Saltburn : critique tordue sur Amazon

Déborah Lechner | 22 décembre 2023 - MAJ : 03/01/2024 11:27
Déborah Lechner | 22 décembre 2023 - MAJ : 03/01/2024 11:27

Après la déflagration Promising Young Woman, la réalisatrice Emerald Fennell fait son retour sur Amazon Prime Video avec Saltburn, un second film plus perfectible que le précédent, mais incisif et cathartique. Ce nouveau long-métrage (qui était très attendu dans la rédaction) est porté par Jacob Elordi, Archie Madekwe, Alison OliverRosamund Pike et surtout Barry Keoghan, dont le jeu particulièrement magnétique se met au service d'une histoire tordue, quoiqu'un peu trop téléphonée. 

JEUNES ET CONS 

On ne rappellera jamais assez combien Promising Young Woman est un film précieux. Il a prouvé le talent d'Emerald Fennell comme réalisatrice, mais aussi confirmé son adresse en tant que scénariste après son travail de showrunneuse sur la saison 2 de Killing Eve. Il a également consolidé le rôle de productrice de Margot Robbie via la société LuckyChap Entertainment qu'elle co-fondée. Cerise sur le cupcake : l'incroyable Carey Mulligan, totalement investie dans cette intrigue d'intérêt public.  

C'est pourquoi l'annonce de Saltburn (toujours réalisé par Fennell et produit par LuckyChap Entertainment) avait de quoi piquer à vif notre curiosité. C'est aussi pourquoi il est difficile d'admettre que ce second long-métrage n'atteint malheureusement pas la rigueur et la virtuosité de son aîné. Contrairement à la chasse à l'homme d'un genre nouveau de Promising Young Woman, Saltburn raconte une histoire plus usuelle, et donc prévisible – celle du ver dans la pomme, du coucou dans le nid ou pour reprendre la métaphore visuelle du titre, de la mauvaise herbe invasive. 

 

Saltburn : Photo Barry KeoghanCherchez l'intru

 

Dans cette relecture cynique du Prince et du Pauvre, il s'agit aussi de mettre à nu l'hypocrisie et l'indifférence des ultra-riches, puis de les habiller pour l'hiver, comme c'était le cas des Palmes cannoises Parasite et Sans filtre, mais aussi des films Le Menu et Glass Onion, ou la série White Lotus (pour ne citer que des oeuvres récentes). Cette énième charge féroce et vindicative contre l'élite décadente reste cependant très drôle et mordante, en particulier grâce à Rosamund Pike, parfaite en aristocrate déphasée.

Le jeu de domination et de dépendance entre tous les personnages est suffisamment méchant et pitoyable pour retenir l'attention, mais la construction du récit est trop scolaire et démonstrative pour marquer au fer rouge. On peut citer comme exemple le monologue d'ouverture d'Oliver sur son amour aromantique pour Felix, ou bien la fin qui explicite maladroitement à travers des flashbacks encombrants ce qui était devenu une évidence étant donné l'ambiguïté ambiante du récit. 

 

Saltburn : Photo Rosamund PikeEat the rich

 

BARRY KEOGAGNE 

Saltburn est moins incandescent qu'espéré, mais Barry Keoghan traverse le film sans fausse note, avec un charisme des plus magnétiques. Le reste du casting a beau être à la hauteur (notamment le trio Archie Madekwe, Jacob Elordi et Alison Oliver), son jeu fascine et son regard envoûte tellement que l'acteur emporte tout sur son passage. Il est d'ailleurs intéressant d'avoir choisi un homme de 30 ans qui a du mal à passer pour un étudiant, contrairement à ses partenaires de jeu plus juvéniles. Son âge n'est jamais clairement mentionné alors que le tournant du film est sa fête d'anniversaire, ce qui renforce la mascarade sous-jacente. 

On serait même tenté de penser que le personnage d'Oliver Quick tend un miroir à la réalisatrice. Comme son protagoniste, Emerald Fennell prend plaisir à tordre et pervertir la belle histoire d'amour adolescent mise en scène, à gratter un vernis trop lisse, tissant ainsi un fil rouge thématique entre ses deux films. Elle se plait à tromper son audience, à cacher ses intentions et à fausser nos interprétations dans un immense et cruel jeu de dupe. L'insolence d'Oliver est la sienne, tout comme son désir farouche de se faire une place dans cet entre-soi bourgeois (qui pourrait définir Hollywood). 

 

Saltburn : Photo Barry KeoghanCaractérisation en kaleidoscope

 

Ainsi, comme Oliver, elle provoque et suscite brillamment la gêne et l'inconfort. Un exemple tout trouvé : les oeufs au plat qu'Oliver demande au majordome pour le petit-déjeuner. Au-delà du malaise que suscite la scène, celle-ci bascule entre la provocation subtile et la maladresse irrattrapable, mais sans jamais pencher complètement d'un côté. Cette effronterie et cette manière de pousser les autres dans leurs retranchements s'expriment également à travers le caractère grotesque, voire dément de certaines séquences.

Le récit passe par du graveleux dégoûtant (le cunni), du pathétique gênant (la baignoire) ou un désespoir irrévérencieux (le cimetière). Il s'abime et se tache progressivement de sperme, de sueur, de sang ou de vomi dans une démarche souvent radicale, loin de la noblesse, de la pudeur ou de la bienséance, quitte à ressembler à une parodie de thriller érotique et psychologique. Le film manque peut-être d'originalité, mais il est difficile à ranger dans une case. 

 

Saltburn : Photo Barry KeoghanFlip the table 

 

PROMISING YOUNG DIRECTOR

Si le film pêche sur sa narration, il est en revanche plus abouti sur le plan technique. Cette histoire sale est emballée avec soin dans un magnifique écrin, à commencer par le château de Drayton House qui prête ses murs et ses jardins au fameux manoir de Saltburn. À l'image des différentes affiches qui jouent sur les reflets, contrastes et lumières, l'esthétique est sublime, tant pour la photo de Linus Sandgren (Babylon, First Man, La la land), que son format en 1:33 qui étrique l'action et enferme les personnages, jusqu'à les prendre en étau. 

La mise en scène est, quant à elle, malicieuse et réfléchie pour que le fond de l'histoire s'illustre à travers les petits détails, comme celui drôle et symbolique du tue-mouche accroché au majestueux lustre qui surplombe l'entrée de Saltburn, ou peut-être une autre pièce. Le manoir est tellement grand qu'il est facile de s'y perdre, même en tant que spectateur.

 

Saltburn : photoLa fête des morts

 

Enfin, la réalisation donne par moments des airs fantastiques et inquiétants à Saltburn. L'endroit prend l'allure d'un purgatoire, dont les seuls points de chute sont le monde extérieur ou le cimetière qui jouxte le domaine. C'est aussi le cas pour l'immense labyrinthe filmé dans la brume ou le lac privé qui évoque une sorte de Styx. De quoi incarner littéralement l'idée d'un "temps mort" estival à l'aube de la vie adulte.

Alors oui, Saltburn est moins taillé au couteau que Promising Young Woman, mais il confirme l'émergence d'une cinéaste passionnante, qu'on suivra avec encore plus d'intérêt.  

Saltburn est disponible sur Amazon Prime Video depuis le 22 décembre 2023

 

Saltburn : Affiche US

Résumé

Saltburn est un film imparfait, moins précis et savamment orchestré que Promising Young Woman, mais suffisamment beau et envoûtant pour attendre avec impatience le prochain film réalisé par Emerald Fennell.

Autre avis Geoffrey Crété
Parfois bancal (la fin), souvent grotesque (assumé), toujours fascinant (l'érotisme), Saltburn est d'une beauté étourdissante. Rien que pour la mise en scène, la légèreté vorace et la bombe atomique Barry Keoghan, le plaisir est là.
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Lecteurs

(3.3)

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commentaires
El power
03/01/2024 à 03:55

C'est marrant que ça sorte du amazon prime... quoique... Pour moi, ça raconte le nihilisme du pouvoir absolu, tout ça , toute cette stratégie mise en place, pour finalement danser à poils en prenant de la coke devant des portraits de rois, regardant fièrement ses marionnettes danser. Il m'a fait penser à Parasite, sauf que Parasite est un film qui a du coeur.

Bilbo
30/12/2023 à 08:18

Tellement mal écrit et mal monté.

Kyle Reese
27/12/2023 à 23:47

Excellent film. La très bonne surprise de cette fin d'année. Et ce Barry Keoghan est absolument incroyable. Je me suis laissé complètement happé par ce film et son jeu. La photo est superbe, le cast entier est excellent. Le traitement de cette histoire est original, la musique aussi. Bref très emballé. Qu ça fait du bien de voir des films comme ça. J'avais déjà beaucoup aimé son Promising Young Woman, cette réalisatrice est décidément à suivre.

@Docteur Benway
26/12/2023 à 17:55

Les plateformes n'ont pas vocation à produire des films qui traitent (correctement) de la lutte des classes. Faire semblant en revanche, c'est tout bénéf'.

Ici Saltburn avec Prime, l'horrible Zone à défendre avec Disney, Une année difficile avec TF1, on n'est pas sorti des ronces comme on dit.

Jean-Pierre Bacri manque tellement :'-(

Docteur Benway
26/12/2023 à 16:46

Une jolie friandise emballée dans un écrin brillant et luxueux mais un film qui ne sait pas ce qu'il veut être. Romance gay, critique sur la lutte des classes ou thriller roublard? Comme d'hab, à courir trop de lièvres à la fois, Saltburn survole un peu tous ses aspects.
Je retrouve à la fois les qualités et les défauts de Promising Young Women. C'est séduisant parfois, c'est beaux, c'est maîtrisé à mort dans sa mise en scène mais c'est aussi agaçant et superficiel. La même question de pose à nouveau : sous le vernis scintillant, est ce qu'il y a une quelconque substance sous Emerald Fennell? En fait, plus que Parasite ou Théorème, ce film me fait penser à Sex Intentions.

Euh
25/12/2023 à 23:45

Vu, et j'ai déjà vu ce film en beaucoup plus subtil, brillamment mis en scène, drôle et intelligent, ça s'appelle Parasite. Et ça semblait durer une heure de moins.
Alors oui, Barry est un bon acteur, qui sauve assez souvent le film du ridicule.

Morcar
24/12/2023 à 15:09

Je viens de regarder le film sur Prime, film dont je ne savais rien car la bande-annonce restait pour moi bien trop floue, et je partage à 100% l'avis de Deborah. Autant le film prouve qu'Emeral Fennel est une réalisatrice à suivre de près, autant l'acteur principal prouve aussi à quel point il est talentueux, autant j'ai été moins emballé que par "Promising young woman", la faute à quelques abus scénaristiques par moment et par son côté trop classique, scolaire.
Mais j'ai passé un bon moment. Pas sûr par contre que je le revois, alors que j'ai déjà vu plusieurs fois le précédent film de la réalisatrice.

FelixEboue
23/12/2023 à 14:32

J’attendais ce film depuis 6 mois, j’ai vraiment adoré. Par contre au moment où je pensais que le film allait s’arrêter, il reste 5min de flashbacks qui enlèvent tout ambiguïté et n’étaient je pense pas nécessaires

4/5

Cidjay
23/12/2023 à 08:29

Content de voir que Rosamund Pike a suffisamment de temps pour faire des choses entre 2 saisons médiocres de "La roue du Temps"...
Elle va finir par porter un Tee-shirt Amazon.

Sheqx
23/12/2023 à 06:33

Promising était moins jusqu'au boutiste et plus prévisible. A la fois beaucoup moins beau, et en même temps beaucoup moins laid. On est d'accord sur les flash backs qui alourdissent, du reste l'ambiguïté du personnage principal rend le film beaucoup plus marquant que son prédécesseur qui laissait un goût d'inachevé.

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