Gladiator : critique à glaive

Sébastien de Sainte Croix | 24 septembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Sébastien de Sainte Croix | 24 septembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Gladiator marque un double retour cinématographique, celui du péplum qui avait disparu des écrans depuis l'effondrement des grands studios italiens et celui, plus notable, de Ridley Scott, dieu vivant du début des années 80 qui n' a jamais arrêté de tourner certes, mais dont les derniers opus à l'époque l'avaient laissé pour mort cinématographiquement parlant. Doté d'une production (Dreamworks) et d'un casting en béton (Russell Crowe, Connie Nielsen, Joaquin PhoenixRichard HarrisOliver Reed dans son dernier rôle), Gladiator casse la baraque et remporte dans la foulée une tripotée d'Oscars mérités.

OSCARS POUR CESAR

Mérités ?? Ça reste à voir. Le scénario calque habilement ceux de La Chute de l'empire romain d'Anthony Mann, Ben Hur ou encore Josey Wales hors la loi, et nous présente un nouveau personnage dont le nom se termine en OR. Après TerminatOR, PredatOR, voici Maximus GladiatOR qui intronise, Oscar à la clé, Russell Crowe comme nouvel héros bodybuildé, qui casse du sauvage dans l'arène comme Conan dans sa prime jeunesse. Si le parcours de Maximus est balisé et manque quelque peu de surprises (qu'il faudra aller chercher du côté des personnages secondaires Connie Nielsen en tête), il faut rendre à Ridley Scott ce qui est à Ridley Scott.

En grand faiseur d'images qu'il a été, Ridley Scott expérimente des effets d'obturation saisissants, mélangeant caméra 35 et nouveau format numérique (expérience qu'il poussera encore plus loin dans La Chute du Faucon Noir). Certaines scènes d'action sont saisissantes (le combat qui ouvre le film mettant en présence les troupes de Maximus face aux envahisseurs barbares). De même la reconstitution numérique et historique est (presque trop) parfaite : Scott maîtrise ses images et les outils numériques mis à sa disposition.

 

photo, Russell CroweRussell Crowe 

Un autre point en faveur de Gladiator vient de son absence totale de cynisme et d'humour. Ridley Scott met en scène un récit au premier degré où les désordres psychologiques, esquissés mais rendus palpables par le casting impeccable (Joaquin Phoenix en empereur mal aimé et torturé par l'inceste et surtout Connie Nielsen qui navigue en territoire hostile) viennent servir et renforcer une histoire de vengeance somme toute banale. Cela n'empêche pas Gladiator d'être un bon film au regard de la production de blockbuster hollywoodien, mais c'est bien là le problème.

 

photo, Russell Crowe

RIDE-LES

Si Gladiator avait été réalisé par (au hasard) Brett Ratner, on aurait applaudi au chef d'oeuvre. Mais les attentes vis-à-vis d'un Ridley Scott sont trop fortes et voir le réalisateur de Blade Runner nous servir un « actioner » de bon niveau ne suffit pas pour égaler le souvenir d'Harrison Ford et Rutger Hauer s'affrontant sur les toits sur fond de métaphysique. Car c'est bien d'âme qu'il s'agit ici, si celle du Gladiator Maximus retourne apaisée auprès de celle de sa femme, celle de Ridley Scott semble s'être égarée….

 

photo, Russell Crowe, Connie Nielsen

 

VERSION LONGUE

La version de Gladiator présentée comprend un quart d'heure d'images supplémentaires, qui portent la durée du film à 2h44 (générique de fin inclus) au lieu de 2h29 précédemment.

Voici la liste complète des ajouts réalisés :

 

Après la bataille (16min45s, 1min10s) : le soir du combat contre les Germains, Maximus se rend au chevet des blessés avant de rejoindre la fête célébrant sa victoire. Il s'agit de l'ajout le plus « évident », tellement il s'intègre parfaitement au récit au niveau du ton et de la musique de Hans Zimmer.
Force et recueillement (31min35s, 40s) : quelques plans nous montrant Marc-Aurèle en train de méditer devant les bustes de ses ancêtres avant d'annoncer à Commode qu'il ne lui succèdera pas en tant qu'empereur.
Première scène inédite (52min, 55s) : une discussion entre gladiateurs qui prend place entre la sélection entre rouges et jaunes chez Proximo et le premier combat en arène. Le personnage du gladiateur qui s'urine dessus de peur juste avant ce combat y est en particulier développé : on apprend qu'il était scribe auparavant et qu'il est terrifié à l'idée de se battre.
Le marché aux couleurs (54min05s, 1min20s) : toujours avant le premier combat des gladiateurs, une discussion entre Proximo et d'autres « managers » de gladiateurs, qui parient sur l'issue de l'affrontement à venir.

 

photo, Djimon Hounsou, Russell Crowe


Les secrets de la gloire (1h07min25s, 15s) : avant le combat « seul contre tous » (qui s'achève sur la décapitation à deux épées), Proximo harangue Maximus en lui demandant plus de spectacle et moins de barbarie pure, ceci afin de gagner les faveurs du public.
Vox non populi (1h18min25s, 3min45s) : juste avant l'arrivée de Maximus à Rome, Lucilia rend une visite nocturne à Gracchus pour faire un point sur la situation politique et se prononce en faveur de l'assassinat de son frère Commode. Gracchus lui répond que Commode est trop populaire pour le moment, qu'il faut être patient et attendre la bonne opportunité pour frapper.

Père et fils (1h37min50s, 1min40s) : suite à la révélation de l'identité de Maximus en plein Colisée, Commode se rend dans les entrailles de son palais pour y déchaîner sa rage sur un buste de son père, qu'il mutile à coups d'épée.
L'exécution (1h44min40s, 2min45s) : l'exécution sous les ordres de Commode de deux soldats ayant selon lui caché des informations à propos de l'évasion de Maximus en Allemagne. Cette séquence fait écho à une scène précédente où Lucilia conseillait à Commode de « dire aux légions que leur trahison [concernant Maximus] serait punie ».

 

Photo Joaquin Phoenix, Russell Crowe


Surveiller et punir (2h05min40s, 1min10s) : Gracchus envoie l'un de ses domestiques remettre de l'or à Proximo en échange de son soutien à l'attentat qui se prépare, mais l'opération avorte à cause de la présence d'espions surveillant Proximo. Ce qui justifie explicitement la réplique « Ca ne marchera pas. L'empereur en sait trop. » de ce dernier dans la scène suivante, où Maximus peine à le convaincre de participer au complot.
Un autre ennemi (2h08min25s, 55s) : la suite de l'intrigue d'espionnage introduite dans Surveiller et punir. La scène où Lucilia et Commode sont allongés côte à côte sur le lit voit en effet son introduction rallongée par l'ajout de plans où Lucilia croise dans un couloir du palais les deux espions qui surveillaient Proximo, et se sent épiée par eux.
Chasse à l'homme (2h18min50s, 20s) : quelques plans supplémentaires dans l'attaque nocturne des prétoriens contre la résidence de Proximo.
Deuxième scène inédite (2h25min10s, 20s) : juste avant le duel final, alors que Maximus est enchaîné dans le sous-sol du Colisée, Quintus vient s'excuser de sa traîtrise auprès de lui. Des excuses qui sont sèchement rejetées par Maximus.

 

photo, Russell Crowe, Oliver Reed (I)

Cette version longue ne change pas fondamentalement le ton ou la trame générale du film mais en modifie profondément l'orientation. Une seule des douze séquences modifiées ou rajoutées concerne en effet directement le personnage de Maximus (Après la bataille) ; toutes les autres approfondissent avec succès les autres protagonistes du récit (Commode, Lucilia, Proximo, Marc-Aurèle, et même des personnages très secondaires comme Quintus ou le gladiateur terrifié du premier combat) et emmènent celui-ci dans une direction plus globale, moins centrée sur Maximus. Le parcours de ce dernier et sa vengeance ne sont alors plus le seul coeur de l'histoire, le personnage de Commode et les manœuvres politiques qui l'entourent devenant tout aussi importants.

 

photo, Joaquin Phoenix

 

Plus de profondeur dans les personnages et dans l'intrigue donc, au détriment il est vrai du rythme et de la durée du long-métrage. Loin des quelques retouches anecdotiques que sont trop souvent les scènes coupées, les deux versions de Gladiator sont autant de films différents : l'un sauvage et brutal, à l'image du destin tragique et violent de Maximus ; l'autre plus ample, plus lent aussi (la plupart des scènes réintégrées créent de vraies pauses, voire des ruptures dans la progression du récit), dans lequel les exploits physiques du général devenu gladiateur ne sont que la partie visible de machiavéliques intrigues de pouvoir dont le public de l'arène ignore tout.

 

Affiche

Résumé

Un film important dans la carrière populaire de Ridley Scott, et pourtant assez mineur au regard de la qualité artistique globale de sa filmographie.

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Lecteurs

(4.5)

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commentaires
pumba
24/09/2018 à 22:50

pinaise 3 étoiles et demi pour Gladiator et vous en donner 3 pour hunger game , heuuu vous deconnez un peu EL
je sais bien que c'est pas le même genre mais hunger game vaut rien comparer à gladiator

La Rédaction - Rédaction
24/09/2018 à 20:35

@Baguette
La profusion de chaines TV et de programmes nous oblige malheureusement à faire des choix, sinon nous tenterions probablement d'être exhaustifs.
Cette exercice qui nous permet de remettre en avant (et en question) des films indépendamment de l'actualité est apprécié d'un grand nombre de lecteurs. L'appréciation d'une œuvre évoluant parfois radicalement avec le temps.
Ce qui est bien avec l'internet, c'est que si cela vous ennuie, vous n'êtes pas obligé de cliquer, encore moins de commenter, sauf si ce geste contradictoire vous est dicté par votre surmoi avide de chaleur humaine. Dans ce cas, sachez que nous serons toujours là à vous attendre avec une bonne soupe. Bisous

Gaidon
24/09/2018 à 20:25

At My Signal, Unleash Hell. La séquence de bataille au début est sublime, "le calme avant la tempête" prend tout son sens

MichMich
24/09/2018 à 19:49

Le film est définitivement banal, prévisible, expéditif et manque cruellement de souffle, la faute au budget?
La version longue est interminable, une véritable torture qui dure, qui dure: autant mater un feu de cheminée à la TV.
Et pourtant j'avais adoré à la sortie ("Force et Honneur" mdr)

Myst
14/05/2018 à 00:19

LE meilleur film de tous les temps, clairement ce qu'on peut appeler: un CHEF D'OEUVRE !

Dirty Harry
13/05/2018 à 23:26

Partis qu'avec 20 pages de script, le père Scott et son équipe : le loyal Neil Corbould aux effets de plateaux (qui était sur Soldat Ryan peu de temps avant), John Logan au scenario venu en catastrophe mettre de l'ordre dans cette histoire entre "la chute de l'empire romain" de Mann et "Spartacus" de Kubrick, Lisa Gerrard du groupe Dead Can Dance venu insuffler un esprit lyrique sur la soundtrack de Hans Zimmer, ce film est pour moi le dernier "Grand" de Ridley Scott : une énergie palpable, une équipe au top (malgré le décès d'Oliver Reed) et qui a réveillé le genre, ringardisé depuis les années 70. Russel Crowe excellent, Phoenix itou, et plein d'images qui restent en tête. Force et honneur !

rwanalator
13/05/2018 à 23:22

3.5/5 vous rigolez ? C'est 4.5/5 au minimum. Point. Y'a même pas débat.

F4RR4LL
13/05/2018 à 22:01

Il manque quand même une étoile et demie à la critique. Ce film n'a aucun équivalent dans le genre péplum.

Grrr
13/05/2018 à 21:05

"Mais les attentes sont trop fortes (Ridley Scott a placé malgré lui la barre trop haut de par le passé)" : heureusement, depuis, Ridley a commis Prometheus et Covenant, cela devrait donc remonter Gladiator de 14 étoiles ^^

crorkservice
02/09/2015 à 23:19

hefalA Its like you read my mind! You seem to know a lot about this, like you wrote the book in it or something.

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