Silent Night : critique 'Woo t’es, John Woo où t’es ?' sur Amazon

Antoine Desrues | 29 décembre 2023
Antoine Desrues | 29 décembre 2023

Le retour du roi : voilà ce que promettait le comeback de John Woo avec Silent Night. Si le maître du cinéma d’action hongkongais avait disparu depuis Manhunt en 2017, le voilà à prendre sa revanche du côté des États-Unis. À l’occasion, le cinéaste en profite pour proposer un exercice de style purement théorique. En plongeant Joel Kinnaman dans un revenge movie muet, on espérait un high-concept au service d’un summum d'action bouillonnante. On a eu droit à une sacrée douche froide mais on comprend mieux pourquoi le film sort directement sur Amazon Prime Video.

Woo’s bad ?

Silent Night semble porté par un double programme. Pour John Woo, le film représente tout d’abord une revanche sur Hollywood, après un accueil opportuniste de la machine à rêves dans les années 90 à l’orée de la rétrocession, pour les résultats mitigés qu’on connaît. Si on continue de voir en Volte/Face un grand film fou, les contingences de studios n’ont fait qu’une bouchée de sa vision dans ces années-là, tandis que sa mise en scène a fini d’être digérée par l’Occident.

Enfin, Silent Night est un retour aux fondamentaux. Pas de récit à tiroirs inutilement tarabiscoté, mais un pur film de sensations où les gestes et la violence en viennent à remplacer les mots. Plus mutique encore que The Killer, le long-métrage prend le parti-pris d’être totalement dépourvu de dialogues, afin de laisser l’image et le son exprimer le désir de vengeance de Joel Kinnaman, meurtri par l’assassinat de son fils.

 

Silent Night : photo, Joel KinnamanUn mode silencieux qui peine à faire vibrer

 

Sur le papier, ça fait rêver, d’autant que la poursuite inaugurale justifie le dispositif, une fois que le personnage principal se prend une balle dans la gorge. S’il ne peut plus crier pour extérioriser sa peine, ses poings le feront à la place.

Malheureusement, les quelques ralentis esthétisés de cette introduction ne suffisent pas à cacher la catastrophe qui se profile. Pour être franc, l’échec de Silent Night est tellement incompréhensible qu’il en devient un fascinant casse-tête. Comment appréhender et écrire sur une telle déception, surtout lorsqu’on a été biberonné aux grandes heures du cinéma HK ? Doit-on se contenter d’accepter le fourvoiement de trop d’un artiste autrefois adulé, qui n’aurait plus sa place dans l’industrie actuelle ? Pas vraiment, puisqu’on a préféré plonger dans le terrier de notre crise existentielle.

 

Silent Night : photoJe suis la vengeance, je suis l'ennui

 

Woo Cares ?

En vérité, la tragédie de Silent Night réside dans le fossé entre son intention et son exécution. Dès le départ, John Woo assume une forme de déception, en s’éloignant du style qui a fait sa renommée. Loin du lyrisme de son découpage habituel, où le temps se distord et se suspend entre la frénésie des balles, des raccords et des ralentis, il opte pour des suites d’images beaucoup plus rêches et à l’épaule.

Dans l’idée, pourquoi pas, si c’est pour calquer sa mise en scène sur son protagoniste maladroit et son manque de maîtrise dans l’art du bourre-pif. À vrai dire, pendant le (trop) long build-up, on se met à espérer l'émergence d’un vigilante movie moderne, qui interrogerait la place d’une justice expéditive dans la société américaine actuelle. Le temps d’un unique plan sur le visage satisfait de Joel Kinnaman au volant de son bolide, Silent Night sous-entend l’inévitable bascule d’un homme dont la quête vengeresse mute en plaisir du meurtre.

Cependant, le jeu limité de l’acteur ne peut pas soutenir ce dilemme, qui ne s’incarne jamais à l’image. Plutôt que d’assumer son film en remake déguisé d’Un justicier dans la ville (avec toute l’ambiguïté morale qui l’accompagne), John Woo se refuse à tout crescendo, et par extension à un formalisme qui embrasserait le fantasme de son personnage. Quitte à jouer le contre-pied, le réalisateur avait une sacrée matière métatextuelle entre les mains à filmer un anti-héros persuadé de devenir... celui d’un film de John Woo.

 

Silent Night : photo, Joel KinnamanL'une des rares images intéressantes du film

 

Dès lors, on se demande bien à quoi sert le concept du film muet, si ce n’est de gimmick dévitalisé. Sans la pollution de la parole, le long-métrage se donnait le défi de dépeindre le désarroi de ce père de famille par un pur rapport au corps, par une rythmique cinégénique des gestes. Sauf qu’encore une fois, Silent Night fuit la musicalité typique de son auteur, au point de faire subir un contresens à sa note d’intention.

Après tout, le kitsch assumé de Woo dans le domaine de l’action se répercutait toujours sur notre acceptation de ses élans mélodramatiques, traités avec la même emphase. En comparaison, la rigidité de son dernier-né le fait sombrer dans le ridicule le plus total, entre ses flashbacks suréclairés horribles, leurs transitions abusives et l’importance donnée à certains symboles risibles (la boîte à musique, pitié...). Comme si le réalisateur n’avait plus confiance en ses images, Silent Night martèle le chagrin de son héros dans une répétition embarrassante qui traîne la patte jusqu’à mi-parcours, avant d’offrir un peu de baston.

 

Silent Night : photoUne photographie chatoyante

 

Woo’s Your Daddy ?

Et au final, l'épure supposée du long-métrage ne tient même pas la route, puisqu’en vieux briscard entamant sa tournée d’adieu, John Woo ne peut pas s’empêcher de ressortir ses tubes, mais en moins bien. La messe est dite lors d'un dérapage en voiture teinté de fusillade au ralenti. Sur le principe, c’est tout ce qu’on attend du cinéaste : une suite de mouvements imbriqués les uns dans les autres (le véhicule, son conducteur, ses cibles) et une suspension du temps qui rend compte de chaque détail de cet instant T épique. Pourtant, au lieu de segmenter les éléments pour leur donner leur pleine puissance, la mise en scène accumule les plans larges insipides, ponctués par quelques inserts paresseux.

Pour reprendre la métaphore musicale, Silent Night donne la triste sensation de voir une légende de la guitare rater son solo. Par son refus inaugural de la forme, John Woo semble en décalage avec le tempo de ses scènes, surtout lorsqu'il en arrive à un sempiternel plan-séquence dans un escalier, similaire à celui de Mourir peut attendre. Si le tour de force a autant marqué les esprits dans A toute épreuve, c’est parce qu’il donnait une direction, oserait-on même dire une structure, à un chaos spectaculaire où les ennemis débarquaient de chaque coin de l’écran. On avait le temps de voir leur position et le danger qu’ils représentaient avant de périr sous les balles.

 

Silent Night : photo, Kid CudiIl y a aussi Kid Cudi qui sert à rien

 

Là, Joel Kinnaman n’est plus qu’un avatar de jeu vidéo désincarné, lancé sur les rails d’un third-person shooter chiant comme la mort, avec une poignée de mouvements panoramiques pour nous révéler (trop tard) les menaces qu’il s’apprête à abattre.

Et c’est peut-être le plus triste. John Woo cherchait sa revanche sur Hollywood. On en vient à constater que le cinéma d’action américain a su évoluer sans lui. Pour sûr, les succès récents comme John Wick doivent tout au maître de Hong-Kong et à sa philosophie de la mise en scène. Maintenant qu’ils sont eux-mêmes copiés et digérés à un stade caricatural (notamment avec les plans-séquences rébarbatifs), le cycle en arrive à sa conclusion. Difficile d'écrire une phrase plus déprimante que celle-ci : John Woo a signé son propre sous-John Wick.

Silent Night est disponible sur Amazon Prime Video à partir du 29 décembre 2023.

 

Silent Night : affiche

Résumé

Une antithèse de cinéma d’action par l’un de ses plus grands noms. Un crash aussi spectaculaire qu’incompréhensible.

Autre avis Mathieu Jaborska
Un vigilante débile et complètement ringard (la partie qui précède la baston est interminable), à des années-lumière du John Woo des années 1990, mais toujours plus audacieux dans sa mise en scène que 90% des films du genre.
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Lecteurs

(2.8)

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commentaires
An
21/01/2024 à 23:28

Woo avait déjà donné le meilleur de lui-même à HK dans les 80-90s.
A un Face/Off près, ces années US étaient déjà un ton en-dessous.
Ce Silent Night ne fait pas exception mais est loin de mériter le bâchage extrême qu'il se prend.
C'est tout à fait honnête et si ce n'était pas signé "Woo", il ferait largement son buzz.
Le film est assez riche en symbolique pour justifier son concept, sans être renversant, on est tout de même et à l'évidence au-delà du gimmick.
Quant aux scènes d'action, Woo n'est peut-être plus au top mais elles sont d'une lisibilité remarquable, ce qui est loi d'etr le cas pour la majorité des prods d'action. Et il y a au moins deux scènes geniales. La 1ere dans la maison: d'une déceptivité choisie et assumée. Puis celle en écho, avec la "cape" et la moto, trop courte mais lance l'assaut final avec classe (et ce qui suit déçoit alors mais ce n'est sûrement pas choisi).
Il y a cependant un vrai problème de rythme. Et le héros oscille un peu trop entre le mec qui n'est plus de ce monde et celui qui a encore son humanité. Pas de choix assez clair.
Le flic déçoit aussi un peu: Kid Cudi n'a littéralement pas d'épaules. Ca limite l'iconosation hommage à HK de la grande époque.

Alors oui, film imparfait mais loin d'être mauvais. Sur le fil mais ne tombant jamais.
Et là, Woo est fidèle à lui-même. Il a to été limite et ici je pense aux souvenirs finaux du père sur son fils: on est dans un kitsch affreux quand, d'un coup, avec une image, celle fantasmée, Woo rappelle une facette de la paternité qui prend aux tripes.
Idem avec la scène finale dans le cimetière. Ça pue la guimauve et puis il y a ce train, qui tourne en rond, dans un cercle fermé.

Non, vraiment, Woo est aujourd'hui un papy, il n'y a rien à espérer de mieux qu'un peu d'élégance (et son désespoir habituel, là, il est très très noir), et il l'est.
Si c'était son dernier film, ça serait tout à fait honorable.
Je ne comprends pas l'idée de remaker Thé Killer par contre... Peut-être l'idée de la variation sur un personnage féminin (si j'ai bien compris... Omar Sy lui va jouer j'espère 10mns max comme dans tous ses films inter).

Fabrice de la Mancho
14/01/2024 à 15:08

La reference a Batman on drugs est ultime, ce qui donne a ce film un mimimum de 3,5/5 ou 5/7 au choix

Larson 357
01/01/2024 à 17:32

J'ai découvert le film hier soir tard dans la nuit! Heureux de pouvoir visionner ce nouveau John Woo en guise de premier film de la nouvelle année; Le constat à la fin de la séance est que j'ai assisté à une bonne "série B d'action" dans le bon sens du terme. A maintenant 77 ans, Woo réussit à nous dévoiler une véritable "proposition de cinéma" que celà soit dans le concept (personnage principal mutique, pratiquement aucun dialogue direct) ou la mise en scène (papy Woo faisant encore preuve d'inventivité à ce niveau). Bien entendu,les grandes heures du cinéaste sont passées (The Killer, À toute épreuve, Une Balle dans la Tête), bien que "Silent Night" les évoques par moment (la fusillade en (faux) plan séquence). N'ayant pas la prétention d'être un sommet du film d'action, "Silent Night" se laisse toutefois regarder avec un certain plaisir,le film faisant preuve d'audace visuelle et se permettant d'être politiquement incorrect comme tout "Vigilante movie" qui se respecte.

JackySunday
01/01/2024 à 03:12

@Waito
Tu ne dois pas bien connaître sa filmo.
For all mankind, the killing etc etc...

Thom42
31/12/2023 à 10:11

En phase, ça ne vaut pas plus de 1,5.

Euh
30/12/2023 à 19:16

Quel dommage, parce qu'avec en bad guy le fabuleux Harold Torres, génial Manuel de la meilleure série des 10 dernières années (Zero zero zero évidemment), il y avait de quoi faire un truc énorme

Robiii145
30/12/2023 à 17:43

Faut être aveugle pour mettre 1,5 ! C’est pas le john woo des grandes heures mais c’est très bien filmé en termes d’action et Kinnaman est excellent. On est très loin des bouses d’action filmé avec le derche avec statham, neeson et compagnie qui pullulent année après année.

Waito
30/12/2023 à 15:29

Joel Kinnaman ou l'indice de mauvais film
A part Jay Courtney, il y a pas plus fiable

Andarioch1
30/12/2023 à 14:20

Pour compléter l'analyse de Altaïr Demantia, j'ajouterai que le titre fait référence à la chanson de Stromae, Papa où t'es, ce qui, si on pousse les potards un peu (trop) loin, revient sur le fait que Woo est le père naturel d'une certaine façon de se flinguer au cinéma.
Ouf..^^

Altaïr Demantia
30/12/2023 à 13:10

@Nikoko
Je sais que tu t'édresses aux gens d'EL mais permets-moi de té répondre quand même.
Il y a sur ce site, effectivement des pratiques SEO assez visibles. Mais quand tes revenus dépendent en partie du référencement "naturel" par Google, tu n'as pas trop le choix.

Mais dans le cas que tu signales c'est en fait la pratique habituelle du site pour faire des jeux de mots, pas toujours subtiles, dans les titres des critiques.

Par exemple:

"L'innnocence: critique d'un coup de coeur non coupable"
"Une affaire d'honneur: critique de l'anti-Trois Mousquetaires (et c'est un compliment)"

Ou encore:

"Vermines : critique d'un vrai film d'horreur avec des araignées de la mort qui tue "

Tu vois le motif ?

D'abord le nom de la série ou du film, puis de points et le mot "critique" et derrière un jeu de mot plus ou moins décalé, figolo, non sensique, etc.

Concernant cette critique ça donne:

Silent Night (non du dernier DTV de John Woo :(deux points) critique (le mot qui permet de savoir que ce n'est pas juste une brève ou un autre truc-bidule) 'Woo t’es, John Woo où t’es ?'(le jeu de mot qui joue sur la sonorité du nom du réal') sur Amazon (ça c'est le p'tit truc en plu.me dont EL a le secret. Quand ce n'est pas une critique on a droit, souvent et en dehors de toute raison à: "Et on a hâte")

Donc c'est la critique "où t'es john Woo, où t'es ?" sur Amazon < moi j'aurais mis un point d'interrogation, parce qu'on n'est pas sûr que ce Silent Night disponible sur la plateforme à Bezos et signée John Woo soit vraiment de lui à la vue du résultat.

EL a bien des défauts, mais je trouve qu'en matière d'écriture, et compte tenu de la masse de brèves, articles et montée en mayonnaise à partir d'éléments d'interviews, rumeurs et autres machins collectés à droite et à gauche plus ou moins sérieux, qu'ils sortent chaque semaine, ils font le taf et c'est globalement bien inspiré. Les titres de leurs critiques étant ce que je préfère.

Voilà ^^

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