Civil War : critique d'une guerre terrifiante

Alexandre Janowiak | 16 avril 2024 - MAJ : 16/04/2024 18:04
Alexandre Janowiak | 16 avril 2024 - MAJ : 16/04/2024 18:04

Il a marqué les esprits avec son thriller sur l'intelligence artificielle Ex Machinason film de science-fiction psychologique Annihilation et son délire horrifique sur la toxicité masculine Men,  Alex Garland devrait encore frapper un grand coup dans l'esprit des spectateurs avec Civil WarPorté par Kirsten DunstCailee Spaeny (Priscilla), Wagner Moura et Stephen McKinley Henderson, ce road trip dans une Amérique à feu et à sang mêle le grand spectacle explosif, la terreur autoritaire et une réflexion passionnante sur l'éthique de nos images. Un grand cru.

voyage au bout de la guerre

Observer rétrospectivement comment un film a été promu avant sa sortie en salles est souvent passionnant et c'est le cas de Civil War. Dès sa première affiche avec ses snipers dissimulés sous la flamme de la statue de la Liberté new-yorkaise, le film d'Alex Garland se présentait en pur film de guerre au pays de l'Oncle Sam, faisant resurgir les lointains souvenirs de la guerre de Sécession. Les bandes-annonces suivantes se sont, elles, justement appuyées sur le conflit armé entre le gouvernement et l'alliance inattendue Californie-Texas pour teaser une Amérique profondément divisée, a priori au coeur du récit.

Enfin, ce sont les grosses scènes de batailles dans les rues de Washington DC concluant les différents trailers qui ont promis un spectacle pyrotechnique impressionnant. Et c'est sans parler de l'affiche finale à la Apocalypse Now où New York est cerné par des hélicoptères et autres porte-avions, entérinant la guerre civile brutale qui devrait se jouer sous les yeux des spectateurs. Ce film de guerre, il est bel et bien dans Civil War, on ne peut pas le nier.

 

 

Durant 1h49, le quatrième film d'Alex Garland propose une ribambelle de scènes d'action et tension à la fois anxiogènes et volcaniques. Qu'il s'agisse d'un attentat dans les rues new-yorkaises, d'une pause torturée à une station essence de fortune, d'un violent affrontement au coeur d'un bâtiment en ruine ou d'une embuscade au milieu de nulle part, Civil War offre un spectacle explosif. Avec une mise en scène viscérale, le Britannique nous plonge même au coeur d'une bataille complètement folle à Washington DC, où les rues sont envahies de blindés et la Maison-Blanche prise d'assaut.

Malgré un budget aussi restreint (50 millions de dollars), rarement aura-t-on vu une scène de guerre aussi réaliste et immersive dans les rues de la capitale américaine mêlant avancée au sol et vue aérienne avec une fluidité déconcertante. Il faut dire qu'encore une fois, Alex Garland est bien aidé par le découpage savant de Jake Roberts (fidèle monteur déjà derrière Men et la série Devs). Autant dire que les spectateurs venus découvrir une Amérique à feu et à sang en auront pour leur argent rien qu'avec ce climax.

 

Civil War : photo, Kirsten DunstUn spectacle franchement explosif

 

le choc d'une nation

Toutefois, ce thriller d'action tant vendu par la promotion n'est pas vraiment ce qui intéresse Alex Garland avec Civil War, pas plus que les raisons de la guerre en cours. Pourquoi l'Amérique a implosé ? Comment la Californie progressiste et le Texas conservateur ont pu s'allier malgré leur division politique ? On n'en saura jamais vraiment plus. Le film nous apprendra juste discrètement que le président a démantelé le FBI, bombardé des civils et est en poste pour un 3e mandat anti-constitutionnel, ce qui semble trois des nombreuses raisons ayant conduit le pays à s'enflammer.

Alex Garland aurait pu établir une guerre entre "gentils" et "méchants", progressistes et conservateurs, démocrates et républicains, protectionnistes et libéraux... mais il décide de faire de cette lutte armée une toile de fond plus abstraite. Ainsi, plus le film avance, plus il est difficile d'identifier ou matérialiser les différents camps et d'entendre les tenants et aboutissants du conflit. Bien sûr, en restant assez flou, le film divisera vu les profondes divergences de l'Amérique contemporaine et tant il semble (parfois) nécessaire de rappeler frontalement les dérives tragiques de la récente administration Trump. Pourtant, ce choix scénaristique (et politique en soi) est extrêmement pertinent.

 

Civil War : photo, Nick OffermanMake America Dead Again

 

Avec ce brouillard délibéré, Civil War déstabilise en permanence les spectateurs, les oblige à se questionner sur leur boussole morale et à voir plus loin que leurs préjugés. Il rend ainsi plus tangibles les réflexions du groupe de reporters au coeur du récit et en route pour Washington DC afin d'interviewer le président. Alors que leur road trip de New York jusqu'à la Maison-Blanche est semé d'embûches dans un paysage post-apocalyptique plus vrai que nature (la direction artistique est phénoménale), les situations auxquelles ils sont confrontés sont plus angoissantes et il est impossible de se rassurer sur leurs possibles sorts.

C'est toute la force de la terrible séquence où les journalistes rencontrent le personnage de Jesse Plemons leur demandant : "Quel genre d'Américains êtes-vous ?". Alex Garland joue habilement avec l'identité de ce soldat et reste mystérieux sur le clan qu'il soutient. La parano envahit l'écran, les reporters ne savent plus à qui ils ont affaire et les spectateurs suivent abasourdi, impuissant, cette altercation. La simple question suffit à déceler l'acuité de Civil War, pointant du doigt l'horreur de la guerre où quiconque peut devenir un ennemi, même par erreur, et nous plongeant dans un monde terrifiant, car dépourvu de repère.

 

Civil War : photoLa tension a désormais un visage

 

profession : reporter

C'est avant tout ce sujet qui semble motiver Alex Garland : la quête de sens dans un monde qui n'en a plus (ou de moins en moins). Ce n'est pas anodin si Civil War est surtout un road movie sur des journalistes tentant de capturer au mieux la réalité qui les entoure, de relater ce qui les entoure, qui, quoi, comment et pourquoi. Avec son quatrième film, Alex Garland s'intéresse aux rôles des médias, à leur intégrité, à leur pouvoir, à l'importance de l'information et de la recherche de la vérité.

Dans cette droite lignée, le film est assez limpide avec l'évolution de Lee (Kirsten Dunst), clin d'oeil évident à la célèbre photographe de guerre Lee Miller (jusqu'au prénom). Au début du film, Lee photographie le président sur sa télévision, mais son objectif sera bel et bien de traverser l'écran, de devenir une protagoniste de l'histoire et de photographier en chair et en os ledit président pour immortaliser la réalité (et non celle qu'une propagande veut vendre aux spectateurs-électeurs-citoyens). Cette ambition demande toutefois du courage et que se passerait-il si plus personne n'avait envie de défier les balles, les explosions avec pour seule arme son appareil photo ou son crayon ?

 

Civil War : photo, Kirsten DunstL'objectif du quatuor devient littéralement leur arme

 

En posant un regard aussi solide sur l'effondrement à la fois politique, philosophique et éthique de l'Amérique (et de la société occidentale in fine), Civil War rend évidemment hommage à tous les reporters de guerre qui ont risqué, risquent et risqueront leur vie pour raconter l'Histoire. Ce n'est pas franchement subtil ni même très original, mais il en ressort un besoin urgent de transmettre ce savoir-faire, cette volonté d'informer, cette soif de vérité. La passation progressive entre Lee et Jessie, l'aspirante photographe incarnée par l'excellente Cailee Spaeny, est d'ailleurs particulièrement touchante malgré une énorme bévue scénaristique en toute fin de métrage.

Cela dit, Garland questionne aussi ce travail de reporter et notamment cette difficulté à capter les événements sans les transformer, les saisir sans les biaiser, afin de ne pas contaminer une information dans un sens ou dans l'autre. D'où toute l'ambiguïté se jouant devant nos yeux et l'horreur psychologique torturant les esprits des journalistes : ils observent, retranscrivent, photographient, racontent... pour nous interpeller ("We record so other people ask") et espérer qu'on réagisse, mais ils n'interviennent jamais. Ils subissent ce qu'ils expérimentent, mais vivent aussi de cette adrénaline, exulte presque d'être aux premières loges de la déliquescence d'une nation (ce sourire de Jessie en plein assaut).

 

Civil War : Photo Cailee SpaenyRegarder pour mieux raconter

 

D'une certaine manière, l'information est une forme d'art où l'artiste ne doit jamais se mettre plus en valeur que sa peinture et où sa peinture ne doit jamais surpasser le message qu'elle veut diffuser. C'est là qu'Alex Garland frappe d'autant plus fort saisissant parfaitement le pouvoir de l'image en jouant lui-même de ce paradoxe. Son Civil War repose sur un grand spectacle flamboyant, une photographie léchée, un sound-design envoûtant, une bande-originale fascinante... ce qui pourrait sembler inapproprié – ou opportuniste – vu le sujet  Sauf qu'il n'en oublie jamais de donner une vraie valeur à ses images pour proposer un point de vue plus nuancé, une perspective plus sagace car affranchie d'un partisianisme devenu tristement contre-productif au fil du temps.

C'est ce qui donne à Civil War sa pertinence politique, sociale et existentielle. Une denrée précieuse, voire rarissime, à cette échelle hollywoodienne actuellement et dont le cinéaste semble bien avoir conscience. Alors qu'il a révélé que Civil War serait probablement son dernier film en tant que réalisateur (en partie par fatigue du système), on peut presque supposer qu'Alex Garland souhaite incarner à son tour un messager ici. Un lanceur d'alerte craignant que cette forme de cinéma disparaisse, ce qui n'annoncerait rien de bon pour l'avenir du 7e art. Espérons qu'il soit entendu.

 

Civil War : Affiche française 2

Résumé

Sur fond de thriller d'action explosif, Civil War s'interroge avant tout sur le sens de l'information, le pouvoir de l'image et l'absolue nécessité de préserver un journalisme de terrain tentant de capturer le réel, exposer la vérité. Passionnant de bout en bout.

Autre avis Antoine Desrues
Malgré quelques élans symboliques un peu trop balourds, Civil War fascine par sa manière de contrer la binarité de son sujet, et d'y plonger des personnages en quête de nuance. Quand il interroge la représentation de la guerre par une mise en scène implacable, le film est à son meilleur.
Autre avis Geoffrey Crété
Alex Garland fait beaucoup de bruit pour enfoncer des portes ouvertes, avec des effets indignes de ses grands talents de réalisateur et scénariste. Grandes idées de départ, grosse déception à l'arrivée.
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Lecteurs

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commentaires
Fox
29/04/2024 à 12:40

@Flo1

Je n'ai pas eu à "projeter de supposées humeurs", vous les avez malheureusement écrites.
Encore une fois, je ne parle pas de votre point de vue et de son illustration par des exemples.
Je parle de ça :

"Pas besoin de le voir deux fois, en une seule on comprend tout... si on prend la peine d'être attentif et pas impressionnable"

"Et ceux qui pensent que c’est un grand film – mais on se demande si ce n’est pas parce que ces spectateurs/analystes sont trop impressionnables, rassurés d’y voir très peu de violence."

Si quelqu'un ressent le besoin de le voir une deuxième fois pour tenter d'y trouver des éléments qu'il n'a pas décelé à la première, vous n'étiez pas obligé de lui faire sentir qu'il avait manqué d'attention.
Et si quelqu'un juge que c'est un grand film (quelles qu'en soient les raisons), peut-être auriez-vous pu vous abstenir de le réduire à une personne "trop impressionnable". Quand je lis ça, les deux mots que j'ai employés ne me paraissent alors pas être des "fourre-tout".
Je ne vous tiens pas rigueur de votre avis sur le film, juste de la manière dont vous dépréciez celui des autres. Il y a, selon moi, d'autres façons de faire valoir la pertinence de son jugement (ce que vous faites plutôt bien par ailleurs).

P.-S. : Il est assez amusant que vous ayez employé, à deux reprises, le terme "impressionnable" alors que le sujet du film - au moins en partie - traite de la manière dont un conflit armé peut être "impressionné" sur pellicule (ou sur capteur). Cocasse clin d'oeil !

Californias
28/04/2024 à 18:54

Très réussi... trop subtil pour beaucoup, hélas pour eux. La scène de la ferme "je tire car il y a un mec qui tire" illustre bien le propos.

Paddak
27/04/2024 à 23:51

Un film sans contexte qui explore la confusion et le sens dans un monde à la dérive.
Des reporters de guerre près (trop près ?) de l'action (j'aimerais bien savoir ce qu'en pensent de vrais reporters de guerre), au point parfois de gêner la troupe.
De bonnes scènes, mais beaucoup de clichés. C'est parfois balourd. Et la fin est un brin prévisible. Les acteurs s'en sortent relativement bien, alors que leurs personnages ne sortent pas des sentiers battus (mention spéciale quand même à Stephen Henderson).
Alors, bon ou mauvais film ? Si Alex Garland avait un message à passer, il est inaudible. Reste un spectacle de bonne facture.

Flo1
27/04/2024 à 12:52

@ Fox

Apparemment vous ne savez pas ce que c'est que le dédain et la suffisance : ce ne sont pas des termes fourre-tout servant à trouver du mal chez autrui... Surtout quand à aucun moment je n'utilise du "Moi Je" à foison, c'est concret.
Ce qui prouve que si je saurais développer mes propos, au contraire d'autres (mais ça reste toujours relatif, selon les circonstances), il y a donc de l'ouverture à l'échange et à la discussion, car l'un ne va pas sans l'autre.
Sauf si vous décidez d'y projeter de supposés humeurs, pour lesquels vous n'avez aucune preuve ... et que ainsi, serait-il possible que ça soit plutôt vous qui occulteriez les faits ?
On peut poser la question, puisqu'on ne peut jamais être sûr d'une conviction.

Alexandre Janowiak - Rédaction
25/04/2024 à 13:16

@Et non

Si je pense qu'il y a une bévue scénaristique, j'ai le droit de le penser (je ne suis même pas sûr que vous sachiez à quoi je fais référence). Par ailleurs, croire que je vois les reporters du film de manière manichéenne, c'est probablement un signe que vous ne m'avez pas bien lu.

Au plaisir,

Fox
25/04/2024 à 13:02

@Flo1

Autant je n'ai aucun problème avec le fait qu'on puisse prendre position au sujet d'un film (dans un sens comme dans l'autre), autant j'ai beaucoup plus de mal quand on considère sa propre lecture comme étant la seule vision valable.
Il faut cependant mettre à votre crédit que vous avez au moins le mérite de développer un peu plus que la moyenne des tristes commentaires qu'on voit habituellement sur ce site. Mais le dédain et la suffisance dont vous faites manifestement preuve n'invite absolument pas à l'échange et à la discussion qu'on serait en droit d'attendre d'une état d'esprit cinéphilique.
Le voulez-vous seulement d'ailleurs ?

Et non
25/04/2024 à 01:02

il n'y a pas de bévue scénaristique concernant les journalistes à la fin du film. Vous avez interprété la vision du réalisateur concernant les journalistes selon votre propre prisme idéalisant. Alors que lui, sans les voir d'un mauvais oeil, les considère en nuances de gris, moins manichéens que dans le point de vue de l'auteur de la critique.

Flo1
24/04/2024 à 13:58

En fait la seule polarisation qui résulte de ce film, on l’a trouve entre ceux qui sont déçus et sont très largement restés sur leur faim…
Et ceux qui pensent que c’est un grand film – mais on se demande si ce n’est pas parceque ces spectateurs/analystes sont trop impressionnables, rassurés d’y voir très peu de violence. Ou si la réputation sulfureuse de ce long-métrage n’a pas occulté le résultat.
Mieux vaut regarder le doigt plutôt que la lune ?
Mieux vaut plutôt (re)voir John Carpenter, Joe Dante, et les comics DMZ.

Jayjay
23/04/2024 à 22:17

Très déçu après toute cette hype (oui don't believe...). Que c'est naïf, que ces personnages sont bêtes, des séquences surréalistes, juste de l'esbroufe sonore essentiellement.
Le message du film est périmé pour moi.
Et que c'est triste de voir encore une fin de personnage aussi téléphonée en 2024!
C'était pas une si bonne idée ces reporters en vadrouille...

Hugo Flamingo
23/04/2024 à 12:54

J'en sors. Et je viens lire les avis ici car je suis dépité et le suis ennuyé mais d'une façon comme rarement. C'est creux, mal filmé, niveau jeu, bof. Déçu de ce Real que j'apprécie

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