Scream et spécialement dans celui-là ? Est-ce intentionnel ou est-ce à cause de la censure et de la montée de la violence qu'a connu les USA (tuerie dans le lycée de Columbine...)?
Vos perceptions sont tout à fait exactes. Il y a énormément de pression aux USA suite aux évènements de Columbine : ''les films sont responsables de la violence'' pensent certaines personnes qui voient là une relation simple de cause à effet. Je voulais faire un film qui fasse peur et qui soit à la fois divertissant, mais qui par respect pour les parents des victimes ne soit pas trop choquant. Cela, c'était au moment de l'écriture. Mais quand on a fini le film, l'Amérique avait oublié tout cela. Quand on était en train de tourner, ils ont montré au Congrès le premier Scream comme exemple de ce qui ne pouvait plus être toléré. Donc on ne voulait pas quelque part perdre le film : on voulait le faire librement, sans entrave. Mais le problème de la violence aux USA est très ambigu : on dénonce le cinéma et l'on oublie d'autres problèmes. En ce moment, ils sont enfin en train de réfléchir au problème des armes. On l'a certainement fait à la fois inconsciemment et consciemment. Le problème aussi, c'est qu'en prenant le risque de se faire censurer, on peut être amené à couper des scènes et donc à nuire à l'intensité du film, ce qui est plutôt gênant pour un film comme Scream.

Dans le film, le personnage interprété par Jenny Mc Carty confond les films Psychose et Sueurs Froides. Est-ce parce que vous trouvez triste ou drôle que l'audience de vos films n'ait pas la culture leur permettant de connaître les nombreuses références de vos films ?
Pas du tout. J'ai assisté à des projections du film et le public a très bien réagi et a beaucoup ri à cette réplique. Parce qu'ils connaissent la différence entre les deux films. Vous savez, aux USA, Psychose est très connu.

On sent dans votre œuvre que même si vous passez votre temps à massacrer des adolescents, vous semblez les aimer profondément.
J'ai beaucoup d'amour et de tendresse pour cette audience. Ma propre adolescence fut passionnelle et remplie de difficultés. C'est une période où l'on se cherche, où en tant que jeune adulte, on n'a pas encore sa place dans la culture et la société. Les adultes pensent que vous êtes fou, n'aiment pas la musique que vous écoutez... Vous avez des tas de problèmes comme la sexualité que vous avez du mal à exprimer. La culture ado dans son intégralité n'est pas civilisée et les ados s'expriment de manière excessive, en proie à leurs pulsions. Je suis respectueux de tous cela.

 

photo"Moi aussi, j'adore les ados !"

 

Scream 3 est par certains côtés une satire d'Hollywood et une réflexion sur l'industrie du cinéma. On retrouve alors le recul par rapport aux films du premier opus. Or comment voyez-vous le réalisateur-instigateur de Stab 3, véritable démiurge qui contrôle et manipule non seulement les acteurs mais également la vie ? Que pensez-vous de votre métier ?
C'est certainement une occupation et un métier étrange. On peut facilement abuser de cette position et aller parfois trop loin. Le réalisateur est en quelque sorte un démon. Mais c'est aussi la responsabilité du réalisateur : il faut qu'il obtienne tel ou tel plan. Il y a des risques et c'est en cela que ce n'est pas évident. Mais j'ai certains principes : je ne demande rien à mes acteurs que je ne sois moi-même d'abord capable de faire. C'est en quelque sorte la seule limite que je m'impose.

Vous avez déclaré il y a quelques temps de cela que la MPAA (organisme qui régente le cinéma et organise la censure aux USA-NDLR ) était l'horreur de votre vie. Est-ce toujours le cas et que pensez-vous du système du rating américain ?
Je n'aime pas plus la MPAA aujourd'hui qu'hier. Le fait qu'ils puissent influer et agir sur ce que je fais, sur ma vie de cinéaste ne me plaît pas. Comme tout le monde je n'ai qu'une vie et je tiens à en profiter. Si je ne peux m'exprimer comme je veux, je deviens très vite frustré. Et l'argument qu'ils utilisent, à savoir que s'ils ne le faisaient pas, quelqu'un d'autre le ferait à leur place, n'y change rien. C'est un peu comme si quelqu'un vous tirait dessus en prétextant comme excuse que quelqu'un d'autre l'aurait sûrement fait tôt ou tard... (rires) Cela m'est égal de savoir qui le fait. Toujours est-il que quelqu'un censure mes films et m'empêche de faire ce que je veux. Et la procédure est énervante : on n'a presque pas la chance de défendre son film car la censure s'effectue de manière totalement arbitraire par des comités sélectionnés auprès du public et qui changent tout le temps. En ce sens, c'est un système profondément défectueux et qui en plus, plonge certains films dans un ghetto artistique, enfermés dans un certain genre. Le cinéma est hélas considéré par celui-ci comme un produit et on lui applique des lois correspondantes, comme celles que l'on applique à une voiture... Mais ce n'est pas une voiture ! C'est une manière de s'exprimer, ce qui n'est pas du tout la même chose !

 

photo, Courteney Cox, David Arquette, Parker PoseyNon, ce n'est pas un spin-off de Friends 

 

Il y a un an de cela, la Cour Suprême des Etats-Unis a refusé d'invalider une décision de justice rendue par la Cour de Louisiane (à propos des actes de violences commis soi disant à la suite de l'exploitation et de la diffusion de Tueurs Nés, le film d'Oliver Stone) offrant la possibilité à la justice de poursuivre les auteurs d'un film qu'un jury aurait rendu et reconnu responsable d'avoir influencé et/ou inspiré tel ou tel crime. Qu'en pensez-vous et êtes-vous inquiet ?
C'est une situation très dangereuse. Regardons par exemple ce que notre culture considère comme des œuvres d'art acceptables : Shakespeare, la Bible, etc... il y a un nombre considérable de tueurs qui ont basé leur action sur la Bible et personne ne dit pour autant qu'il faut la bannir. Elle est pourtant pleine de violence. Dans le premier chapitre, Cain éclate la tête d'Abel et cela ne choque personne. Quelqu'un pourrait lire ça et dire : ''Moi aussi, je déteste mon frère'' et bam, il lui écraserait la tête à coups de marteau. Et l'on condamnerait la Bible : ''bannissons-la !''. Si on commence à aller dans cette voie, on n'est pas prêt d'en sortir car elle n'a pas de fin. Parce que personne n'est capable de dire ce qui pousse un tueur à tuer. Quelqu'un qui a l'envie, l'intention de tuer, même de la manière la plus inconsciente qui soit, pourra le faire aussi bien avec une arme à feu qu'un marteau ou un couteau ; et il s'exécutera aussi bien un mardi qu'un vendredi ou après avoir vu un film. Qui peut dire qu'il n'aurait pas tuer dans d'autres conditions ? Les causes qui poussent un être humain à agir de la sorte sont beaucoup plus compliquées et complexes que cela, parce que l'homme lui-même est complexe. Elles dépassent la notion d'art. Sans compter l'aspect statistique du problème : pourquoi chaque acte de violence ne se produit qu'isolément ? Un film qui influencerait un crime devrait également en influencer d'autres. Autre exemple : un enfant se tue en conduisant une voiture pour aller voir sa grand-mère. On ne va pas interdire les automobiles. Ce sont nos enfants que nous allons devoir mieux contrôler. L'art est si important que de vouloir l'interdire/le censurer et obliger les réalisateurs à être surveillés en permanence par peur qu'on copie ou qu'on ait l'intention de copier quelque chose de leurs films est une idée très dangereuse. C'est ouvrir la boîte de Pandore... avec les risques que l'on connaît. Cependant, les artistes doivent être un minimum responsables, ils doivent veiller à montrer que tout acte a des conséquences : mais ce sont les qualités générales requises pour un artiste (être responsable et dire la vérité, mais ne pas éviter/évacuer tel ou tel sujet, spécialement selon telle ou telle audience). 

Vous avez toujours eu un regard très lucide sur l'Amérique, notamment au niveau des clivages sociaux et raciaux. Aujourd'hui en tant que metteur en scène, qu'avez-vous envie de dire sur l'Amérique ?
C'est une vaste question. Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'aime mon pays et que je suis un pur Américain. Ce pays offre d'énormes opportunités et libertés, d'un point de vue général. Avec comme objectif et modèle de conduite, une barre qualitative toujours placée très haut. Mais c'est à la fois un pays terriblement divisé tant au niveau social que racial, il y a beaucoup de crimes, il y a le racisme, les armes à feu : il y a énormément de problèmes aux USA mais c'est une immense et très dynamique nation ; et je pense que l'on s'en sortira.

 

Scream 3 poster

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