Ninja Turtles : Teenage Years critique qui sent la pizza réchauffée

Antoine Desrues | 7 août 2023 - MAJ : 09/08/2023 14:18
Antoine Desrues | 7 août 2023 - MAJ : 09/08/2023 14:18

Maintenant que le pari risqué de Spider-Man : Into et Across the Spider-Verse a conquis le monde, il était clair que le cinéma d'animation allait se renouveler en sortant des normes de la 3D photoréaliste. Si ce mélange des styles et des formes a déjà fait de beaux petits (Les Mitchell contre les machines, Le Chat Potté 2), Paramount entre dans la danse avec une relecture fun et adolescente des Tortues Ninja, chapeautée par Seth Rogen. Mais cela suffit-il pour que Ninja Turtles : Teenage Years reproduise le miracle de ses modèles ?

à pas de tortue

Comme on a pu le détailler dans notre critique dithyrambique d’Across the Spider-Verse, la folie visuelle développée par les aventures de Miles Morales a dépassé son statut de curiosité stylistique. En mêlant la 3D, le cel-shading, l’aquarelle ou encore le papier mal imprimé des comics, la production de Phil Lord et Chris Miller a composé un patchwork esthétique en accord avec son icône, son héritage et son futur. Tandis que Miles Morales se cherche une place dans le Multivers, il est également confronté à ce qu’est Spider-Man : un héros reproductible, et un pur symbole de pop art.

 

 

 

La crise identitaire du personnage s’exprime donc par cette forme débridée, là où d’autres n’auraient pu y voir que le vernis d'une nouveauté périssable. Étonnamment, les successeurs directs de Spider-Verse ont suivi avec respect cette voie, des Mitchell contre les machines au Chat Potté 2, alors qu’on aurait pu craindre une dévitalisation plus rapide de ce type d’animation à Hollywood.

Dès lors, malgré ses bandes-annonces surprenantes, Ninja Turtles : Teenage Years semblait tout indiqué pour être ce vilain petit canard opportuniste, seulement motivé à redonner vie à sa franchise par une approche à la mode. Pourtant, si le résultat final s’avère être une petite déception, ce n’est pas pour sa démarche technique. Les premières minutes du film sont même rassurantes, et s'attèlent à dépeindre une attaque nocturne poisseuse, où l’effet vulgairement crayonné de l’animation donne une valeur particulière aux lumières et aux liquides. Chaque trait en amplifie la direction ou le mouvement, à commencer par le fameux fluide mutagène au cœur de l’origin-story des Tortues, passant de tuyau en tuyau.

 

Ninja Turtles Teenage Years : photoNouvelle fable de La Fontaine : L'araignée contre les tortues

 

Le cel-shading et les effets de brossage sont loin de la simple affèterie, et encapsulent une narration tournée sur les transferts d’énergies et de matières. Comme un retour à la parodie cradingue que les comics originels faisaient des codes super-héroïques, ce Ninja Turtles exploite son melting-pot d'animation pour façonner un New-York vibrant et grouillant, sorte de créature de Frankenstein géante qui n’attend que l‘appel des monstres qui l’habitent.

Une merveilleuse idée au vu de la démarche du récit, centré sur l’adolescence de Leonardo, Raphaël, Michelangelo et Donatello. Le film, confié à Jeff Rowe (Les Mitchell contre les machines) et Kyler Spears, est clairement à son meilleur lorsqu’il s’attarde avec tendresse sur l’immaturité de ses héros, et leur curiosité face à un monde qui les rejette. La patte de scénariste de Seth Rogen (toujours épaulé par Evan Goldberg) se fait alors sentir, comme s’il cherchait à tirer de cette relecture nostalgique d’une franchise de son enfance un dérivé tous publics de SuperGrave.

 

Ninja Turtles Teenage Years : photoOn prend la mouche

 

Carapace émotionnelle

Malheureusement, c’est là que le bât blesse, tant Teenage Years piétine au niveau de son scénario imbuvable, qui croit réinventer son univers par un post-modernisme envahissant. Certes, l’attrait des personnages pour la culture humaine rend logique une quête identitaire qui croit se construire par des références. Mais ce qui aurait pu relever d’une forme d'ancrage touchant dans le réel se transforme en name-dropping incessant, si bien que le long-métrage fait de certaines citations des éléments centraux de sa progression (notamment avec... L’Attaque des titans).

Doit-on y voir un certain jeunisme de la part de Rogen, persuadé d’être encore un éternel adolescent en donnant à ses tortues des smartphones, en les faisant regarder La Folle journée de Ferris Bueller, et en les laissant causer d’Avengers ? D’autant que ces clins d’œil pseudo-malins essaient de dissimuler une écriture en pilotage automatique, qui reprend peu ou prou la structure du reboot de 2014 (le quatuor doit empêcher qu’un poison se répande dans la ville, tandis qu’on essaie de récupérer leur sang).

 

NInja Turtles Teenage Years : photoTeenage Zoomers Ninja Turtles

 

Bien sûr, son efficacité comique fait parfois mouche, et soutient en de rares instants l’inventivité de l’ensemble (jusqu'à embrasser son mix d’influences de manière très littérale dans ses designs chimériques). Cependant, cette réussite thématique n’en est que plus frustrante. Car en bon sous-Deadpool qui se respecte, Teenage Years troque la moindre émotion contre des blagounettes faciles, alors que sa direction artistique – et les expérimentations musicales passionnantes de Trent Reznor et Atticus Ross – font tout pour magnifier la spécificité de son monde, où le rejet et l’acceptation ne concernent pas que les mutants.

Les humains y sont particulièrement difformes, laids, et tout aussi asymétriques que les véhicules et autres éléments de décors. Ce pas de côté réjouissant, en accord avec une histoire sur la place des “freaks”, ne peut qu'être contrasté par une narration qui passe son temps à rester dans le rang, et à cocher toutes les cases tendance pour se persuader de sa propre modernité. Résultat, ce Ninja Turtles est bien l’antithèse de Spider-Verse, mais pas pour les raisons que l’on croyait. Il est juste dommage que son très bel écrin n’ait pas l’occasion de profiter d’un récit d’apprentissage sincère pour briller.

 

Ninja Turtles Teenage Years : affiche française

Résumé

Si sa technique repiquée à Spider-Verse est loin d’être vaine, Ninja Turtles : Teenage Years se perd dans son écriture post-moderne rébarbative. L’esprit de comédie teen dans l’univers des Tortues Ninja avait tout pour plaire, pour peu que le scénario fût à l’avenant de sa direction artistique inspirée.

Autre avis Déborah Lechner
Ninja Turtles : Teenage Years avait tout pour être irrésistiblement cool, mais enchaîner bêtement les références à la culture pop n'a rien d'un gage de modernité. Il faut cependant reconnaître une vraie réflexion derrière la technique empruntée aux films Spider-Verse, en dépit de la trame balisée et des personnages sous-caractérisés.
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commentaires
Flo
17/08/2023 à 13:31

"... j'ai un pote, c'est un ancien ninja... Bon là il est plus Tortue, maintenant, que Ninja"...

Eh ben ce film, c'est pareil.
Bien sûr chaques franchises des Tortues Ninjas sont connues pour avoir droit à une part de réinvention, des partis-pris particuliers.
Et il y a de quoi, avec une œuvre originelle qui mélangeait dans son titre, de façon satirique, des références à plusieurs succès des comics et du cinéma, pendant les années 80 :

- "Teenage" pour les Teen Titans... Dans le cadre de ce film, c'est l'angle principal de la partie narrative. Ce qui signifie mettre le paquet sur les émois adolescents (avec des acteurs doubleurs du même âge), sur la peur de l'inconnu et de l'humiliation, sur la quête de popularité ou d'acceptation - et l'envie d'interagir avec ceux de votre génération.
Seth Rogen et son comparse Evan Goldberg le produisent comme si on était encore à l'époque de "Supergrave", c'est à dire en réussissant la chronique d'ados touchants et... ordinaires.
C'est là où ça va finir par coincer, surtout dans les abus comiques, à peine dans le Méta, mais beaucoup dans les redites (ça va on a compris pour les traites, "Ray Fillet !" et tout). Ce qui représente soit un manque de confiance envers la narration visuelle, laquelle peut aussi se passer de quelques mots. Soit un excès d'orgueil des auteurs devant leur écriture humoristique, ne voulant rien couper.

- "Mutant" (ou "Hero", des fois) pour les X-Men... Rogen et Goldberg, donc la comédie trash et aux idées déviantes. Un système bien rodé maintenant pour eux dans leurs productions, où ils peuvent aussi se permettre de faire venir plein de copains acteurs connus pour faire des voix - voir "Sausage Party"... Toutefois en mettant de l'eau dans leur vin, parce-que ici c'est une franchise Tout Public qui vend plein de jouets (qui ont beaucoup inspiré le réalisateur Jeff Rowe) et autres produits dérivés. Ça doit être du "sale", mais de cour de récré.
Et une excuse pour nous donner une animation imprécise, tordue mais qui fait "Style", "Indé", avec les ex de Nine Inch Nails et du Rap pour une ambiance bien chaude etrythmée (c'est directement formatée sur l'essai du premier "Spider-Verse", devenant hélas une norme trop convoitée). Mais ici, visuellement ce n'est pas toujours bien lisible.
Deuxième point faible : abuser de traits biscornus pour presque tout, y compris une journaliste télé (censée être avenante, c'est illogique) ou même un toit de voiture. Mis à part April O'Neill, dont les traits de visage sont plus harmonieux, même avec des mensurations d'ados aussi rondes que celles des Tortues. Manque d'équilibre.

- "Ninja" pour Elektra ou autres Michael Dudikoff... Voilà où on finit maintenant par se trouver : la dévalorisation du précepte, qui fonctionne beaucoup avec de la philosophie, du respect, de l'honneur, de l'excellence... Et un peu de sournoiserie, parce-qu'ils doivent bien se cacher - mais dans l'âme, ce sont plus des samouraïs.
Chacun fonctionnant dans l'action selon des codes liés avant tout aux armes choisies - Leonardo est équilibré car ses sabres ninjatō sont des armes "parfaites", Raphaël va forcément préférer les confrontations directes et puissantes car ses saïs ont une trop courte portée, Michelangelo aime s'attacher tout comme le peuvent ses nunchakus, Donatello compense sa condition physique autant par son cerveau que par un bâton Bō tenant à distance et très solide.
Vous pensez que, dans cette Origin Story où on décrit précédemment des personnages, on irait jusqu'à parler de ça ? Non, pas du tout. Pas plus de la raison de leur nom à tous, y compris Splinter (un peu trop papa xénophobe).
Ici, Ninja, c'est cool. Ninja, ça s'apprend facilement en regardant des films ou des tutos... ben voyons. Et les scènes d'arts martiaux en pâtissent, flirtant souvent avec la parodie et jamais assez excitantes (en attendant Shredder et son clan ?).
Le parti-pris d'avoir des ados en quête d'amis, au grand jour, vient ainsi contrarier le principe de guerriers capables de sacrifier leur confort à une quête vertueuse.
Gentiment égoïstes, nos garçons en viennent ici à devenir des émules de... Alvin et les Chipmunks (sans chanter, ou juste un peu).
Donc...

- "Turtles" pour les héros animaliers des cartoons... Parce-que les héros anthropomorphes, c'est rigolo. Et c'est un film d'animation, donc il y a beaucoup d'animaux mutés. Trop, et souvent représentés à la va-vite (Bebop a ses fameuses épaulettes-carapaces de tortues, et ça ne gêne personne ?), leur donnant à peine une personnalité. Comme si il fallait compter sur les fans pour remplir les trous du script en fonction de leurs connaissances des Tortues.
Tout ça pour nous donner une énième famille étendue de monstres gentils-mais-bêtes, en plus d'un climax de blockbuster trop vu et revu - la machine infernale, le monstre géant à New-York, les habitants courageux... faut bien justifier le grand écran.
Cela dit, c'est efficace, ça va jusqu'au bout de ce que ça raconte en arrivant à être touchant au bon moment, et ça parlera peut-être bien à toute une génération.

Et c'est un film qui sert à la fois de premier chapitre à une longue aventure (2 films maxi, en cas d'un énième succès relatif ?) facilement prévisible...
Mais aussi à une déconstruction (les masques !) qui tranche avec tout ce qui a pu être habilement établi au préalable. Donnant l'impression qu'il s'agit aussi bien d'une fin que d'un nouveau commencement. Inédit lui, pour le coup.

"... j'l'ai déjà dit souvent, et je l'redit encore : merde, c'que j'aime être une Tortue".


14/08/2023 à 14:23

Habituellement, une oeuvre qui oscille entre post-modernisme et modernisme peut être catégorisée comme "méta-moderne". C'est d'ailleurs l'apanage des productions Lord&Miller (lego movie, les mitchells, spider-verse). Si je comprends bien votre critique, il semblerait qu'il manque cette fois une bonne dose de sincérité permettant de faire contrepoids au cynisme et à l'aspect référentiel post-modernes, faisant ainsi pencher le film un peu trop du côté des formules éculées Marvel/DC.

Shin
13/08/2023 à 19:59

@Lougnar : Je comprends qu'on n'aime pas ce style d'animation.
Mais ça n'a rien à voir avec de l'imitation de la stop-motion. L'idée est de se rapprocher le plus possible d'un point de vue stylistique de l'animation 2D faite à la main (en référence aux comics d'où sont issus les tortues) tout en gardant les avantages que procure l'animation en 3D (comme des plans de caméras plus libres que pour de l'animation purement en 2D).
Dans ce cadre, ce style d'animation opte pour un nombre d'images par secondes qui varie entre 12 et 24 suivant le type de séquence, ce qui a toujours été la façon de faire dans l'animation 2D.
Ça ne lague donc pas plus ou pas moins qu'avec de l'animation 2D.
Mais comme tout nouveau style d'animation ça peut perturber quand la norme jusqu'ici dans les films d’animation 3D était une fluidité constante.
Quand au fait de dire que cette technique d'animation n'a pas vraiment de sens, c'est comme dire que c'est inutile de faire des films avec des séquences en noir et blanc car on peut filmer en couleur...
Un choix stylistique donne un sens à un film : ici, les créateurs ont expliqué que ce style avait pour but de donner un côté brouillon aux traits pur amplifier le côté ado rebelle des tortues. Sans ce choix, le film n'aurait pas le même impact.

HugoChampier
13/08/2023 à 18:27

Ayant travaillé sur le film, bluffé par une critique très juste et très bien écrite. Je comprends l'aspect commun avec Deadpool, mais les films sont trop différents pour en faire un "sous-Deadp
ool".

Je suis d'accord pour dire que le films contenait trop de références, qui auraient pu laisser plus de place à du coming of age qui était tellement prometteur dans une situation aussi extrême que des adolescents mutants qui veulent aller à l'école.

Visuellement en revanche le film est magnifique et bénéficie grandement du travail de montage qui rendent le film malgré tout dynamique. La musique fait un excellent travail d'immersion également.

Certaines réussites qui mériteraient d'être soulignées cependant: la relecture de père possessif de Splinter qui n'est en rien neuve mais qui surprend positivement; la référence à Old Boy qui est une prouesse technique de l'équipe d'animation et de Layout.

En résumé un film qui aurait dû être convenu, mais qui laisse entrevoir quelques petites fenêtres d'écritures intéressantes et touchantes par moments. Techniquement en revanche, Mikros Animation et Nickelodeon apportent un élément graphique nouveau à la table des derniers films d'animations qui cherchent à briser le photo réalisme et rien que pour ça c'est un film qui vaut le coup.

Marvelleux
08/08/2023 à 22:07

A noter le financement du CNC. Pour une fois, saluons la bonne initiative de leur part (d'où l'avant première à Annecy)

Marvelleux
08/08/2023 à 13:44

Celui de 2007 est vraiment cool. Il serait temps de le réhabiliter.

Abibak
08/08/2023 à 13:04

Ça fait 5 ans que les tortues ninjas sont de retour en comics chez Hi comics, est ca vaut largement les meilleurs DC ou marvel, mention spéciale au last Ronin. Dommage qu'on entend si peux parler.

Delicatesstef2
08/08/2023 à 10:58

Ben moi, j'ai adhéré à ces Tortues Ninja 2023.

Scénario imbuvable? Mouais, j'ai vu pire, et je le trouve en adéquation avec son sujet. Ca réinvente pas la roue, mais ça a l'audace de faire des propositions (qu'on accepte ou pas, d'ailleurs).

L'humour est finalement très adolescent d'aujourd'hui, pour en avoir un à la maison, je n'étais pas dépaysé.

Et comme je vois qu'il y a toujours quelqu'un pour râler sur le changement de couleur d'un personnage : c'est du dessin, pas la vraie vie. Dans les comics, les persos changent toujours de visage quand il passe dans les mains d'un nouveau dessinateur et ça gêne personne. Autant pour un film live, le débat peut-être ouvert, autant pour un film animé, c'est un peu vain...

Bye bye april
08/08/2023 à 09:32

"Look how they massacred my boy"

Cidjay
08/08/2023 à 09:26

@Lougnar : cette technique imite celle du stop motion. Elle n'a pas vraiment de sens car tout est fait en synthèse (cest juste pour le style) donc oui,on peut dire que ça lag...espérons que les devs prévoient un patch day one.

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